Monsieur le Président, mes chers collègues, comme vous le savez, le programme « Préparation et emploi des forces » regroupe la majeure partie des dépenses de personnel et de fonctionnement des armées. Avec 23 milliards, ce programme est le plus important en volume de la mission Défense.
J'exposerai dans un premier temps l'évolution des dépenses de personnels, puis en remplacement de notre collègue Gilbert Roger, les dépenses de fonctionnement et de maintien en condition opérationnelle.
Le programme 178 rassemble 88 % des effectifs du ministère de la défense, soit 260 000 Équivalents temps plein travaillés (ETPT). Il s'agit à 84 % de militaires et à 16 % de civils. Ce programme concentre donc toutes les problématiques de la gestion des ressources humaines des armées. Il constitue aujourd'hui le coeur de ce que l'on appelle « la grande manoeuvre des ressources humaines » en cours.
Comme vous le savez, ce projet de budget est marqué à la fois par la continuité, liée à l'application de la loi de programmation notamment en matière de déflation des effectifs, et par une forme de rupture liée au décalage entre les ressources aujourd'hui programmées et celles initialement prévues qui atteint 10 milliards d'euros sur la période 2013-2015, soit quasiment une année de masse salariale du ministère hors pensions.
C'est donc dans ce contexte particulièrement contraint qu'il faut comprendre l'évolution du programme 178 pour 2013.
Je ne vais pas revenir sur la LPM, mais je rappellerai juste qu'avec une suppression programmée de 54 000 postes, la diminution du format d'ici 2014 est sans précédent : Il s'agit là d'une réduction de plus de 20 % de nos effectifs, 36 000 devaient procéder de l'optimisation des fonctions soutien, et 18 000 des unités combattantes.
Mais plus encore que la déflation des effectifs, c'est la réorganisation des méthodes, la dissolution d'organismes majeurs, la création des 60 bases de défenses, la mutualisation et la rationalisation du soutien commun.
Toutes ces réformes menées de front constituent autant de défis pour les armées qui sont en train de procéder à une transformation inédite par son ampleur. Les errements de ce qui devait être une optimisation du paiement des soldes avec la catastrophe que constitue le Logiciel Louvois et ses conséquences sont à comprendre dans ce contexte : une réforme sans précédent menée au pas de charge.
Comme l'a souligné le chef d'Etat-major des armées, la fin des déflations programmées sera sans doute plus difficile à réaliser. Elle ne résulte en effet plus de dissolutions massives de structures mais de rationalisations dans de multiples métiers. C'est un vrai défi. Compte tenu de nouveaux besoins, l'objectif de 54 000 ne sera probablement pas atteint. Cet objectif a été fixé avant que l'on ne décide d'augmenter les effectifs de notre base aux Émirats Arabes Unis, de réintégrer l'OTAN ou de maintenir une présence en Côte d'Ivoire.
Mais la diminution des effectifs est déjà considérable. Le « coeur projetable » de l'armée de terre devrait se situer en 2015 à 70 000 hommes, c'est-à-dire moins que le nombre de places dans le Stade de France. De même, les effectifs de la marine avec 35 000 marins en 2015, soit une diminution de 45 % en 18 ans sont, de fait, très inférieurs à ceux de la RATP.
Nos armées entreprennent un processus de transformation considérable, mais le paradoxe, c'est que d'un point de vue budgétaire, les économies directement liées à la réduction des effectifs ont été jusqu'à présent assez faibles. D'après la Cour des comptes, malgré la suppression de 29 000 emplois, la masse salariale a continué de progresser jusqu'en 2011. Pourquoi ? Pour une série de raisons qui s'additionnent : des dépenses non budgétées comme la réintégration dans l'OTAN, mais aussi l'amiante, l'indemnisation chômage, les dépenses sociales, une légère déformation de la pyramide des grades, mais aussi des dépenses qui avaient été anticipées et voulues et notamment la revalorisation de la condition militaire.
Un point sur ces mesures pour dire que si les traitements des militaires commencent à être alignés sur ceux de la fonction publique, compte tenu de la mobilité obligatoire des militaires, quand on regarde au niveau du ménage, à qualification équivalente, les militaires ont un revenu par famille de 17 % inférieur à leur homologue de la fonction publique, en raison de la difficulté pour les femmes de militaires de faire des carrières satisfaisantes. Ce budget prévoit une légère augmentation des autorisations d'engagement de 0,7 % et de 1 % des crédits de paiement.
Les principales mesures au titre du PLF 2013 sont la prise en compte de l'objectif gouvernemental de réduction en 2013 de 7 % des dépenses de fonctionnement par rapport à la LFI 2012 hors dépenses de fonctionnement dites incompressibles et la stabilisation puis la réduction de la masse salariale. Il est notamment prévu une diminution de la masse salariale de 5 % de 2012 à 2015.
2012 a été marquée par la poursuite des efforts de rationalisation et d'optimisation, mais aussi par un gel de 2 000 recrutements qui se poursuivra en 2013.
Il y a là un sujet de préoccupation. Si la déflation d'effectifs se fait en resserrant trop les recrutements, cela se traduira par :
- le vieillissement des armées,
- un déséquilibre de la pyramide des grades,
- un embouteillage des carrières,
- et vraisemblablement un gonflement des soutiens.
Ces évolutions, à l'opposé de ce que nous recherchons, se traduiraient par une désorganisation des structures opérationnelles.
On observe par ailleurs un télescopage entre la volonté de réduire les effectifs par des incitations au départ et l'allongement des durées de cotisation lié à la réforme des retraites. Les premiers effets de la réforme des retraites se sont fait sentir en 2012. On estime que la réforme va réduire les départs annuels spontanés de 600 par an.
Par ailleurs, suite aux remarques de la Cour des comptes et aux pressions de Bercy, le ministère de la défense a adopté un dispositif de contingentement qui réduira les flux d'avancement au choix de 15 à 23 % pour les grades d'officiers supérieurs selon des modalités encore à définir. Évidemment cela ne contribue pas au moral de ceux qui portent la réforme.
Je ne vais pas vous assommer de chiffres, je vous renvoie à notre rapport écrit pour ce qui est de l'évolution en détail de chaque ligne budgétaire.
Un mot sur quelques points qui méritent notre attention :
- l'intégration dans l'OTAN dont nous avons longuement parlé hier après-midi avec M. Hubert Védrine. La participation pleine et entière à l'OTAN se monte pour 2012 à 925 personnes. Au total, les surcoûts de la montée en puissance en année pleine hors budgets opérationnels, sont actuellement évalués à 75 millions par an.
- les forces de souveraineté, qui apporteront une contribution non négligeable à la déflation, avec une réduction entre 2008 et 2020 qui représentera 23 % des effectifs ;
- les forces pré-positionnées devraient voir leur coûts diminuer de 440 millions d'euros en 2011, à moins de 400 millions en 2014 ;
- un dernier mot sur les OPEX : depuis une dizaine d'années, le nombre de militaires français déployés en opérations extérieures était supérieur à 10 000. Il devrait être de l'ordre de 5 000 à la fin du mois de décembre. La forte diminution des forces projetées, après une longue période d'engagements soutenus, constitue un véritable défi pour les armées, qui doivent s'adapter, que ce soit en termes d'entraînement ou de gestion des personnels. Logiquement, cette déflation des opérations extérieures se traduit par une baisse des coûts, plus exactement du « surcoût OPEX », proche de 1,2 milliard d'euros en 2011, il devrait être de 873 millions d'euros à la fin de l'année 2012.
J'en viens maintenant aux dépenses hors titre 2, que notre collègue Gilbert Roger m'a demandé de vous présenter en son nom.
En dehors du titre 2, les dépenses regroupent les crédits consacrés au fonctionnement des armées, c'est-à-dire le soutien et l'entraînement opérationnel.
Beaucoup de dépenses incompressibles augmentent mécaniquement, c'est en particulier le cas des fluides ou de l'énergie. Parallèlement, le coût structurellement croissant du maintien en condition opérationnelle des équipements cannibalise progressivement les autres dépenses. De plus, avec le désengagement d'Afghanistan, les besoins en entraînement seront plus importants en 2013.
C'est dire combien l'équation a été complexe et combien les choix ont été difficiles. Au total, deux priorités ressortent :
- un effort de sincérité, en augmentant les crédits jusque là sous-évalués des bases de défense, et je dois dire que notre rapport d'information a eu un retentissement que nous n'avions pas imaginé, non seulement pour le niveau des dotations budgétaires mais aussi pour de très nombreux points d'organisation... vous en trouverez le détail dans le rapport écrit ;
- deuxième choix, préserver « le plus possible » le fonctionnement directement lié à l'activité opérationnelle.
Malgré un réel effort budgétaire, certaines évolutions alarmantes n'ont pu être stoppées, comme l'inexorable érosion du nombre de jours d'entraînement des forces.
Dans l'armée de terre, le nombre de jours d'entrainement sera de 105 contre un objectif LPM de 150. Qui plus est, les indemnités de service en campagne risquent de venir « sur-rationner » l'entrainement puisque 46 des 105 jours ne pourront donner lieu à indemnité : l'entrainement devra se faire dans les garnisons...
Pour la marine, la diminution continue des jours de mer observée ces dernières années se poursuit, on est à 88 jours en 2013 contre un objectif LPM à 100, et l'arrêt technique du porte-avions, avec un taux de disponibilité de 38 jours en 2013, viendra obérer encore davantage l'entrainement du groupe aéronaval et de la chasse embarquée.
Pour l'armée de l'air, le chef d'état major nous a décrit le même risque d'érosion des savoirs-faires opérationnels, avec un déficit d'activité de 20 % par rapport au besoin d'entraînement des équipages.
Ce qui est acceptable ponctuellement, dans une situation d'attente, ne l'est plus dans la durée. Nous approchons d'un seuil qui pourrait devenir critique, tant sur la préservation des compétences, que sur l'attractivité des carrières, voire sur la sécurité des personnels...
Les lignes budgétaires qui ont été rabotées sont celles de la vie courante de nos soldats : l'alimentation, les frais de mutation, la formation, le fonctionnement courant, la communication, qui, entre parenthèses, inclut aussi les campagnes de recrutement et peut donc s'avérer finalement être assez stratégique....
Quand on rogne sur le quotidien, dans l'univers complètement chamboulé que nous vous avons décrit l'an passé avec Gilbert Roger, quand les opérations extérieures diminuent, quand on contingente les promotions et qu'en plus, il y a des problèmes de versement de solde, quand des perspectives sombres se dessinent peut être sur le format, il ne faut pas s'étonner qu'on atteigne un « seuil d'alerte » en termes de moral des troupes. Tous les responsables nous le disent. Or ce sont les personnels qui portent la réforme !
En conclusion, je ne m'opposerai pas à l'adoption des crédits du programme 178 et de la mission défense, que mon collègue Gilbert Roger, s'il avait été là, vous aurait invité à adopter.
Sans préjuger du vote sur les crédits de la mission défense, la commission a donné un avis favorable sur les crédits du programme 178, les groupes SOC, UDI votant pour, les groupes UMP, EELV et CRC s'abstenant.