Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes de nouveau réunis ce soir pour examiner la proposition de loi relative à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Ce texte prévoit de passer d’une interdiction de principe de la recherche, permise seulement sous dérogations, à une autorisation sous conditions.
Le 15 octobre dernier, j’ai exprimé le point de vue du Gouvernement : il ne semble pas pertinent de maintenir un principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Il s’agit donc de lever une restriction de la liberté de la recherche qui nous semble, pour reprendre les mots de Mme Laborde, relever d’une forme d’hypocrisie et qui fragilise les partenariats européens et internationaux.
Permettez-moi de rappeler certains principes clairs sur lesquels repose cette proposition de loi et qui ont été mis en avant par plusieurs d’entre vous lors du débat que nous avons eu il y a quelques semaines.
Premièrement, s’agissant des embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental, la recherche doit être limitée à des finalités médicales.
Deuxièmement, le couple qui fait don de l’embryon à la recherche doit être informé.
Troisièmement, doit être prévu un encadrement des procédures assurant la pertinence scientifique et le respect des règles éthiques, encadrement assuré par une agence ayant la capacité de diligenter à tout moment un contrôle de l’avancée de la recherche et des équipes.
Quatrièmement, enfin, les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.
Pourquoi cette proposition de loi est-elle une avancée tant attendue par les chercheurs ?
Quels sont précisément les enjeux sociétaux, éthiques et juridiques soulevés par cette proposition de loi à l’issue du débat que nous avons eu le 15 octobre dernier ?
La question n’est pas simple, et c’est l’une des raisons, monsieur Retailleau, de l’instabilité juridique que vous avez déplorée, lors de notre dernière séance, et invoquée pour réclamer une sorte de moratoire. Mais, vous le savez bien, il ne suffit pas de suspendre sa réflexion pour évacuer un problème.
C’est parce que la question est délicate, sensible et, d’une certaine manière, impossible à trancher d’une façon qui satisfasse tous les points de vue qu’elle anime régulièrement nos délibérations. Mais c’est précisément parce que c’est une question importante qu’il est de notre responsabilité de progresser dans les réponses que nous lui apportons.
Les solutions proposées jusqu’à ce jour ne sont pas satisfaisantes. Elles ne l’étaient pas en 2004, et le furent moins encore en 2011. La loi de 2011 organise une forme d’inefficacité scientifique, au nom de principes éthiques qu’elle ne respecte finalement pas. Je ne dis pas que nous devons dissocier convictions éthiques et science : la décision que nous prendrons, la loi qui sera votée, correspondra de toute façon à une certaine conception du vivant et de l’embryon.
Examinons d’abord les choses du point de vue scientifique.
L’intérêt de la recherche sur les cellules souches n’est plus à démontrer : elle permet de grandes avancées en termes de solutions thérapeutiques, de connaissance du développement humain. La question est de savoir si nous disposons d’alternatives aux cellules souches embryonnaires pour mener ces recherches.
J’ai entendu les arguments de ceux qui, pour défendre leurs légitimes convictions, veulent croire qu’il est possible de les remplacer par les cellules souches pluripotentes induites, IPS, par les cellules fœtales ou par les cellules issues du sang de cordon. Mais c’est un fait qu’il existe un large consensus parmi les chercheurs pour affirmer qu’aucune de ces solutions de rechange ne peut remplacer aujourd’hui les cellules souches embryonnaires. Au contraire, celles-ci sont indispensables pour parfaire les techniques nouvelles.
Chacune des solutions de rechange, que nous n’écartons pas par plaisir, comporte des inconvénients majeurs : les cellules IPS sont causes possibles de cancer, les cellules fœtales posent encore des problèmes techniques d’utilisation et les cellules issues du sang de cordon sont encore insuffisantes en nombre, difficiles à individualiser et à cultiver.
Voilà quels sont les termes scientifiques du débat.
Quant à la dimension éthique, comme l’a fait remarquer Mme Dini, ce sujet est sensible ; il dépend en effet, pour chacun de nous, de conceptions éthiques, religieuses, philosophiques, souvent liées à notre histoire personnelle.
Laissez-moi vous dire dans quel état d’esprit j’entends aborder cette question délicate, où la vérité n’est jamais qu’un horizon.
Je suis une ministre rationnelle, qui croit profondément à la notion de progrès. Mais le progrès, à mes yeux, c’est à la fois plus large et plus restrictif que le progrès scientifique.
Plus restrictif, parce que toutes les avancées scientifiques ne sont pas bonnes en soi, et qu’il nous revient, à nous, élus, citoyens, de faire le tri entre les usages que l’on peut en faire.
Plus large, parce que la notion de progrès suppose l’idée de sens, de direction. Et ce n’est pas la vocation de la science d’énoncer des valeurs, de définir le sens de la vie humaine ! C’est, dans l’acception la plus noble du mot, la vocation de la politique de définir les projets collectifs et de fixer les caps.
Il est important, j’en suis convaincue, que la loi à venir témoigne de notre confiance envers nos chercheurs et inverse la logique de la loi de 2011. Je préfère à la logique du soupçon, qui oblige le chercheur à solliciter des dérogations, celle de la confiance, qui lui permettra de mener ses recherches, dans le cadre de conditions bien définies, pour le bénéfice de la société tout entière.
Comme l’a souligné M. Berson le 15 octobre dernier, il ne revient pas aux sénateurs – ni même, ajouterai-je, au Gouvernement – « de dire ce que doit être la recherche scientifique ». En revanche, il nous revient, comme l’a également dit M. Berson, de « mettre à la disposition des scientifiques le cadre légal, strict mais protecteur, qui leur est nécessaire pour déployer leur recherche, en bénéficiant de cette confiance citoyenne sans laquelle il n’est pas d’avancées scientifiques partagées ».
Il ne s’agit pas de déréglementer les usages de la science. Il ne s’agit pas seulement de répondre à l’impatience des chercheurs. Mais il est légitime de se donner les moyens de trouver des réponses thérapeutiques, de répondre aux attentes des patients et de l’ensemble de la société.
En revenant sur cette interdiction, vous adresserez un signe fort non seulement à la communauté scientifique, en termes de liberté académique et de confiance, mais aussi aux malades et à la société tout entière.