Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Var est régulièrement victime d’importantes inondations qui tuent. Je suis assez d’accord avec M. Nègre quand il évoque une amnésie collective face à ces phénomènes pourtant impressionnants.
À l’évidence, il s’agit d’un fléau chronique, et il convient de s’interroger sur ses causes et ses remèdes, afin que de tels épisodes météorologiques ne provoquent plus de drames et de destructions coûteuses.
Le rapport de la mission commune d’information met l’accent sur la gestion de crise, le renforcement des moyens de prévision, d’alerte, de surveillance et d’indemnisation, pour ne traiter ensuite qu’assez modestement, selon moi, la question de la vie avec le risque, de la place de celui-ci dans l’aménagement territorial, de la prévention et de l’association de la population à cette dernière. Ce sont pourtant ces éléments qui nous semblent devoir constituer le cœur de notre réflexion en vue de traiter le sujet plus large des risques naturels.
« Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France » : tel est le titre du rapport de la mission commune d’information. De quelles ambitions parle-t-on ? S’agit-il de dépenser toujours plus pour réparer, mobiliser des efforts exceptionnels, créer des comités, des commissions, des établissements publics sous le coup de l’émotion, ou de réduire concrètement – c’est l’ambition qui est la nôtre – la vulnérabilité de notre société et de nos territoires ?
Améliorer la prévision, donner des moyens à la recherche, investir encore dans les dispositifs d’alerte, renforcer la coordination des secours, former les élus et les représentants de l’État à la gestion de crise : tout le monde est d’accord sur le principe, mais nous savons d’une part que les moyens financiers sont trop limités pour permettre une mise en œuvre effective de ces recommandations, d’autre part que cela ne changerait rien à l’aggravation continue de la vulnérabilité des territoires concernés.
Je vais donc revenir brièvement sur certaines recommandations formulées dans ce rapport et approfondir quelques points qui, à mon sens, ne l’ont pas été suffisamment.
Si les propositions visant à fluidifier l’indemnisation des victimes, à informer les collectivités sur les aides financières existantes et à simplifier les procédures vont globalement dans le bon sens, en vue de panser au mieux des plaies que l’on ne pourra pas toujours éviter, je ne peux pas en dire autant de certaines autres recommandations.
Ainsi, l’idée de créer des malus sur les primes et franchises d’assurance ne nous semble pas pertinente : certaines personnes pourront se voir appliquer ces malus en raison d’un manque d’information dont elles ne sont pas directement responsables ; ce serait tout à fait injuste. À l’inverse, la logique du bonus attribué à ceux qui effectueront les nécessaires travaux d’adaptation aux risques servirait d’incitation aux comportements vertueux.
De manière plus anecdotique, surveiller les réseaux sociaux pour combattre les rumeurs éventuelles serait un exercice coûteux, aux effets incertains. En revanche, recourir à ces réseaux pourrait se révéler utile pour toucher des populations que l’on n’atteint plus suffisamment par le biais des médias traditionnels.
De manière générale, on veut introduire beaucoup de nouveautés, alors même que toutes les propositions faites à la suite d’événements précédents n’ont pas été mises en œuvre jusqu’au bout. Je pense par exemple à la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine déposée à la suite de la tempête Xynthia : ce texte, qui a été discuté et adopté par notre assemblée, n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
De la même manière, il a été fait peu de cas des outils issus de la loi Grenelle 2, qui transpose pourtant la directive « inondation ». Dès lors, vouloir créer une commission permanente destinée à rendre des avis sur les arrêtés constatant l’état de catastrophe naturelle, un comité de suivi post-inondation, ainsi que des EPAGE dans tous les bassins versants ou sous-bassins, que les établissements publics territoriaux de bassin aurait la mission de coordonner, est largement discutable, l’intérêt de telles structures n’étant en aucun cas démontré.
En réalité, plusieurs recommandations de ce type émanent directement d’acteurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui constatent avant tout les défaillances apparaissant dans leur région et proposent donc des remèdes adaptés à leur contexte local. Je ne suis pas convaincue de l’intérêt de généraliser ces préconisations à la France entière, étant donné l’hétérogénéité des situations.
Dans le même ordre d’idées, on prétend vouloir renforcer le rôle des acteurs à l’échelle des bassins versants tout en érigeant la région en acteur central : est-on sûr que cela va dans le sens d’une clarification des compétences ? À l’inverse, l’idée de confier à l’Observatoire national des risques naturels la réalisation d’un tableau de bord sur le financement de la politique de prévention en matière d’inondations me semble pertinente.
Améliorer la gouvernance, notamment en étendant le rôle des élus et en intégrant les associations de victimes au sein des comités de bassin et des instances des agences de l’eau, peut présenter un réel intérêt.
Enfin, nous partageons la volonté affirmée d’améliorer la pédagogie concernant les risques : placer les acteurs des zones à risques dans des situations créatives, rendre les exercices obligatoires en y associant les réserves communales de sécurité civile, tout cela est utile. Il y a aussi un travail à faire dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire, au travers de la formation des enseignants et des programmes scolaires. On peut encore penser à la sensibilisation des ingénieurs de l’État ou des collectivités aux constructions et aménagements résilients.
Pour le reste, c’est une question de modèle. J’estime qu’il convient de favoriser une démarche qui n’est pas encore bien intégrée dans notre pays, consistant à établir un diagnostic partagé à l’échelon local, à fixer par le débat public un niveau de risque acceptable, à accepter celui-ci et à vivre avec, en adaptant les protections, en modifiant peut-être notre manière de construire, en mettant, de manière générale, l’accent sur la prévention.
Nous voulons réaffirmer la complémentarité de la protection de l’environnement et de la gestion des risques : en effet, les assouplissements de la loi littoral et l’étalement urbain aux dépens de la protection des écosystèmes portent, à l’évidence, une lourde part de responsabilité dans la grande vulnérabilité actuelle du département du Var.
La source des drames, dans ce département, c’est aussi l’arrivée de populations nombreuses venues d’autres régions et ne mesurant pas forcément d’emblée les enjeux liés au risque d’inondation. Il y a un travail d’intégration à réaliser par les collectivités territoriales.
Il convient, enfin, de privilégier une approche préventive. Recentrer le fonds « Barnier » sur ce volet serait une bonne chose, par exemple en aidant financièrement les habitants des zones vulnérables à procéder à des travaux d’adaptation. Par ailleurs, il me semble désormais inévitable d’imposer des obligations pour les nouvelles constructions dans les zones à risques.
Pour conclure, je dirai qu’il est important de reconsidérer la place de l’État dans toute cette problématique. Il est supposé garantir la sécurité des personnes et des biens contre les éléments naturels, mais il est aujourd’hui évident que ce sont bien les collectivités qui l’aident à s’acquitter tant bien que mal de ses missions, et non l’inverse.
Les charges et responsabilités ont été reportées sur les collectivités locales, qui ont par ailleurs subi la lente érosion du soutien de l’État central : l’agonie de l’ingénierie publique, liée à la mise en œuvre de la RGPP et à la décentralisation, et le transfert implicite de l’entretien des ouvrages de protection des propriétaires aux collectivités participent à l’étranglement financier généralisé des départements et des communes.
Cela vaut également pour la réalisation des plans communaux de sauvegarde, les PCS. L’incitation à leur élaboration passe inévitablement par la mise à disposition des élus des petites communes de moyens humains à cette fin.
En outre, si l’on veut que l’État puisse exercer un contrôle de légalité digne de ce nom en matière d’urbanisme, il faudra donner les moyens humains nécessaires aux préfectures. Les probables futures lois de décentralisation devront aborder la question de la répartition des compétences. Il conviendrait aussi d’impliquer certains concessionnaires – je pense notamment à la Compagnie nationale du Rhône – dans la gestion des risques, afin que la poursuite des objectifs de production électrique des barrages ou de stockage de l’eau pour l’irrigation ne compromette plus la sécurité des biens et des personnes. Pour ce qui concerne la Compagnie nationale du Rhône, la révision de la concession n’intervenant que dans onze ans, il serait bon que l’État s’empare de ce sujet dès aujourd’hui !
Nous partageons la douleur des familles des victimes, mais il ne nous semble pas pertinent d’ajouter chaque année une nouvelle strate de mesures dictées par l’émotion ou les besoins de certaines localités… Commençons par mener à bien ce qui a déjà été amorcé, modifions notre approche du risque pour ne plus dépendre du mythe de l’invulnérabilité qui, en fait, nous rend précisément vulnérables et tue chaque année. §