Intervention de Thierry Wahl

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 5 décembre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Thierry Wahl président de la commission pour la création d'un commissariat général à l'égalité des territoires

Thierry Wahl, président de la commission pour la création d'un Commissariat général à l'égalité des territoires :

Merci de cette audition que vous aviez souhaitée lorsque vous aviez reçu Mme Duflot il y a quelques semaines. Je tenterai de vous donner le plus d'informations possible en indiquant d'emblée les limites de l'exercice. D'une part, nos travaux portent sur la création d'un Commissariat général à l'égalité des territoires, et non sur les politiques globales et sectorielles concourant à l'égalité des territoires. D'autre part, nous avons commencé à travailler mi-septembre seulement, date à laquelle la ministre a installé cette commission. Celle-ci est constituée de hauts fonctionnaires de l'État central, des services déconcentrés de l'État et des collectivités territoriales qui, tous, ont une expérience différente des territoires. Entre autres, le préfet de Saône-et-Loire mais aussi des présidents de conseils régionaux, de conseils généraux ou de communes.

Le constat est partagé : une grande partie de nos territoires, des villes aux banlieues en passant par les zones rurales et périurbaines, souffrent de meurtrissures, de handicaps. Quelles réponses la puissance publique peut leur apporter pour un retour à l'égalité des territoires, souvent conçu comme un retour à l'égalité républicaine ? Je préfère parler de puissance publique plutôt que d'État, afin d'englober les collectivités territoriales.

L'État dispose d'outils pour soigner ces meurtrissures, qu'ils aient des effets territoriaux directs ou indirects. D'abord, des crédits spécifiques : ceux de la politique de la ville et du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire. Puis, les 50 milliards de concours que l'État accorde, par voie législative, aux collectivités territoriales : le chiffre atteint 70 milliards, voire 100, si l'on inclut les compensations fiscales. Ensuite, les crédits de droit commun, renforcés ou non, des grands pilotes sectoriels que sont l'Education nationale et les ministères sociaux. De fait, le but premier de l'Education nationale, qui est d'instruire, d'éduquer et de former les jeunes, est évidemment plus compliqué à atteindre dans les territoires où les difficultés sont aiguës. Enfin, les outils fondamentaux de moyen terme, la Datar, les contrats de plan et les fonds communautaires.

Quelle est l'efficacité, singulière et collective, de ces outils ? La cohérence d'action n'est sans doute pas totale. Le sujet, mentionné dans la lettre de mission qui m'a été confiée, est vaste. Mieux valait se concentrer sur la question centrale : quelle organisation de l'État, centrale ou partenariale, pour rétablir l'égalité des territoires ?

Cela supposait de s'entendre d'abord sur la définition de l'égalité des territoires : Comment mesurer les inégalités ? Ne risque-t-on pas de confondre inégalité et diversité, égalité et uniformité ? Quel est le bon instrument pour rendre compte des différences entre Forcalquier et Saint-Denis, La Souterraine et les quartiers nord de Marseille ? En fait, la meilleure manière d'appréhender l'égalité territoriale, à la fois de manière globale et sectorielle, est de parler d'accès aux services publics, à l'éducation, aux transports et à la mobilité et, plus largement, à la qualité de vie. Mi-octobre, nous avons remis à la ministre un rapport d'étape - il eût été présomptueux de parler de conclusions provisoires après un mois de travail - qui fait le point sur toutes ces questions. Il est accessible en ligne.

Pour un retour à l'égalité, il faut partir de l'idée avancée il y a longtemps par des personnes savantes, plus savantes que nous : il existe des macro-territoires durablement malmenés à cause de la désindustrialisation, du déficit d'éducation ou encore des mauvais résultats en matière de santé publique. Ceux-ci se situent au nord d'une diagonale qui relie la Haute Normandie à l'Ain. En clair, le grand Nord-est. Et le Languedoc-Roussillon ? S'il a des caractéristiques communes avec ces grands territoires durablement malmenés, sa situation n'est pas comparable : son attractivité démographique est forte et il s'y crée, quoique dans une moindre mesure, des emplois. A côté de ces macro-territoires, il faut tenir compte des inégalités infrarégionales et infra-départementales ; vous les connaissez bien, par exemple la Seine-Saint-Denis en région parisienne. Bien que d'emprise plus modeste, elles demeurent, génération après génération, et ce malgré la politique de la ville. En réalité, selon la focale territoriale utilisée, on aboutit à des résultats assez différents. Laquelle retenir ? Le sujet est fondamental pour l'organisation des politiques publiques.

A notre sens, chaque niveau de puissance publique doit intervenir là où il est le plus efficace selon un principe de subsidiarité. Il n'est sans doute pas de bonne administration que l'État agisse sur l'ensemble des territoires. Autant la Seine-Saint-Denis doit relever d'une politique nationale, autant, par exemple, les Hauts-de-Seine ont les moyens d'aider Gennevilliers - cet exemple n'engage que moi. Les auditions que nous avons menées tous les mardis nous ont confortés dans cette idée. Nous avons reçu des grands acteurs de l'État - les responsables de la Datar, du Secrétariat général du comité interministériel des villes, des préfets, les directeurs généraux de l'enseignement scolaire ou de la cohésion sociale, le secrétaire général du ministère de l'agriculture, des représentants des grandes associations d'élus - l'ARF, l'ADF, l'AMF, les associations Ville et banlieue et villes rurales pour ne citer qu'elles - mais peu de chercheurs car Eloi Laurent, que nous rencontrerons le 18 décembre, conduit, à la demande de la ministre, une mission de réflexion parallèle à la nôtre.

Pour être efficace, il faut sortir du discours traditionnel sur l'égalité républicaine - des moyens identiques partout - et organiser une présence de l'État à géométrie variable, selon les besoins. A l'origine plutôt jacobin, j'ai évolué. C'est une évolution que je constate aussi chez les préfets, un fait culturellement nouveau. Si nous ne suivons pas cette piste maintenant, nous pouvons craindre que les vieilles habitudes reprennent le dessus. D'ailleurs, le Premier ministre lui-même, en clôture du congrès de l'AMF je crois, a repris cette idée de présence de l'État à géométrie variable.

Nous avons travaillé en ayant à l'esprit les autres réformes lancées par l'État. Je pense à la réforme du Conseil d'analyse stratégique, sur laquelle Yannick Moreau a remis son rapport hier soir au Premier ministre, car la prospective sera un élément fondamental du futur Commissariat général à l'égalité des territoires. Il faudra donc veiller à l'articulation des deux organes. Je pense aussi à l'acte III de la décentralisation qui pourrait modifier l'armature du futur commissariat et encore au travail entrepris par le ministre délégué à la ville sur la géographie prioritaire - je rencontrerai sa directrice de cabinet dans dix jours. Nos différents travaux n'auront de sens que si quelqu'un ramasse les copies et en assure la cohérence.

Le nouvel outil que sera le Commissariat général à l'égalité des territoires sera construit sur la base historique de la Datar. La ministre, je le crois, compte en annoncer sa création lors du 50ème anniversaire de la délégation. Soyons clairs : nous présenterons différents scénarios, non un seul. Pour l'heure, nous avons seulement esquissé des trames qui seront examinées en séance plénière la semaine prochaine. Quoi qu'il en soit, nous avons défini des invariants pour la future structure. Premièrement, mieux imaginer les grands enjeux des collectivités territoriales dans vingt à trente ans, un travail que la Datar, pour des raisons diverses et variées, effectue de manière moins dynamique qu'à sa période glorieuse. Deuxièmement, poser des diagnostics territoriaux et apporter l'ingénierie du développement territorial aux petites collectivités qui en ont besoin. Troisièmement, insister sur la nécessité d'un partenariat étroit entre l'État et les collectivités territoriales. Quatrièmement, coordonner l'élément déterminant qu'est le Haut conseil des territoires et le futur commissariat, le second pouvant devenir une espèce de super-secrétariat du premier, à moins que l'on ne privilégie la formule du Grenelle, en associant toute une série d'acteurs - a priori, nous recommanderons plutôt d'éviter des consultations trop nombreuses.

Quel pouvoir d'action le futur commissariat aura-t-il sur d'autres crédits que ses moyens propres : pourra-t-il formuler des avis ou des recommandations sur les 50 milliards de concours aux collectivités territoriales ou encore sur les crédits de l'Education nationale ? Dans le dernier cas, si le ministère fait des efforts de discrimination positive entre les territoires, cela reste insuffisant. Faut-il une instance veillant à la cohérence ? Je n'ai pas encore la réponse.

Autre invariant, pour traiter les sujets de manière transversale, le Commissariat général à l'égalité des territoires devra être rattaché au Premier ministre. C'est incontournable pour assurer son autorité morale et politique. Enfin, une question : la politique de la ville n'est-elle pas suffisamment structurante pour demeurer identifiée en tant qu'outil et en tant qu'organisation administrative ? Derrière ce débat, se pose la question de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine et de l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, dont les missions diffèrent et qui portent des jugements distincts sur les résultats.

Fin décembre, nous présenterons ces scénarios à la ministre. J'ignore à ce jour si nous en recommanderons un ou si nous nous bornerons à les détailler en soulignant la faisabilité, l'acceptabilité, les avantages et les inconvénients de tel ou tel.

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