Intervention de Augustin de Romanet

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 27 novembre 2012 : 1ère réunion
Société aéroports de paris — Audition de M. Augustin de Romanet de beaune candidat désigné aux fonctions de président directeur général

Augustin de Romanet :

Je vais vous présenter la politique que j'entends mener si vous acceptez ma nomination comme président d'ADP.

Dans ma vie professionnelle, j'ai été fréquemment en contact avec la représentation nationale : je suis tombé dans le budget quand j'étais petit - dix ans durant, je me suis occupé des lois de finances - puis j'ai été nommé à la Caisse des dépôts. Je veux également saluer le bilan très positif de Pierre Graff à la tête d'ADP : si son mandat s'est achevé, c'est uniquement parce qu'il a atteint la limite d'âge.

Aéroports de Paris, ce sont les trois grandes plateformes, Roissy, Orly et Le Bourget, ainsi que dix terrains d'aviation dans la région parisienne, comme Toussus-le-Noble ou Meaux, 8 % de l'aéroport de Schiphol d'Amsterdam et 38 % de la société turque TAV qui exploite à la fois l'aéroport d'Istanbul - 60 millions de passagers - et d'autres aéroports, Skopje, Médine, Tbilissi...

Les activités aéronautiques, avec les redevances d'atterrissage et de stationnement, représentent 53 % du chiffre d'affaires et 21 % du résultat opérationnel courant ; les commerces, 30 % du chiffre d'affaires et 62 % du résultat opérationnel ; l'immobilier, 8 et 14 % ; et les autres activités, comme la sûreté, l'ingénierie, 9 et 3 %.

L'étude du Bureau d'informations et de prévisions économiques (Bipe) en 2012 indique que les retombées directes et indirectes d'ADP représentent 30 milliards d'euros, soit 1,75 % du PNB de la France ou l'équivalent du PNB de la Lituanie. Pour la seule Île-de-France, ADP représente 5,8 % de son PIB et 8,3 % de l'emploi salarié régional. Chaque nouveau million de passagers apporte 355 millions de valeur ajoutée, 1 500 emplois directs sur la plateforme, 4 100 au total, indirects inclus. Nous avons une responsabilité !

Pierre Graff a été nommé président en 2003 pour moderniser cette entreprise publique : à l'époque, ADP relevait encore de la comptabilité publique, le groupe était à peine à l'équilibre, il disposait de peu de commerces et ne versait pas de dividendes à son actionnaire. Pierre Graff a ouvert le capital et levé 600 millions sur le marché, ce qui a enclenché un processus vertueux : Roissy est passé de 47 millions de clients en 2006 à 80 millions aujourd'hui, avec une capacité totale de 110 millions de passagers, ce qui est suffisant jusqu'en 2022 ou 2023.

ADP a donc connu une mue. La dernière acquisition concerne les 38 % de TAV. Des polémiques sont nées quand, quelques mois après l'achat de la concession jusqu'en 2021, le gouvernement turc a annoncé qu'il allait accorder une autre concession pour un nouvel aéroport, directement concurrent, qui ouvrirait dès 2016. Les actionnaires turcs ont-ils dit la vérité lors de la vente ? Une de mes premières préoccupations sera d'en avoir le coeur net.

Mes ambitions pour ADP concernent les quatre grandes parties prenantes que sont les clients, l'environnement, les collaborateurs et l'actionnaire.

L'actionnaire doit comprendre que c'est son intérêt de respecter les salariés, l'environnement et les clients. Un de mes maîtres en ce domaine s'appelle... Paul Bocuse, qui m'a dévoilé le secret de sa réussite : la disponibilité, la qualité et la participation des salariés à la prospérité de l'entreprise. Il a le génie de déléguer à d'autres tout ce qui n'est pas son métier propre.

La qualité est notre principale préoccupation : si nos aéroports proposent une offre de qualité, ils sauront attirer les Asiatiques, qui préfèreront alors atterrir à Paris plutôt qu'à Amsterdam ou à Zurich. L'aéroport de Séoul, que j'ai l'intention de visiter, est un modèle à l'échelle mondiale.

Les compagnies aériennes attendent d'ADP des services opérationnels, déneigement, dégivrage, fourniture d'électricité. Elles sont sensibles aux tarifs, même si les redevances représentent une faible part de leurs charges, 4 % pour Air France par exemple. Les pouvoirs publics encadrent l'évolution des tarifs, en visant une rentabilité globale des investissements égale au coût du capital, soit 6,5 %. Or, actuellement, le rendement des infrastructures aéroportuaires tourne autour de 3,5 %. C'est pourquoi le contrat de régulation avec l'Etat prévoit que les tarifs augmentent chaque année un peu plus vite que les prix. Un rattrapage brutal n'est pas envisageable, compte tenu de la santé fragile des compagnies aériennes.

Nous devons être d'autant plus attentifs à la qualité que nous n'aurons aucun problème de capacité jusqu'en 2023. Les compagnies aériennes ont des besoins très particuliers, notamment pour le tri des bagages. J'ai découvert avec effroi qu'une machine de tri automatique des bagages coûte 300 millions d'euros. Il en existe trois à Roissy. Autres revendications des compagnies : un aménagement de la desserte routière par l'est et de meilleures liaisons entre les aérogares de Roissy, assurées par un service d'autobus de qualité. Je me rendrai fréquemment sur les plateformes pour analyser les sources possibles d'améliorations et écouter les clients. Je poursuivrai le programme de coopération « Réussir ensemble » mis en place par Pierre Graff en collaboration avec Air France. Nous traitons tous nos clients de façon équitable, mais Air France représentant plus de la moitié de notre chiffre d'affaires, il est bien normal que nous lui portions un soin des plus vigilants.

Dans le plan stratégique 2005-2010, aucune des six têtes de chapitre ne comportait le mot « client ». Mais en 2009 Pierre Graff a créé une direction de la satisfaction client : le taux de satisfaction a augmenté, passant de 82 % en 2007 à 86 % en 2011. Nous visons le seuil de 91 %.

Le Charles-de-Gaulle-Express reliant Roissy à Paris est l'une de mes priorités absolues, ce qui pourrait être une légère inflexion par rapport à mon prédécesseur : cette liaison est vitale pour ADP, alors qu'elle n'est - hélas ! - qu'un dossier parmi d'autres pour RFF, la SNCF et la RATP.

J'en arrive à l'environnement : toute entreprise doit veiller à ce que sa prédation sur l'environnement ne soit pas insupportable. Or, ADP peut être prédatrice par le bruit, la pollution, les émissions de gaz à effet de serre et l'éloignement par rapport au bassin d'emploi dans lequel elle puise. L'entreprise a engagé depuis vingt ans une politique de développement durable très ambitieuse : je la poursuivrai, en dialoguant aves les élus et en évitant toute stratégie de la défausse. Bien souvent, j'entends dire que tel problème n'est pas du ressort d'ADP. Les changements de plans d'approche ? « C'est l'Etat ». Le filtrage des passagers trop lent ? « C'est le sous-traitant ». Même chose pour le passage en douane, le positionnement des passerelles à l'arrivée des avions... Une telle attitude est nuisible et il faudra y remédier.

L'indice de responsabilité sociale et environnemental classe ADP au premier rang des dix-huit aéroports européens. Ce bilan est remarquable et je m'efforcerai d'être à la hauteur de mon prédécesseur.

La politique de ressources humaines d'ADP s'appuie sur un dialogue social nourri : 66 accords d'entreprise signés depuis 2007. La politique contractuelle est intense et le taux de grève infime : 0,02 % des heures travaillées en 2012.

Trois mois après mon arrivée à la Caisse des dépôts, on m'a parlé du stress au travail, ce qui m'avait étonné vu les bonnes conditions matérielles de la maison ; mais j'ai découvert que beaucoup d'agents craignaient une disparition de leur poste dans les cinq ans et ils s'inquiétaient pour leur avenir. Les collaborateurs doivent pouvoir s'adapter à de nouveaux emplois grâce à la formation professionnelle, être persuadés qu'ils ont vocation à rester dans l'entreprise et qu'ils ne seront pas des variables d'ajustement quand leur service disparaîtra. J'essayerai d'en faire de même à ADP.

Il faudra aussi que mes collaborateurs comprennent que le vrai pouvoir, on ne l'exerce pas, on le délègue : les procédures devront être moins centralisées. On ne parle pas suffisamment avec les collaborateurs grâce auxquels, sur les plateformes, le nombre d'incidents est aussi faible.

Lorsque les sous-traitants n'ont pas l'impression d'être respectés, ni suffisamment associés, ils revendiquent l'intégration dans l'entreprise et leurs salariés peuvent déclencher des grèves quand ils estiment avoir moins de droits que les autres. Nous devrons donc les associer pleinement aux objectifs de qualité de service.

Il faut convaincre les actionnaires privés que les objectifs de qualité, de même que l'attention portée aux salariés et aux sous-traitants, sont aussi importants que le résultat financier. L'Etat actionnaire a des exigences propres d'intérêt général que je m'efforcerai de prendre en compte. Nos actionnaires attendent un développement de la qualité puisque, sur la capacité, l'essentiel du travail a été fait. Le développement passe aussi par les commerces : en 2005, il a été décidé de sortir les commerces du périmètre régulé, pour leur donner un compte d'exploitation particulier. La dépense par passager a augmenté de 65 % entre 2007 et 2012, ce qui a largement contribué à la prospérité de la société et amélioré l'indice de satisfaction des clients. Les passagers arrivent en avance pour avoir le temps de faire les boutiques ! Nous ferons tout pour que ceux en provenance d'Asie et du Moyen-Orient choisissent Paris comme point d'entrée en Europe. Certains diront que les commerces de luxe, qui excluent les clients européens et américains, sont trop nombreux : je vérifierai que les terminaux ne comptent pas uniquement des restaurants de caviar...

ADP dispose de 1 300 hectares de terrains. Il faudra développer ce potentiel, notamment avec Fedex qui envisage de nouveaux investissements, et je compte relancer « Coeur d'Orly », que j'ai connu à la CDC puisque l'Icade en était partie prenante. Le projet est en sommeil depuis la crise des subprimes.

Pour l'international, j'ai trois certitudes : quand on est loin de ses bases, la capacité à se faire gruger est infinie ; je serai donc extrêmement prudent en ce domaine. Aéroports de Paris vient de dépenser 667 millions pour acheter TAV : la digestion financière de cette acquisition est une priorité, avant toute autre aventure. En revanche, je souhaite qu'ADP international, qui est une société d'ingénierie et de construction d'aéroports, se développe dans le monde parce qu'elle entraîne à sa suite les sociétés de BTP et de transport françaises. Dans les années qui viennent, la croissance mondiale sera de 5 % par an : 10 % pour les pays en développement, 1,5 % pour ceux de l'OCDE. Il faudra aller chercher la croissance là où elle sera.

Les marges d'ADP doivent continuer à progresser : l'ambition du dernier plan stratégique se fondait sur une hypothèse de croissance du trafic de 3,2 % annuels, ce qui autorisait mon prédécesseur à escompter un excédent brut d'exploitation avant amortissement en progression de 40 % entre 2009 et 2015, pour atteindre 1,25 milliard. Ces hypothèses de croissance sont revues à la baisse pour les trois prochaines années : les objectifs financiers devront l'être aussi.

Mon ambition est de convaincre l'ensemble des salariés qu'ils sont coresponsables de la qualité du service aux clients, qu'il s'agisse de l'accueil, des magasins, de la délivrance des bagages ou de la douane. Nous traiterons tous les « irritants » au sein d'ADP, tout ce qui ne fonctionne pas bien, et nous le ferons avec les intervenants extérieurs, les douaniers, les gendarmes, les compagnies aériennes, tous ceux qui participent au service global d'une plateforme aéroportuaire.

Je souhaite aussi que le CDG-Express soit en fonction avant la fin de mon mandat. Les passagers seraient accueillis à la gare de l'Est et leurs bagages enregistrés dès ce moment - on me dit que la chose n'est pas possible encore, pour des questions de sécurité et de fiabilité. Enfin, j'y insiste, je veux que la filiale d'ingénierie contribue à la projection des forces économiques de notre pays dans le monde.

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