Intervention de Jean Desessard

Réunion du 4 décembre 2012 à 16h00
Débat sur l'emploi la formation et la qualification des jeunes

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

… en mettant l’accent sur leur vécu, leurs préoccupations et leurs espérances, mais aussi sur leur analyse des modes d’organisation du travail dans lesquels on leur demande de s’insérer.

En ce qui concerne le public interrogé, plus de la moitié des jeunes ayant répondu à l’enquête ont des parents ouvriers, employés ou inactifs. Cette étude a donc permis l’expression de jeunes que l’on entend peu dans la sphère publique.

Que peut-on retenir de ces travaux ?

Tout d’abord, 40 % des jeunes interrogés ne se sont adressés à aucun acteur institutionnel, que ce soit un conseiller d’orientation, une mission locale ou un point information jeunesse, pour être aidés dans leur orientation.

Ensuite, les jeunes éprouvent des difficultés à réfléchir à leur avenir professionnel en fonction d’un métier. De surcroît, plus ils avancent en âge, moins ils ont une idée précise de leur avenir professionnel. Ce constat peut sembler paradoxal, mais il ne l’est pas tant que cela, puisque plus on avance en âge, plus on prend conscience de la réalité du monde du travail, de sa complexité et de l’évolution rapide des métiers.

Il ressort donc que disposer d’une information de qualité et diversifiée est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour que les jeunes puissent construire leurs parcours d’orientation.

L’accompagnement tient une place tout à fait centrale.

Ces dernières années, et nous pouvons nous en féliciter, les formules d’accompagnement des jeunes rencontrant des difficultés d’insertion sur le marché du travail ont été renforcées, en lien avec Pôle emploi. Pour les missions locales, les permanences d’accueil, d’information et d’orientation, accompagner un jeune n’est plus seulement l’informer, l’orienter, mais aussi lui proposer des formations, des offres d’emploi, trouver avec lui des réponses pour accéder à un logement, pour pouvoir se déplacer vers son lieu de formation ou son travail ; c’est prendre en compte l’ensemble des aspects connexes à la réussite de son insertion professionnelle.

Or, si les missions sont renforcées, la multiplicité des interlocuteurs peut être un frein pour des jeunes peu habitués aux méandres de l’administration, d’autant que l’accès aux droits n’est pas une évidence et que l’on observe une montée du non-recours aux prestations parmi les « salariés pauvres » qui cumulent les situations de précarité – en matière d’emploi, de salaire, de couverture maladie –, catégorie dont font partie les jeunes précaires.

Le développement de l’offre de services doit s’accompagner d’une bonne coordination et d’une bonne articulation sur le territoire.

Or, nous ne pouvons ignorer les difficultés des structures concernées, à l’image de celles que rencontre Pôle emploi suite à la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE. La réduction du personnel, la restructuration conduisent à gérer le fonctionnement et le tout-venant plutôt qu’à assurer les missions d’accompagnement en vue de répondre au mieux aux besoins des personnes. Un agent pour deux cents demandeurs d’emploi, c’est très peu…

Une meilleure articulation des intervenants et des niveaux d’intervention sur les territoires est donc indispensable.

Enfin, que nous disent les jeunes ? Ils nous disent qu’ils veulent un travail, un vrai ! En effet, toutes ces dispositions ne pourront suffire dans un contexte de délitement de l’organisation du travail et de la gestion des ressources humaines.

Parce que jeunes, parce qu’inexpérimentés, parce que demandeurs d’emploi, parce qu’en situation de précarité, ils sont davantage enclins à accepter des conditions de travail difficiles. Comme cela a été dit sur toutes les travées, ils sont surreprésentés parmi les titulaires de contrats atypiques, enchaînent sans fin stages, missions d’intérim, CDD, ce qui crée chez eux un sentiment de relégation. Dans ses enquêtes sur l’insertion des jeunes, le sociologue Bernard Eme le souligne : « Chaque nouvelle situation de travail ou d’insertion est ressentie comme une mise à l’épreuve pour une embauche définitive, mise à l’épreuve qui, finalement, ne fera que succéder à la précédente sans jugement donné. »

Qui plus est, au titre de ces contrats atypiques, les jeunes sont davantage assujettis à une tâche qu’inclus dans un collectif de travail et assimilés à l’entreprise. Soumis à l’exécution de cette tâche précise, ils n’ont pas accès à ce que le travail apporte d’autre que le salaire : la participation à un projet commun, la sociabilisation… Astreints à une course sans fin entre contrats, ils ne peuvent bénéficier de l’émancipation qui accompagne l’accès au travail et l’inscription dans un collectif.

Les jeunes expérimentent de fait les nouvelles formes d’organisation consommatrices de main-d’œuvre, cloisonnées, segmentées, au détriment d’une vision globale garante de sérénité et de créativité au travail, tant et si bien qu’ils semblent avoir fait une croix sur un emploi stable permettant de se projeter dans l’avenir et de construire sa vie. Ils expérimentent au quotidien le délitement d’une organisation du travail qui atomise les tâches et oublie que la reconnaissance individuelle passe par des mécanismes de reconnaissance collectifs et des appartenances sociales, familiales et professionnelles. Entre sentiment de déclassement et injustice sociale, l’expérience des jeunes préfigure celle de tous.

Aussi nos politiques publiques ne peuvent-elles se contenter d’additionner les dispositifs pour répondre au « mépris social » institutionnalisé ressenti par les jeunes. Est posée aujourd’hui la question des modes d’organisation du travail et de gestion des ressources humaines, qu’il nous faut repenser. Nous devons saisir, monsieur le ministre, l’occasion offerte par la conférence sociale pour prendre cette question en considération. Je vous remercie d’avoir ainsi ouvert le débat.

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