Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chiffres sont accablants : chaque année, 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ; en 2011, on évaluait à 500 000 ou 600 000 le nombre de jeunes non diplômés de 16 à 25 ans n’étant ni employés ni en formation.
Pour autant, la situation des autres jeunes, ceux qui sont diplômés, est-elle plus enviable ? Oui et non.
Oui, bien sûr, parce que l’obtention d’un diplôme accroît considérablement les chances de trouver un emploi. Du fait de l’augmentation du niveau de qualification global des salariés, plus de la moitié de ceux-ci ont au minimum le baccalauréat ou un brevet professionnel.
Non, parce que le taux moyen de chômage des jeunes actifs de moins de 25 ans est tout de même de 19 %, soit près du double de la moyenne nationale, tous âges confondus.
Cela dit, un lien existe, nous le reconnaissons tous, entre l’insertion et l’emploi des jeunes, d’une part, et leur formation et leur niveau de qualification, d’autre part.
Gérard Larcher l’a dit tout à l’heure, le problème n’est pas nouveau ; son traitement a donné lieu à bien des tentatives, débouchant sur de petites réussites et de nombreux échecs… Les jeunes ne sont pas une population comme les autres : ils représentent l’avenir de notre pays, l’investissement le plus porteur qu’une nation puisse faire. Montrez-moi l’état de votre jeunesse, et je vous dirai quel futur vous préparez.
La condition des jeunes doit être envisagée dans sa globalité, ce qui nécessite de bousculer les classifications ministérielles traditionnelles.
Je voudrais mettre en exergue l’approche novatrice qui a abouti à la mise en place du plan « Agir pour la jeunesse » à partir de novembre 2009, projet ambitieux qui a tout de même porté quelques fruits et a pour vocation de faciliter l’orientation, de sécuriser la formation, de favoriser l’emploi et l’autonomie et d’encourager l’engagement. Cette approche globale me paraît importante, mais il semblerait, monsieur le ministre, que ce ne soit pas la vôtre et qu’à une politique transverse de la jeunesse, vous préfériez une approche sectorielle classique : ainsi, il n’est plus question que d’un volet « jeunes » au sein des politiques de l’emploi, de la formation initiale et continue, ce qui entretient le flou et pose la question de la cohérence de l’ensemble. Peut-être cette observation vous paraîtra-t-elle excessive ou injustifiée, mais c’est l’un des points sur lesquels il serait intéressant de vous entendre, car une clarification s’impose.
Nous nous interrogeons en particulier, monsieur le ministre, sur l’articulation de la politique que vous entendez mener en faveur des jeunes avec le plan « Agir pour la jeunesse ». D’ailleurs, que reste-t-il de ce plan ? À peu près tout apparemment, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, mais chacun des volets se trouve disjoint des autres, ce que nous regrettons.
Ainsi, le ministre de l’éducation nationale lance aujourd’hui un plan de lutte contre le décrochage scolaire, qui s’inscrit dans la droite ligne du plan « Agir pour la jeunesse ». Vincent Peillon n’a d’ailleurs pas manqué de saluer le travail effectué par ses prédécesseurs pour identifier les « décrocheurs ». Cet engagement spécifique s’inscrit donc dans une continuité.
Un autre point de continuité a trait à l’accent mis sur l’orientation, plus précisément sur la nécessité de nous doter d’un véritable service public de l’orientation, afin de passer d’une orientation trop souvent subie à une orientation enfin choisie.
Ce service public a été mis en place par la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Un service dématérialisé d’orientation a été créé par l’Office national d'information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, au début de l’année 2010, ainsi que des lieux physiques « uniques » de l’orientation.
Le 10 octobre dernier, vous avez annoncé à la commission des affaires sociales du Sénat vouloir aller plus loin en ancrant davantage ce service dans les territoires. Monsieur le ministre, nous voudrions en savoir un peu plus à ce sujet.
Un autre volet clef du plan « Agir pour la jeunesse » avec lequel vous semblez en phase est celui de l’accompagnement des jeunes, notamment des plus en difficulté d’entre eux, et du développement de l’alternance.
Le cœur de la question est donc bien entendu l’accès de tous les jeunes à une qualification. Nous ne pouvons que souscrire à l’objectif ambitieux que vous vous êtes fixé : diviser par deux, en cinq ans, le nombre de jeunes sortant du système scolaire sans formation.
Pour y parvenir, vous misez sur une carte des formations, établie par la région pour que l’offre soit – je vous cite – « définie au plus près du terrain ». Monsieur le ministre, comment comptez-vous définir une offre au plus près du terrain dans le cadre régional ? Nous ne nions nullement la complémentarité que vous signalez entre développement économique et formation, mais n’est-ce pas une vision théorique, surtout lorsque l’on sait le travail accompli par les communes et, surtout, les intercommunalités dans le cadre des plans locaux pour l’insertion et l’emploi, les PLIE, ou par les départements avec les maisons départementales de l’emploi et de la formation ?
Vous avez raison de dire que, avant toute autre chose, le système doit être simplifié, en particulier dans les territoires. Mais pour cela, encore faut-il se poser la bonne question : à quel échelon se situent les bassins d’emploi ? Nous ne sommes pas bien sûrs que ce soit à celui de la région. En disant cela, je ne remets pas du tout en cause le rôle très important de la région en matière de formation professionnelle, bien entendu, mais je m’interroge sur l’articulation avec l’échelon local, qui a vu naître de nombreuses initiatives et expérimentations, par exemple les maisons de l’emploi ou les écoles de la deuxième chance, avec une très bonne réactivité permettant de faire évoluer les dispositifs pour amplifier les réussites et remédier aux échecs.
Je voudrais à cet égard évoquer le cas de l’agglomération mulhousienne, où nous avons mis en place une maison de l’emploi. On observe qu’un certain nombre de jeunes sans qualification ont acquis des compétences dans le cadre de leur expérience professionnelle, voire extra-professionnelle, compétences qui peuvent être facilement transférables.
Notre expérience locale nous permet de dégager quelques principes.
Tout d’abord, l’approche ne doit pas être limitée à la seule formation, même si celle-ci est au cœur du problème, car les compétences acquises ou les transitions professionnelles ne doivent pas être négligées.
En outre – cette question est extrêmement difficile sur le terrain –, il convient de s’intéresser non pas exclusivement aux « stocks », c’est-à-dire aux jeunes extrêmement nombreux qui attendent une solution, mais aussi aux flux, pour éviter que les situations ne s’enlisent.
Enfin, dans toute la mesure du possible, il faut adopter une approche globale de la personne, plus efficace et préventive.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous annoncez vouloir développer l’alternance. Nous ne pouvons que souscrire à une telle ambition, car l’alternance est un dispositif clef. Mais comment comptez-vous procéder pour revaloriser l’alternance aux stades initiaux de la formation, là où elle est le plus nécessaire et, paradoxalement, le moins développée ? Surtout, comment comptez-vous le faire sans réformer parallèlement la formation professionnelle, comme le préconisait le rapport Larcher du 6 avril dernier ? S’agissant d’un problème aussi important, toutes les bonnes idées doivent être prises en considération, quelle que soit leur provenance.
Les contrats aidés – emplois d’avenir, contrats de génération – sont le dernier outil que vous évoquez pour donner aux jeunes qui en sont dépourvus une première qualification. Oui, le contrat d’avenir aurait pleinement pu jouer ce rôle s’il avait visé prioritairement les PME du secteur marchand, plutôt que le secteur non marchand. Vous constatez vous-même que « les petites entreprises restent les principales utilisatrices des contrats d’apprentissage », mais, dans le même temps, vous refusez de faire du contrat d’avenir un premier stade d’apprentissage en secteur productif.
Nous comprenons d’autant moins cette contradiction que, pour ce que nous en savons, le contrat de génération semble beaucoup mieux configuré pour les moyennes et grandes entreprises. Les deux dispositifs auraient pu être davantage complémentaires.
En conclusion, si, fondamentalement, le Gouvernement paraît vouloir poursuivre un certain nombre d’actions fortes engagées en faveur de la jeunesse, notamment sur le terrain de l’emploi, nous nous inquiétons de voir ces actions éclatées et parfois redéfinies selon des modalités qui, à nos yeux, sont problématiques, surtout en termes d’efficacité à long terme.
Reste un volet du plan « Agir pour la jeunesse » que nous ne retrouvons pas dans vos annonces : celui de l’engagement civique des jeunes. Cette dimension citoyenne, que nous promouvons les uns et les autres sur le terrain, est pourtant importante. Il convient en effet de créer un climat, un état d’esprit favorable à l’engagement des jeunes dans la cité, car l’avenir de la jeunesse ne se limite pas à l’emploi. §