Intervention de Alain Rousset

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 décembre 2012 : 1ère réunion
Création de la banque publique d'investissement — Audition de M. Alain Rousset président de l'association des régions de france arf

Alain Rousset, président de l'ARF :

Est-il pertinent de rassembler Oséo, la CDC et le FSI ? Oui, à condition, et c'est aussi l'objectif, de simplifier le soutien aux entreprises, de faire qu'il soit plus réactif qu'aujourd'hui. Dans notre modèle encore bien trop jacobin, il faut parfois un an avant que l'entreprise obtienne une réponse fiable pour une aide, là où quelques semaines suffisent aux États-Unis, c'est tout à fait disproportionné. Du reste, et j'en ai un exemple chez moi avec une entreprise de bois, le problème rencontré par l'entreprise dans son développement n'est pas toujours ou pas seulement financier, comme les patrons de PME peuvent le croire, mais c'est bien plus souvent un manque d'outillage face à tout ce que demande la mutation d'une PME en ETI ; pour passer d'une organisation où la secrétaire de direction et le comptable s'occupaient de tout, il faut passer à des départements fonctionnels, un bureau de R&D, nommer un responsable export, mieux responsabiliser les équipes... Le défi concerne d'abord l'organisation du travail. Or, l'appareil productif français est vieux, y compris dans sa tête : nous avons bien des progrès à faire de productivité, avant même de parler de compétitivité... Les entreprises ont besoin d'une plateforme unique pour obtenir une réponse rapide et transversale, avec un suivi dans le temps. Le monde bancaire français ne joue pas suffisamment ce rôle : contrairement à ce qui se passe, par exemple en Californie, il manque de compétences techniques pour aider efficacement les entreprises et nous devons le suppléer.

La BPI disposera-t-elle de moyens suffisants ? On commence tout de même avec 30 à 40 milliards, c'est très loin d'être négligeable au moment où le crédit bancaire se rétrécit. Cependant, et j'y veillerai avec la plus grande attention, il ne faudrait pas qu'Oséo soit utilisé pour combler le manque de fonds propres des entreprises. Les entreprises françaises subissent les fonds d'investissements cannibales et nous payons cher le manque de passerelle directe entre l'épargne des ménages et l'investissement des entreprises - comme il en existe avec les fonds de pension - mais ce n'est pas un motif pour détourner Oséo de ses fonctions.

Faut-il que les régions se regroupent pour soutenir efficacement leur tissu économique ? Je ne crois pas que le problème soit celui de la taille des régions. Voyez ce qui se passe en Espagne, ou en Allemagne : l'Aragon compte deux millions d'habitants, un tiers de moins que Midi-Pyrénées, mais dispose de moyens bien supérieurs et d'une politique exemplaire de soutien aux entreprises aragonaises ; même chose pour la Navarre, qui a su bâtir à Pampelune une filière des plus dynamiques dans les énergies renouvelables ; voyez encore le land de Hambourg, qui compte 1,8 million d'habitants mais qui peut aider les PME deux fois plus que l'Aquitaine et Midi-Pyrénées réunies ! Le vrai problème n'est pas la taille des régions, mais l'inachèvement de la décentralisation : la France est le seul pays d'Europe à avoir conservé un système de type napoléonien ! A-t-on besoin de fonctionnaires dans tous les secteurs, y compris l'activité économique ? Les compétences des préfets sont-elles bien adaptées au développement économique ?

L'intervention de la BPI risque-t-elle de se substituer à celle des banques ? Nous devons effectivement limiter du mieux possible tout effet de substitution. Les régions interviennent déjà en garantie d'emprunt, jusqu'aux trois quarts ou aux quatre cinquièmes du risque, c'est déjà très important. Certaines régions, du reste, en sont venues à envisager la mise en place d'un service public bancaire, ce qui est tout à fait compatible avec le droit européen, en passant par l'appel à manifestation d'intérêt - cinq pays européens se sont déjà pourvus d'un tel dispositif.

Comment mobiliser davantage l'épargne populaire pour investir dans les entreprises françaises ? L'idée est ancienne, Alain Savary le premier s'y était essayé en Midi-Pyrénées, j'ai voulu suivre sa voie en Aquitaine mais j'ai essuyé un échec, les banquiers de la place ayant littéralement refusé de jouer le jeu... Les Allemands sont parvenus à créer une structure idoine, où les épargnants voient directement la destination des fonds qu'ils placent dans les entreprises locales, en connaissance du risque et des perspectives de rémunération. Pourquoi n'y parviendrions-nous pas ? Je crois qu'avant de regarder l'épargne comme une possibilité d'investir dans l'économie, nous devrons passer par une véritable révolution culturelle... Il ne faut pas perdre de vue, non plus, le caractère risqué de tout investissement : quand un grand parent place de l'argent en assurance vie pour les études de ses petits-enfants, il compte dessus et il préfère ne pas courir le risque de voir son capital fondre avec celui d'une entreprise qui échouerait !

La BPI travaillera-t-elle avec la Banque de France ? C'est certain, je ne me fais aucun souci sur la question : l'expertise sera partagée.

Doit-on soumettre les prêts à certaines conditions sociales ou environnementales ? Attention à ne pas se substituer à la négociation sociale. La BPI doit de soucier d'abord de l'efficacité économique, de la stratégie de l'entreprise, de la façon dont elle doit se structurer pour se développer.

Quelle articulation avec la décentralisation ? La question mérite à elle seule un vrai débat. Je crois qu'en tout état de cause, nous devrons aller plus loin dans la décentralisation, car notre organisation actuelle nous coûte trop cher en doublons, en retards, en opacité et en complexité, autant de défauts qui disparaissent lorsqu'on fait confiance à l'intelligence territoriale pour trouver les meilleures solutions. Je ne connais pas un pays qui ait regretté la décentralisation, y compris sur le plan de l'égalité territoriale : confiez une compétence à la région, les inégalités territoriales reculent ! Regardez ce qui s'est passé avec les maisons de retraite en Limousin : la décentralisation a permis de combler les carences. Que la BPI dispose de comités d'orientation, très bien, mais à condition que leur composition ne soit pas dictée depuis Paris !

Le texte fait déjà mention de l'économie sociale et solidaire, le président Raoul l'a rappelé.

La BPI aidera-t-elle au développement des territoires ruraux ? Cela me paraît d'autant plus naturel que 60 % des emplois industriels y sont aujourd'hui localisés : c'est un fait peu connu mais bien réel, et les territoires ruraux ont encore tout le potentiel pour développer leur emploi industriel. En revanche, je m'inquiète de voir les agglomérations revendiquer les pouvoirs économiques confiés à la région : car si demain les agglomérations avaient tous les pouvoirs, les territoires entreraient de nouveau dans une compétition fratricide ! Les agglomérations ont déjà bien des leviers, attention à ne pas leur donner aussi les aides directes, confiées aux régions : les entreprises peuvent délocaliser à des milliers mais aussi à quelques kilomètres seulement, avec des effets négatifs très importants, ne l'oublions pas ! Je crois donc essentiel de conserver la compétence régionale pour les aides directes, à charge pour les régions de définir des stratégies de développement.

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