La politique de vaccination de la France se caractérise par un objectif encore insuffisamment ferme et par des résultats contrastés. Mais c'est aussi une politique fragilisée car le consensus assez large dont fait l'objet, dans notre pays, la vaccination, comme protection à la fois individuelle et collective, se réduit : entre 2005 et 2010, la proportion de personnes ayant une opinion positive de la vaccination est passée de 90 % à 60 %. C'est sans doute le résultat des difficultés rencontrées par de récentes campagnes de vaccinations spécifiques, contre l'hépatite B et contre la grippe H1N1.
Par la loi de santé publique du 9 août 2004, notre pays s'est assigné, en matière de vaccination, des objectifs ambitieux qui ne sont pas atteints aujourd'hui. Cette loi comprenait cent objectifs de santé publique, dont deux visaient spécifiquement la vaccination : porter le taux de couverture vaccinale de la population contre dix principales maladies à 95 %, et celui de certains groupes à risques, contre la grippe, à 65 %. Huit ans après la fixation de ces objectifs, nous avons cherché à évaluer dans quelle mesure ils avaient été atteints. Les données manquent ; c'est une des fragilités de la politique vaccinale. Mais nous avons pu constater que les résultats sont mitigés : les taux visés n'ont que rarement été atteints au terme du délai de cinq ans que la loi avait fixé. En effet, ces objectifs n'ont pas été définis avec suffisamment de finesse. Le taux de 95 % s'appliquait uniformément à toutes les pathologies, alors que la situation était pour chacune bien différente. Pour certaines maladies, l'objectif était donc extrêmement difficile à atteindre, quand pour d'autres il décrivait quasiment l'existant. Quant au taux de 65 % qui s'appliquait aux groupes à risques - personnes en affection de longue durée, professionnels de santé, personnes âgées de plus de soixante-cinq ans - il était trop ambitieux : par exemple, la définition de l'objectif de couverture vaccinale des professions de santé a été faite en s'inspirant de la situation aux Etats-Unis, qui est difficilement transposable !
Notre taux de couverture est donc très nettement insuffisant pour certaines pathologies : pour la grippe, il est inférieur de dix points à celui de la Grande-Bretagne, pour l'hépatite B, il est le plus faible d'Europe après la Suède, et pour la rougeole, il ne suffit pas à empêcher le maintien de poches de réceptivité, car 1,5 million de personnes ne sont pas immunisées contre cette maladie. C'est ainsi que nous avons connu récemment une résurgence très importante de la rougeole : 22 000 cas entre 2008 et 2011, engendrant 900 pneumopathies, 26 encéphalites et 10 décès. Triste record des pays d'Europe occidentale !
Quelles sont les causes de cette situation peu satisfaisante ? D'abord, la difficulté du suivi de la couverture vaccinale : les données sont insuffisantes et fragiles. Les données administratives concernent surtout les enfants, avec le certificat de santé qui doit être rempli au vingt-quatrième mois, et les jeunes scolarisés. Mais l'information, qui doit être centralisée dans chaque département avant d'être transmise à l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) est incomplète : elle porte sur un quart environ des quelque huit cent mille enfants nés chaque année, et est transmise de manière très irrégulière par les départements. La consolidation des données sur le statut vaccinal des très jeunes enfants est donc difficile, alors que c'est l'essentiel : plus l'enfant acquiert une mémoire immunitaire tôt, plus celle-ci est efficace. Pour les enfants scolarisés, les données sont transmises par la médecine scolaire, mais elles sont assez imprécises et peu suivies. Elles montrent en tout cas que tous les enfants ne sont pas à jour de leur couverture vaccinale. Il existe enfin des enquêtes sur le statut vaccinal des personnes, mais elles sont ponctuelles. A cet égard, la disparition du service national a privé l'épidémiologie du dernier dispositif qui permettait de couvrir au moins la partie masculine de la population. Malgré les efforts de l'Inpes, qui procède également à des sondages, les données manquent et, quand elles existent, elles ne sont consolidées qu'avec retard : l'Inpes a réussi à gagner un an sur les trois ans de délai, mais cela reste trop long. Des progrès ont été faits, en revanche, dans la surveillance épidémiologique des incidents vaccinaux et dans la pharmacovigilance.
Le calendrier vaccinal est de plus en plus complexe (il est passé de 2 à 52 pages), alors que le nombre de vaccinations obligatoires est restreint : tétanos, diphtérie, et poliomyélite, tous les autres vaccins ne faisant l'objet que de recommandations, souvent nuancées. Cela traduit sans doute l'hésitation croissante de la communauté médicale et scientifique sur le bon usage de certains vaccins, mais le calendrier s'apparente de ce fait davantage à un document scientifique qu'à un guide pour les familles. Nous n'avons évidemment pas pris partie dans le débat sur le choix entre recommandation obligatoire et vaccination recommandée, car cela excède nos compétences, mais nous avons cherché à l'éclairer en rendant compte des positions des uns et des autres.
La multiplication des recommandations figurant dans le calendrier vaccinal découle aussi de la concurrence d'expertise qui s'est instaurée entre les institutions qui concourent à son élaboration. L'Agence nationale de sécurité du médicament (anciennement Afssaps) donne, pour un vaccin, une autorisation de mise sur le marché, si le rapport entre bénéfices et risque est positif. Le comité technique de la vaccination intervient ensuite : il dépend du Haut Conseil de santé publique, et est rattaché à sa commission des maladies transmissibles. Composé d'une vingtaine d'experts, il réfléchit pour chaque nouveau vaccin à la stratégie vaccinale dont il pourrait faire partie. La Haute Autorité de santé (HAS), créée par la loi de 2004, comprend une commission de la transparence qui intervient pour évaluer le service médical rendu par chaque vaccin, ainsi que l'amélioration du service médical qu'il permet. Enfin, le comité économique des produits de santé négocie, sur la base des éléments précédents, le prix du vaccin avec ses fabricants. Mais cette mécanique ne fonctionne pas aussi clairement qu'elle le devrait. Il y a concurrence d'expertise entre le comité technique de la vaccination et la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé : ainsi, quand le comité technique de la vaccination avait prévu, dans le cas de la vaccination contre l'hépatite A, un certain périmètre de vaccination, la commission de la transparence de la HAS, sur la base d'une autre expertise, l'a diminué.