Intervention de Rodolphe Belmer

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 5 décembre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Rodolphe Belmer directeur général du groupe canal +

Rodolphe Belmer, directeur général du groupe Canal + :

Je suis ravi d'être auditionné par votre commission. La création est au centre des enjeux de notre secteur. La stratégie du groupe Canal + vise à développer des moyens financiers et une mise en relation avec les talents pour permettre une montée en puissance continue en matière de création.

Le secteur des médias est aujourd'hui soumis à des évolutions profondes liées, d'une part, à la crise économique, comme vous le savez, et d'autre part, à la globalisation. Historiquement, c'est un secteur d'activités locales. L'État distribue des fréquences hertziennes aux acteurs locaux en échange d'obligations de financement et de création, ce que l'on appelle l'exception culturelle.

Cet écosystème, qui fonctionne très bien, repose sur la localisation des fréquences et les quotas de diffusion qui imposent 50 % de programmes d'origine française. Il permet de créer de la valeur par la publicité et les abonnements, et donc de la richesse qui irrigue notre secteur industriel. Ces deux éléments sont désormais mis à mal par la technologie, en particulier par l'Internet.

La consommation de programmes de télévision et de cinéma à travers Internet est devenue puissante et très massive. Aujourd'hui, seulement 36 % de la consommation audiovisuelle en France s'effectuent sur le hertzien, les deux tiers sont réalisés sur le numérique, satellite ou ADSL pour la moitié. Il ne s'agit pas d'un phénomène anecdotique ni du futur. Il est en constante accélération. Cela permet une liberté de choix total et des facilités en termes d'interactivité. Sur Canal + à la demande, les abonnés peuvent regarder les programmes du mois quand ils le souhaitent. Cela permet de s'abstraire de la programmation.

Internet est un facteur de pénétration très fort de la consommation vidéo. Le corollaire en est l'ouverture du paysage audiovisuel. La présence d'Internet dans un grand nombre de foyers français fait intervenir des acteurs qui ne sont pas forcément des acteurs locaux mais globalisés. Je citerai Google qui se déploie comme un acteur mondial de la télévision gratuite. Après avoir capté une grande partie du marché publicitaire avec les liens sponsorisés, la frontière nouvelle est celle de la télévision. Google a lancé cinquante chaînes de télévision mondiales basées aux États-Unis. Netflix est un acteur de la télévision par abonnement, concurrent de HBO et de Canal +. Il propose 15 000 heures de programmes pour un abonnement à 9,90 euros. Il est présent en Europe du Nord, en Amérique du Nord et du Sud, et devrait être accessible en France dans quelques mois. Amazon se déploie maintenant sur la télévision aux États-Unis, en Angleterre ou en Allemagne. Elle devrait arriver en France au mois de mars prochain. Apple est le premier acteur européen de la VOD.

Notre secteur est confronté à la globalisation. Comment faire pour que notre système d'exception culturelle - qui s'est révélé très vertueux puisqu'il a permis de financer la deuxième industrie mondiale du cinéma et de proposer à nos concitoyens des programmes d'origine française - mute et s'adapte à un monde globalisé qui n'est plus protégé par cette ligne Maginot qu'étaient les fréquences hertziennes ?

Dans l'univers Internet, un large choix est offert aux individus. Les quotas n'ont alors plus de sens. Que se passe-t-il ? Si on prend l'exemple du piratage qui est l'expression d'un choix, ce sont les séries et les films de « blockbuster » américains qui sont concernés. Sur Canal + à la demande, les mois où sont programmés les séries américaines attractives, 80 % de la demande s'exprime sur ces programmes.

Aujourd'hui, le choix des téléspectateurs se porte souvent vers des programmes américains car ils sont plus faciles de consommation et plus connus. Une fiction américaine moyenne est réalisée avec 100 millions de dollars de budget de production et 100 millions de dollars de budget marketing tandis qu'une fiction française ne dispose que d'un budget de production de 5,5 millions d'euros et d'un budget marketing marginal. Les programmes américains ont une notoriété très forte. Il existe un désavantage compétitif initial.

Le genre majeur regardé par les foyers dans le monde entier est la fiction, c'est-à-dire les séries. C'est le cas aussi en France. Dans notre pays, une série de prime time est produite avec un budget heure de 600 000 euros, à Canal + on investit un million d'euros, tandis que les Américains y consacrent 2,5 millions d'euros. La stratégie de notre groupe est d'investir dans les contenus pour une meilleure qualité et une approche plus cinématographique de nos fictions. L'argent fait partie des stratégies globales dans l'industrie audiovisuelle.

Tout le sujet est de disposer de programmes français qui suscitent autant un intérêt de nos concitoyens que les séries américaines et de qualité de production de classe mondiale. Comment lever un financement de niveau mondial pour nos programmes ? Telle est la problématique de l'exception culturelle dans un monde globalisé. Les Anglais ont un système de financement très performant. Ils ont lancé des extensions de la BBC partout dans le monde pour diriger les financements vers des programmes anglais.

Canal + a une stratégie de financement originale. L'objectif est d'augmenter le niveau de financement des oeuvres d'origine française, notamment pour le cinéma. On est passé de 1 à 1,6 million d'euros par film. Ce n'est pas pour rien que nous contribuons de plus en plus aux grands succès du cinéma français. Cela permet une valeur de production des films plus élevée.

S'agissant de la création originale, il est nécessaire de lever des fonds à l'étranger pour passer de 1 à 2 millions d'euros de budget par heure. Construire un système industriel permet de capter des financements à l'étranger et de produire des oeuvres françaises de classe mondiale, visibles et intéressantes pour un public étranger. C'est la stratégie de coproduction et d'expansion à l'étranger de Canal +.

Cette stratégie éditoriale fonctionne puisque des programmes attrayants sont développés. Ainsi, la série Braquo réalisée par Olivier Marchal a été récompensée par un International Emmy Awards. La série des Borgia a été vendue dans cent quarante pays dans le monde. La nouvelle série Les revenants est aussi un succès.

Quels sont les difficultés et enjeux ? Je ne m'étendrai pas sur l'enjeu de la mission confiée à Pierre Lescure de mutation de notre système d'exception culturelle pour l'adapter au monde numérique.

Sur les éléments fiscaux, nous devons être à armes égales avec nos nouveaux concurrents. Apple, par exemple, qui est le premier opérateur de VOD, est basé au Luxembourg qui applique un taux de TVA de 7 % pour la VOD contre 10 % bientôt dans notre pays. Cet écart de prix fait la différence. C'est intenable sur le long terme.

Sur un plan plus technique, se pose la question de la structure des droits. La crise de la fiction française résulte, selon les observateurs, de sa mauvaise qualité et de son sous-financement. En effet, elle est financée uniquement sur le marché local par les acteurs locaux. Canal + mène une politique de création originale haut de gamme, qui n'a aucun intérêt économique pour notre groupe puisque la loi française sur les droits audiovisuels impose aux diffuseurs de ne pas posséder de droits sur l'oeuvre qu'ils développent. Il faut avoir un sens du long terme pour agir ainsi ! Cette spécificité française décourage les diffuseurs français d'investir puissamment dans les oeuvres dans l'espoir d'en retirer un gain plus tard. Ils se concentrent uniquement sur la rentabilité immédiate du programme. C'est un vrai problème consubstantiel à la fiction française et à son financement.

Des problèmes se posent aussi avec nos nouveaux amis Qatariens. Le modèle de Canal + repose sur la création et le sport. L'attrait du sport permet de financer la création. Une concurrence déloyale est exercée par la nouvelle chaîne BeIN Sport, qui opère sur le marché français des droits sportifs sans logique de rentabilité économique. Or Canal + est obligé d'être rentable pour financer la fiction originale. Les pouvoirs publics doivent s'emparer du problème pour y mettre des règles.

Enfin, le taux de TVA auquel est soumis l'abonnement à Canal + a augmenté à plusieurs reprises ces dernières années. Il bénéficiait auparavant du taux réduit. Il a été porté à 7 % l'an dernier et il passera à 10 % en 2014. Cela représente un coût de 120 millions d'euros pour le groupe.

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