Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de l’emploi est particulièrement préoccupante, le chômage atteint un niveau historiquement élevé, et l’on peut craindre que la mobilisation des contrats aidés, la mise en place des emplois d’avenir et même celle des contrats de génération ne suffisent pas à inverser la tendance.
Voici quatre ans s’est déclenchée une véritable catastrophe sociale, dont l’ampleur est particulièrement inquiétante. Ce sont toujours les mêmes catégories sociales, les mêmes catégories d’âge et souvent les mêmes territoires qui sont le plus touchés. La réponse à un tel défi dépasse la seule politique de l’emploi ; elle relève de la politique économique générale.
Le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi qui a été annoncé récemment vise naturellement à répondre à cette problématique. Compte tenu du contexte, il sera sans doute nécessaire d’envisager de le compléter dans les prochaines semaines ou dans les prochains mois par un soutien actif à l’investissement. Cela ne sera cependant possible que si l’Union européenne veut bien considérer que ce type d’investissements n’a pas à être pris en compte dans le calcul du déficit public…
Pour autant, la politique de l’emploi n’est pas réduite à ne jouer qu’un rôle subsidiaire, ne serait-ce qu’eu égard à l’importance des moyens mis en œuvre à ce titre : l’ensemble des dispositifs concernant de près ou de loin l’emploi mobilisent près de 100 milliards d’euros chaque année. Le problème est qu’aucun de ces dispositifs, qui visent des objectifs et des publics différents, ne fait l’objet d’une évaluation, qu’elle soit régulière ou ponctuelle. La collectivité ne se donne donc pas réellement les moyens d’atteindre une efficacité optimale.
Je n’hésite pas à dire, monsieur le ministre, que c’est le poids des habitudes et des corporatismes, plutôt que le souci d’atteindre des objectifs crédibles, qui gouverne aujourd’hui le système de formation et d’emploi.
Nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire d’un tel constat ! Il nous faut envisager des transformations qui devront s’inscrire dans la durée, et ne pas nous limiter à des réformes ponctuelles. Trois au moins me paraissent indispensables : pratiques, opérationnelles, elles sont de nature à bouleverser certaines des habitudes auxquelles je faisais allusion.
En premier lieu, il est absolument nécessaire de mettre enfin un pilote dans l’avion. Sur le terrain, malgré la création des maisons de l’emploi et la fusion des ASSEDIC et de l’ANPE, la multiplication des acteurs a encore été accrue. Ils avouent consacrer près de la moitié de leur temps à se coordonner, au lieu de mettre en place des politiques actives. Il faut désigner un responsable, que ce soit l’État ou les régions. Dans les bassins d’emploi, un seul interlocuteur doit être en mesure d’actionner l’ensemble des leviers, en coopération avec les collectivités locales et les partenaires sociaux, de définir les objectifs sur une durée raisonnable, par exemple triennale. Son action devra être évaluée et permettre d’atteindre des résultats qui auront préalablement été discutés avec l’ensemble des parties prenantes. À défaut d’un tel regroupement sous une même autorité, nous n’atteindrons pas l’efficacité nécessaire sur le terrain.
En deuxième lieu, il faut aller plus loin dans la fongibilité. L’ensemble des crédits, qu’ils relèvent des politiques de l’emploi, de l’indemnisation du chômage ou de la formation, doivent pouvoir être mobilisés en fonction des besoins locaux. Cela suppose de faire tomber les barrières qui peuvent exister entre différents interlocuteurs, entre différents systèmes.
En troisième lieu, les partenaires sociaux doivent être placés devant leurs responsabilités. J’ai apprécié que, lors de sa conférence de presse, le Président de la République invite les syndicats et le patronat à s’engager au service de l’emploi et de la compétitivité. Mon seul regret est qu’il ait indiqué que si les partenaires sociaux ne prenaient pas leurs responsabilités, alors l’État les prendrait à leur place, une fois de plus. Dans ce domaine, l’État ne doit pas se substituer aux partenaires sociaux : il faut exiger des organisations syndicales, patronales et de salariés, qu’elles fassent en sorte d’orienter les moyens consacrés à l’indemnisation du chômage ou à la formation vers la lutte contre le chômage, la formation des personnes les moins qualifiées et la mobilisation de l’ensemble des acteurs autour de ces objectifs.
De ce point de vue, concernant l’emploi des jeunes, nous persévérons, d’une certaine manière, dans deux erreurs classiques.
La première est de vouloir mettre en place des dispositifs spécifiques. Je comprends l’intérêt des emplois d’avenir ou des contrats de génération : il faut répondre à l’urgence. Mais l’instauration de mesures spécifiques pour les jeunes conforte les employeurs dans l’idée qu’ils ne peuvent embaucher un jeune qu’à condition de pouvoir bénéficier de tels dispositifs.
Trente ans après la mise en place des missions locales, trente ans après les efforts engagés sur l’initiative de Bertrand Schwartz, nous devons ramener la politique de l’emploi des jeunes dans le droit commun, d’autant que, en mettant en place des mesures spécifiques, nous risquons de créer des tensions entre les diverses catégories d’âge, qui ont le sentiment de ne pas être traitées de la même manière alors qu’elles font face aux mêmes difficultés.
La seconde erreur classique, d’ailleurs difficilement évitable, est de faire une partie du travail qui incombe aux partenaires sociaux, et plus encore aux branches professionnelles. Sur le terrain, il est frappant de constater que ce sont les services des missions locales ou de Pôle emploi, ainsi que les élus pour une part, qui sont de fait chargés d’aider les jeunes à accéder à l’emploi. C’est pourtant la responsabilité des branches professionnelles. Où sont leurs moyens, leurs crédits, leurs ressources, leurs agents sur le terrain ? À quoi servent ces organisations, si elles se contentent de gérer les structures des organismes paritaires collecteurs agréés ou les secteurs particulièrement protégés, et de mobiliser les financements qui y sont attachés ? Peut-on considérer que le service public est parfaitement rendu dans ces conditions ?
Si nous voulons obtenir des résultats, en particulier en matière d’emploi des jeunes, en faisant en sorte que ces derniers puissent entrer plus tôt sur le marché du travail, il faut mobiliser les branches professionnelles, leur demander de s’impliquer sur le terrain et de servir d’intermédiaires entre les jeunes et les employeurs qu’elles représentent. Cela suppose de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour accompagner la mise en place des contrats en alternance. Je pense en effet que c’est en s’appuyant sur ce dispositif, plutôt que d’en inventer d’autres, et en encourageant la signature de contrats à durée indéterminée que l’on pourra apporter une solution satisfaisante et pérenne au problème de l’emploi des jeunes.
Monsieur le ministre, je me réjouis de la volonté du Gouvernement d’apporter à ces questions des réponses rapides, mais je pense que nous ne pourrons pas faire l’économie d’une réflexion plus globale sur ce que doit être une politique de l’emploi mobilisant les moyens alloués à l’indemnisation du chômage, à la formation ou à la défense de l’emploi via des allégements de charges et autres mesures. Nous devons engager aujourd’hui une transformation radicale des politiques de l’emploi menées depuis trente ans. Il est naturellement plus difficile de conduire de telles réformes en période de crise, mais cela est indispensable pour sortir de cette crise. §