Le sujet est vaste, l'ambition noble ; je mesure la complexité de votre tâche. Déjà, il fallait dissiper l'ambiguïté qui pesait sur votre mission : traiter de l'organisation de la politique d'égalité des territoires, et non de la politique elle-même.
Vous avez cité mon département de Seine-Saint-Denis. Là-bas, nous faisons face à l'urgence économique, sociale et morale. Nous ne parvenons pas à enrayer le départ des classes moyennes et supérieures que les classes populaires vivent mal : nous avons de plus en plus le sentiment de vivre dans une réserve. Dans cette situation, les moyens traditionnels de l'État sont compliqués à mobiliser : chacun a son tuyau, son délai, sa procédure, sa ligne de crédit et son mode d'action. Plutôt qu'un grand machin national, pardonnez-moi l'expression, créons une action différenciée selon les territoires à partir des outils existants. L'égalité républicaine est un beau principe auquel j'adhère. Ne doit-il pas cependant signifier qu'il faut mettre plus à certains endroits ? En Seine-Saint-Denis se posent la question des transports, celle de l'éducation, celle du cadre de vie. Je constate des améliorations, par exemple pour la police, mais nous recevons les agents qui sortent des écoles et ils nous quittent aussitôt qu'ils en ont l'occasion. Le problème des commissaires n'a pas été trop mal réglé : maintenant les nôtres sont aussi bien payés qu'en province.
Cela dit, le sujet central n'est-il pas un État territorial avec plus de moyens et des procédures différentes, pour répondre à l'urgence dans les territoires les plus en difficulté, le mien comme ceux du Nord ou de l'Est ? Laissez-moi vous donner un exemple : j'ai mené l'implantation d'Eurocopter à l'aéroport du Bourget - elle représentait 20 000 emplois. Sans le préfet, et surtout l'Elysée derrière nous, nous n'aurions pas gagné contre les services de la Défense qui voulaient aller en Allemagne, contre France Domaine à qui j'ai arraché un terrain, ou contre l'administration des finances. En tant que président d'une communauté d'agglomération, j'ai pris le risque d'acheter un terrain, que j'ai fait dépolluer et déminer. L'opération, totalement dérogatoire, a pris 12 à 15 mois, contre 6 ans normalement, disent les industriels. Le trésorier-payeur général actuel me poursuit au motif que nous aurions gagné trois francs six sous dans l'affaire.... Je ne dis pas qu'il faut tordre les procédures, car tout ce que nous avons fait était légal ; il faut les adapter. Donc mobilisons les outils existants en recourant à des procédures extraordinaires si besoin est.
Mieux vaudrait parler de transport, d'éducation ou de médecine, ce qui est déjà plus concret, ou plutôt de lutte contre les inégalités ou encore d'équité si nous ne voulons pas que cette politique soit un miroir aux alouettes : car l'égalité des territoires, nous le savons, est inatteignable.
Enfin, personne ne comprendrait au Sénat que la question de l'aménagement du territoire ne soit pas traitée conjointement avec le volet de la décentralisation.