Je concentrerai mon propos sur la prospective de défense qui représente 1,1 milliard soit 57 % des crédits du programme et je vous dirai un tout petit mot concernant le soutien aux exportations, qui représente 15 millions d'euros, soit moins de 1 % du programme.
J'aurai cette année quatre observations à vous présenter : la première, sur le fond, est que le programme 144, et plus encore la partie « prospective de défense », est la seule action de la mission défense à augmenter de façon significative. Avec 9 % d'augmentation pour les crédits de paiement, qui passent ainsi de 994 à 1 084 millions d'euros, l'action détient certainement l'un des records d'augmentation pour le ministère de la défense. Cette augmentation est encore plus importante - 11,6 % - si l'on considère de façon spécifique la sous-action « études amont » dont les crédits de paiement passent de 663 millions à 707 millions d'euros.
Je mettrai néanmoins trois bémols à cette augmentation :
- le premier est que les crédits de ce programme ne représentent qu'une toute petite partie de la mission défense : 5 % - et la prospective de défense à peine 2,8 % du budget de la défense. Dans une enveloppe budgétaire qui diminue - à hauteur de l'inflation à venir - le fait qu'un programme - certes important - mais qui ne représente que 5 % des crédits, augmente, doit être pris avec satisfaction, mais de façon néanmoins modérée.
- le second bémol tient au fait qu'il me semble important de bien saisir la signification de ce phénomène. Dans une séquence de diminution globale des crédits de la défense qui semble s'amorcer - c'est ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques pour 2012-2017 - concentrer des crédits sur la prospective de défense et en particulier les études amont traduit tout simplement le fait que l'on essaie de préserver l'essentiel ou plus trivialement que l'on essaie de sauver les meubles. On réduit la voilure sur la production des équipements, mais on l'augmente sur la réflexion. En France on n'a toujours pas de drones. Mais on aura des études sur les drones. Plaisanterie mise à part, et si vous me permettez l'expression, c'est un peu comme le corps humain qui en cas d'hypothermie fait refluer le sang vers les organes vitaux. Or les études amont font sans conteste partie des organes vitaux. Ce sont ces programmes qui vont assurer la capacité de notre pays à concevoir - en toute autonomie - les armes de son indépendance. Derrière les études amont il y a les bureaux d'études et dans les bureaux d'études, la crème de la crème de nos ingénieurs de défense qui font la richesse de notre recherche. La recherche et le développement représentent entre 10 et 20 % du chiffre d'affaires des dix plus grands groupes de défense présents en France, qui emploient dans leurs bureaux d'études 20 000 personnes. Les études amont, c'est donc, pour paraphraser Helmut Schmidt, les armes de demain et les emplois d'après-demain. A condition bien sûr qu'après-demain il y ait encore des armes à produire.
- le troisième bémol tient au fait que, certes les crédits de paiement des études amont augmentent de 11,4 %, mais les autorisations de programme, elles, n'augmentent que de 0,5 %, c'est-à-dire qu'en réalité avec une inflation prévisionnelle à 1,75 % pour 2013, la capacité de l'Etat à engager des études pour préparer l'avenir va diminuer. Et cela est très inquiétant.
Quoiqu'il en soit ne boudons pas notre plaisir, pour l'instant, et espérons que cette augmentation ne soit pas qu'un feu de paille. Je vais donc faire cesser un suspense sans doute insupportable et vous recommanderai dans quelques instants d'adopter les crédits de la mission.
Sur la forme : le programme 144 a été substantiellement remanié dans sa « maquette budgétaire » 2013, c'est-à-dire dans sa structuration. Il faut convenir que la nouvelle présentation - qui concerne uniquement la sous-action « prospective de défense » - est beaucoup plus lisible, cohérente et facilite le contrôle parlementaire. Et là encore, il faut s'en féliciter.
Si l'on met de côté le côté « organique » c'est-à-dire les subventions aux écoles d'ingénieur sous la houlette de la DGA et les deux centres de recherche que sont l'ONERA dans le domaine aérospatial, et l'Institut Saint Louis, dans le domaine de la défense terrestre, on distingue trois types de prospective de défense :
- ce qui est appelé « l'analyse stratégique » et qui ne concerne en réalité que la partie prospective géopolitique et géostratégique de l'analyse stratégique proprement dit, c'est-à-dire l'ensemble des réflexions conduisant à structurer notre outil de défense. C'est la partie effectuée directement sous le contrôle de la Direction des études stratégiques et qui concentre cinq millions d'euros de crédits de paiement. Encore faut-il souligner que beaucoup d'études sont faites par des think tank, à la demande et sous la direction de la DAS.
- la « prospective des systèmes de forces ». Cette prospective consiste à dessiner, à partir des avancées des sciences et des technologies de défense, mais pas seulement, les évolutions des systèmes de forces qui structurent l'équipement de nos armées et faire apparaître les menaces, les risques de rupture technologique pour des équipements où nos armées risquent d'être surclassées, mais aussi de dévoiler les opportunités et les possibilités de constituer des avantages stratégiques à leur profit. Cette prospective est effectuée par la DGA. Elle donne lieu aux études techniques opérationnelles et à la rédaction du célèbre « PP30 » plan prospectif à trente ans, qui est en théorie censé tracer le cap, donner la route et indiquer aux industriels français les axes d'efforts de notre recherche de défense. Autant vous dire qu'il n'est pas très facile de se le procurer quand on est parlementaire. Je ne suis pas du reste certain qu'il soit très utilisé par les industriels eux-mêmes. Le dernier date de 2009 et n'a pas été remis à jour depuis, alors qu'il était censé l'être tous les ans. La prospective concentre trente trois millions d'euros de crédits de paiement.
- enfin les « études-amont » qui constituent le coeur de l'action et l'objet de toutes les attentions. Je vous livrerai simplement deux commentaires car ces études sont classifiées et la DGA veille, à juste titre, sur cette question comme sur la prunelle de ses yeux.
Le premier élément tient au fait que ces études se répartissent en quatre quart : un quart pour les études sur la dissuasion, un quart pour les études sur le système de force « engagement et combat », un quart sur les « études de base » de la DGA et enfin un quart pour tout le reste.
Le deuxième élément tient au fait que les études amont sont organisées selon des orientations définies par une circulaire ministérielle - la directive d'orientation des études amont mentionnée dans le programme annuel de performance. Nous l'avons demandée l'année dernière et on nous a répondu qu'elle n'existait pas. Nous l'avons redemandée cette année et nous avons eu une fiche de synthèse, ce qui est un progrès. Je ne désespère pas que l'année prochaine nous ayons enfin cette directive.
Troisième observation : les études consacrées à la dissuasion prennent une part croissante dans l'ensemble des études amont. En 2007, ces études ne représentaient que 118 millions, soit à peine 15 % des crédits, elles en représentent aujourd'hui 191, soit 27 %. Nous savons bien qu'il faut prendre ces chiffres avec des pincettes, puisque il ne s'agit pas de flux, mais en quelque sorte de jalons dans une programmation pluriannuelle de très long terme. Mais ce qui semble certain, c'est que le montant des études dédiées à la dissuasion va continuer à croître pour éclairer les choix de la future génération d'armes nucléaires, je pense aux sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, je pense aux évolutions futures de nos missiles balistiques, mais aussi à nos missiles à statoréacteurs - qu'ils soient hypervéloces ou supervéloces - que nous avons pu voir à l'ONERA. Je pense enfin et surtout, s'agissant de financements, à toutes les études liées à la simulation, qu'il s'agisse de la machine EPURE à Valduc, ou au LMJ (Laser mégajoule) à Bordeaux.
La dissuasion nucléaire est approuvée par une très grande majorité des membres de cette commission, qui a adopté un rapport d'information en juillet dernier sur l'avenir des forces nucléaires recommandant le maintien des deux composantes. Plus largement, la dissuasion nucléaire est approuvée par l'ensemble du Parlement et n'a pas été remise en cause au sommet de l'Etat. Le Président de la République a eu des paroles fortes sur ce sujet et nous les approuvons. Le budget pour 2013 traduit cet engagement et nous nous en félicitons. Mais il faut savoir que cela a un coût et que ce coût n'est pas nul. La dissuasion n'est pas bon marché, trois milliards et demi d'euros par an, même si de ce point de vue nos ingénieurs font des miracles et n'ont pas attendu la nouvelle révision du Livre blanc pour optimiser cette partie de l'outil de défense. L'optimisation a aussi ses limites. Il faut en être conscient.
Nos amis britanniques le savent bien puisque leur ministre de la défense vient de notifier à BAE un contrat de 390 millions d'euros dans le cadre du programme de renouvellement de la flotte de SNLE de la Royal Navy, programme connu sous le nom de successor deterrent. Ce contrat fait suite à celui de 407 millions d'euros, signé en mai dernier, portant sur les études de conception de ses futurs bâtiments. L'objectif est de remplacer, à compter de 2028, les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins du type Vanguard, entrés en service entre 1993 et 1999. Nous en sommes à peu près au même point.
Et donc, sauf à faire augmenter les crédits des études amont à due concurrence de l'augmentation des études dédiées à la dissuasion, celles-ci risquent d'exercer un effet d'éviction insupportable pour les autres segments de recherche dans les années à venir. Il me semble important que nous prenions date, dès cette année, afin que nul n'en ignore pour les années prochaines, et que tous soient bien conscients qu'il y a péril en la demeure.
Enfin, dernière observation, je dirai un mot rapide sur les exportations de défense. Elles bénéficient d'environ quinze millions d'euros de crédits de paiement pour 2013 qui serviront pour l'essentiel à abonder la part publique de l'organisation du salon du Bourget l'an prochain. L'effort d'exportation est crucial pour les industriels de la défense. Il leur permet de faire des profits qu'ils ne font plus sur leurs marchés intérieurs à cause de la diminution des budgets de défense. Cela est vrai pour tous les industriels de défense occidentaux, ce qui ne fait qu'accroître la concurrence qu'ils se livrent. Ce qui m'amène directement à mon observation. Le rapport annuel au Parlement sur les exportations d'armement a été rendu la semaine dernière. Le ministre de la défense l'a présenté aux députés de la commission de la défense et à ceux des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, réunis en audition commune, le 22 novembre. Je trouve qu'il eût été normal que le ministre de la défense prenne l'attache de notre président pour le présenter à notre commission dans le même élan et non pas trois mois plus tard.