Intervention de René Teulade

Réunion du 29 novembre 2012 à 9h30
Financement de la sécurité sociale pour 2013 — Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « L’ampleur persistante des déficits fait du retour rapide à l’équilibre des comptes sociaux une priorité absolue. [...] L’essentiel du chemin pour y parvenir reste à faire ». C’est par ces mots que s’ouvre le dernier rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.

Autrement dit, le redressement des comptes sociaux est plus que jamais un objectif impérieux qui, compte tenu de sa complexité, a trop souvent été délaissé ou marginalisé par les gouvernements précédents.

Sans vouloir donner une leçon d’histoire, je veux quand même rappeler que, en 1993, alors que nous exercions les responsabilités, nous avions fait voter une loi qui avait réuni l’accord de toutes les professions de santé et de tous les acteurs. Or cette loi n’a jamais été mise en œuvre, pour la bonne raison que les gouvernements qui ont succédé au nôtre n’ont jamais pris de décrets d’application.

Si l’effet de la crise économique est indéniable, comme en atteste la progression, entre 2007 et 2010, de dix points en termes nominaux des dépenses de protection sociale dans l’Union européenne, d’après les statistiques publiées avant-hier par Eurostat, les choix opérés par la majorité présidentielle précédente traduisent une prise de conscience tardive quant à la gravité de la situation de nos comptes sociaux, qui confine parfois à un certain laxisme. Les déficits records de 2010 – 29, 6 milliards d’euros – et de 2011 – 22, 6 milliards d’euros – en sont une parfaite illustration.

Face à ce lourd tribut, qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses, une attitude responsable interdit la dérobade. L’objectivité conduit à le dire, le Gouvernement actuel a ainsi pris la mesure des efforts à réaliser aussi bien dans le cadre de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale que dans celui de la loi de finances rectificative de cet été. Rappelons, d’ailleurs, que ce dernier texte doit apporter 1, 5 milliard d’euros de recettes nouvelles à la sécurité sociale, évitant par là même un nouveau dérapage des comptes du régime général pour cette année.

Ainsi, sans la loi de finances rectificative et les mesures contenues au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le solde cumulé du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse serait négatif à hauteur de 25 milliards d’euros pour 2013 ; grâce à ces deux lois qui sont courageuses – reconnaissons-le objectivement –, il s’élèvera à 14 milliards d’euros, soit un écart de plus de 10 milliards d’euros. Par conséquent, la volonté infaillible du Gouvernement de redresser les comptes de la sécurité sociale et de garantir ainsi la pérennité de notre système de protection sociale, loin d’être un mythe, est, quoi qu’on en dise, une réalité.

Pour autant, l’assainissement des comptes sociaux et, de manière plus générale, des comptes publics, ne doit pas être synonyme de rigueur aveugle, comme cela a pu être le cas, malheureusement, ces dernières années.

Aujourd’hui, même les institutions les plus libérales, telles que le Fonds monétaire international ou l’Institut de la finance internationale, rejoignent les fervents pourfendeurs de l’austérité, comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz, tous deux prix Nobel d’économie, et se font les chantres de l’assouplissement des politiques de consolidation budgétaire menées dans les États européens, notamment en Grèce.

À cet égard, comment rester insensible à la récession qui frappe sévèrement ce pays depuis six ans et qui affecte aussi d’autres États du vieux continent ? Derrière ce terme économique se cache un drame humain que l’indifférence ne peut qu’accentuer ; le doublement du nombre de suicides et de tentatives de suicides en terre hellène doit alerter tous les gouvernements qui pratiquent l’austérité à la chaîne, en négligeant l’impact de ces mesures sur les citoyens. Ici, j’en arrive à poser une question simple : quand une politique économique conduit de nombreuses personnes à abandonner la vie, comment peut-on encore la juger efficace ?

Le bon sens abhorre l’excès ; or une austérité excessive peut se révéler « digne de la sagesse d’un asile d’aliénés », pour reprendre l’expression utilisée par John Maynard Keynes en vue de dénoncer la politique économique du gouvernement britannique de 1931.

La réduction des déficits des comptes sociaux doit donc répondre aux principes qui ont permis l’alternance en mai dernier. La justice, l’équité et la solidarité, en particulier envers les plus vulnérables, ne peuvent être écartées au motif d’un quelconque pragmatisme économique qui commanderait de mettre en œuvre un budget si contraint qu’il sacrifierait la population et pénaliserait in fine la reprise de l’activité.

Malgré un contexte économico-social morne, le Gouvernement s’est attaché à ne pas tomber dans ce travers ; et malgré l’extrême difficulté d’élaborer un budget de la sécurité sociale qui allie réduction des déficits et protection des individus, il est manifestement parvenu à trouver un juste équilibre. À une politique qui sanctionnait les patients – franchises sur les médicaments, déremboursements et baisses des taux de remboursement des médicaments, majoration du ticket modérateur en cas de non-respect du parcours de soins –, le pouvoir exécutif a substitué une politique qui se veut à leur service, guidée par un principe de justice.

Pour preuve, le taux de croissance de l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, l’ONDAM, s’il demeure maîtrisé, est porté de 2, 5 % à 2, 7 % afin de mieux assurer la protection sociale des Français ; à cela correspond une enveloppe supplémentaire de 4 milliards d’euros, répartie équitablement entre les deux principaux sous-objectifs de l’ONDAM, les soins de ville et les soins hospitaliers. Cette progression des dépenses des soins de ville témoigne d'ailleurs de l’engagement pris par le Gouvernement de développer les soins de proximité et, ainsi, d’améliorer l’accès aux soins.

Entre notamment dans cette logique l’article 39, qui vise à valoriser la coordination et la continuité des soins, en particulier à un niveau pluriprofessionnel. Des équipes de professionnels de proximité garantiront aux patients de nouveaux services, à l’instar de l’éducation à la santé, de la prévention et du dépistage.

Quant à l’article 40, il s’attaque à un fléau qui ronge de plus en plus nos territoires : la désertification médicale. Si la fracture était auparavant principalement économique et sociale, elle est aussi, désormais, sanitaire. Il s’agit d’un net recul par rapport à l’après-guerre, période à laquelle avait abouti la lutte contre l’inégalité devant la santé et la souffrance, probablement la plus meurtrière et la plus insupportable des inégalités. Ledit article, qui a pour objet de permettre l’installation de deux cents médecins généralistes par an dans des zones où l’offre médicale est insuffisante ou l’accès aux soins difficile, est donc de nature à enrayer ce dramatique problème, important facteur d’exclusion sociale.

En outre, au regard de l’explosion des coûts médicaux qui, combinée à une dégradation de la situation économique de nombreux Français, a abouti à ce que près d’un tiers d’entre ces derniers renonce à se soigner, l’amélioration de l’accès aux soins passe nécessairement par une réduction des coûts afférents à la santé.

Afin de les diminuer, le Gouvernement a lancé plusieurs réformes, dont certaines sont actées par des dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Dans cette perspective, il est probant de citer l’article 42, qui abroge le secteur optionnel introduit par la précédente majorité dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, et l’article 47, qui met un terme au processus de convergence tarifaire et réaffirme la singularité ainsi que le rôle indispensable du service public hospitalier.

De surcroît, l’augmentation, parfois exponentielle, des dépassements d’honoraires requérait une réponse rapide, ferme mais concertée. En vertu de l’avenant à la convention médicale signé il y a quelques semaines, et contesté, les médecins du secteur 2 devront pratiquer les tarifs opposables envers les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, soit environ 4 millions de personnes.

Par conséquent, l’ensemble de ces dispositions favorisent objectivement l’accès aux soins à travers deux leviers majeurs : la réorganisation des soins, qui passe par le développement des soins de proximité et permet de lutter contre la désertification médicale, et la diminution des coûts pour les patients.

Parallèlement, je tiens à rappeler, sans prétendre à l’exhaustivité ni céder à la logorrhée, que des mesures de justice sont actées, en particulier en faveur des plus vulnérables.

Je pense ainsi à l’article 51, qui modernise la prise en charge des soins destinés aux personnes détenues, alors que le droit en vigueur date de 1994. En septembre dernier, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’était alarmé, à juste raison, de l’accès aux soins de ces personnes.

Dans le cadre de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, la réforme de la prise en charge de la tierce personne pour les victimes du travail ayant besoin d’une aide pour les actes de la vie quotidienne doit être saluée.

De manière analogue, le rétablissement automatique des droits aux allocations de logement à caractère familial et social, dès lors qu’un dossier de surendettement a été déclaré recevable par la commission en charge de l’examen, est une disposition qui agira comme un filet de sécurité.

Enfin, dans le cadre de l’assurance vieillesse, de nouvelles mesures d’équité sont intégrées au sein de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale. Les droits à retraite des exploitants agricoles et des agents des collectivités locales – pour ne citer qu’eux ! –, qui ont longtemps été négligés, se trouvent ainsi renforcés.

Par ailleurs, je souhaiterais insister sur la dynamique dans laquelle s’inscrit ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et mettre en exergue son aspect prospectif. Ce serait commettre une grave erreur que de le considérer indépendamment de la politique globale pilotée par le Gouvernement pour pérenniser notre modèle de protection sociale, souvent vilipendé ces dernières années, alors même qu’il a prouvé toute son efficacité et son utilité au plus fort de la crise économique.

Pour ce faire, je prendrai appui sur plusieurs réformes qui verront le jour au cours de ce quinquennat.

En premier lieu, la partie portant sur l’assurance vieillesse ne peut s’examiner qu’en tenant compte du décret du 2 juillet 2012, qui a élargi aux personnes ayant commencé à travailler avant l’âge de 20 ans la possibilité de partir en retraite à 60 ans lorsqu’elles ont cotisé une carrière complète. Aussi, elle ne préjuge pas des décisions qui seront prises à l’issue de la concertation prévue au premier semestre de 2013, et qui devraient aborder plus en détail les enjeux de pénibilité et d’inégalité entre les hommes et les femmes devant la retraite.

Plus structurellement, se pose de manière aiguë la problématique de l’employabilité des seniors, dont la situation s’est encore dégradée cette année. Pensée trop brutalement, la réforme des retraites de 2010 a poussé les seniors dans l’abîme mortifère qu’est le chômage.

Dans ce contexte, le vote de l’amendement de mon collègue Bourquin visant à rétablir l’allocation équivalent retraite, supprimée par la majorité précédente, est une mesure qui permettrait de lutter contre l’extrême précarité et la pauvreté des demandeurs d’emploi les plus âgés arrivant en fin de droits. J’espère sincèrement qu’elle trouvera une traduction dans le projet de loi de finances.

En deuxième lieu, le projet de loi de financement de la sécurité sociale n’est pas seulement un exercice financier, dénué de toute orientation sociétale. Au contraire, il permet des avancées remarquables et peut être source de progrès.

En l’occurrence, le texte présentement étudié, par la transformation du congé de paternité en un congé de paternité et d’accueil de l’enfant ouvert à la personne vivant avec la mère, est une reconnaissance pour les couples homosexuels féminins et consacre le rôle de la partenaire de la mère dans l’éducation de l’enfant.

Au moment où les objections passionnées autour du mariage pour tous les couples résonnent autour de toutes les tribunes, prenant prétexte de la défense de l’intérêt de l’enfant, la préconisation de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, datant de 2007, surgit comme un écho apaisant : « Il serait utile de substituer à la notion de congé de paternité, fondée exclusivement sur le lien de filiation, un congé d’accueil du jeune enfant ouvert au partenaire du parent, contribuant à l’éducation de l’enfant ». Qu’on se le dise : l’intérêt de l’enfant n’est pas contradictoire avec la volonté des couples homosexuels d’en avoir un.

De même, le remboursement à 100 % des interruptions volontaires de grossesse et la contraception pour les mineures, complétés au niveau réglementaire par une revalorisation des tarifs de l’IVG, sont une réelle éclaircie, à l’heure où dans de nombreux pays, notamment en Espagne ou aux États-Unis, la remise en cause de l’avortement, droit pourtant essentiel, est de plus en plus criante.

Enfin, la réflexion sur le vieillissement de la population, phénomène sociétal qui nécessite une réponse des pouvoirs publics à travers la mise en œuvre d’une réforme sur la perte d’autonomie, est amorcée dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Outre l’article 16, qui a pour objectif de mobiliser les ressources servant au financement de cette réforme, l’article 41 prévoit une expérimentation innovante, qui répond également à la problématique de l’accessibilité aux soins. En effet, le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie est aujourd’hui sibyllin et – nous le savons tous, que nous soyons ou non élus des territoires ruraux ! – pèse lourdement sur les familles. La mise en place des projets pilotes prévus par cet article assurera la continuité des soins et sera donc de nature à faciliter le suivi médical des personnes âgées.

La tentation est grande, notamment pour l’opposition, de jeter l’anathème sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale qui engage le redressement des comptes de la sécurité sociale. Cependant, derrière cet objectif impérieux, qui peut paraître austère, trônent les valeurs de justice, d’équité et la vision d’une société française libertaire et harmonieuse.

Le Gouvernement est confronté aux défis économiques, sociaux et sociétaux les plus éminents que la société française ait dû affronter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

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