Intervention de Martial Bourquin

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 décembre 2012 : 1ère réunion
Création de la banque publique d'investissement — Examen du rapport pour avis

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur pour avis :

Ce projet de loi met en oeuvre le premier des soixante engagements du Président de la République, celui de créer une BPI, outil essentiel pour le rétablissement de la compétitivité de notre pays au service d'une politique de croissance durable et d'emploi.

Les très petites entreprises (TPI), les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de notre pays ont souvent du mal à financer leurs projets de développement. Le récent rapport sénatorial de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires l'a montré. Les critères de rentabilité et de risque des financeurs privés, notamment des banques, empêchent d'éclore nombre de projets pourtant viables. C'est le constat de ces défaillances du marché qui justifie en premier lieu l'intervention financière des pouvoirs publics, cette intervention ayant pour objectif d'entraîner les financeurs privés par des mécanismes de cofinancement.

La nécessité de cette action publique est admise depuis longtemps. Je tiens d'ailleurs à souligner la qualité du travail réalisé par OSEO et la Caisse des dépôts et consignations dans ce domaine. Il y a chez OSEO une culture de la proximité, de la simplicité et de la réactivité qui est appréciée des entreprises. Il y a dans les filiales de la Caisse des dépôts, une vraie expertise dans le domaine des fonds propres. Sans elle, aujourd'hui, le marché français du capital investissement serait complètement sinistré. La finalité de la création de la BPI n'est donc pas de sanctionner une carence des outils existants, mais au contraire de s'appuyer sur des compétences et des qualifications reconnues pour leur offrir un cadre plus ambitieux, capable de mieux répondre aux insuffisances actuelles du financement de notre économie.

Notre dispositif d'appui financier aux entreprises est en effet trop complexe et trop dispersé. L'État, la Caisse des dépôts et les régions agissent au travers de dispositifs trop nombreux. Cela pose un problème évident de cohérence dans le pilotage d'ensemble. Depuis plusieurs années, des efforts importants ont été réalisés pour que les acteurs communiquent mieux, à la fois au plan stratégique et opérationnel, mais il faut aller plus loin. La BPI va permettre l'intégration d'OSEO et des filiales de la Caisse des dépôts dans un ensemble bénéficiant désormais d'une direction unique et mettant en oeuvre une stratégie définie de façon plus cohérente. L'association étroite des régions à la gouvernance de la BPI ira dans le même sens.

L'objectif final de cette rationalisation du dispositif n'est évidemment pas de créer un beau schéma sur le papier. Il est de mettre fin à l'empilement des outils de financement sur le terrain et donc de rendre l'offre de financement public plus lisible et plus accessible pour les entreprises. Cela répond à une demande forte du monde économique. J'ai reçu les représentants de la Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) qui me l'ont confirmé.

Le second grand objectif de la création de la BPI est de renforcer les liens entre les outils de financement public et la stratégie de développement économique, tant au niveau national que régional, comme l'a rappelé Alain Rousset, président de l'Association des régions de France (ARF) lors de son audition. La BPI aura, d'un côté, une mission de financement qu'on pourrait qualifier de générale ou de systémique en direction de l'ensemble des TPE et des PME. Toute entreprise ayant un projet, et des difficultés à le financer, pourra s'adresser à elle. Mais la BPI aura aussi - et cela est beaucoup plus novateur - une mission de financement ciblé sur des priorités nationales définies par l'État. Ainsi, la BPI ne se situera plus strictement dans le champ des justifications libérales à l'intervention économique de l'État, qui est de pallier les défaillances du marché : elle se rattachera à une tradition différente, celle de l'État stratège et organisateur. La BPI viendra ainsi en appui des grandes priorités nationales dans le domaine de la politique industrielle, notamment en matière d'organisation des filières, ou encore dans le domaine de transition écologique et énergétique. Dans ce schéma, nous avons besoin de l'État, qui fixe la stratégie, et des régions, qui ont la connaissance fine des territoires. Je pense en particulier à la plasturgie, importante pour la filière automobile : les usines se trouvent dans l'Ain, qui est en région Rhône-Alpes et pas en Franche-Comté, où est Peugeot.

Le projet de loi qui nous est soumis comprend deux grands types de dispositions : il crée les organes de la BPI et il en définit les missions. Tout d'abord, la loi met en place un établissement public, l'EPIC-BPI, destiné à porter la participation de l'État dans une société de holding, la société anonyme BPI. L'État détiendra la moitié du capital, la Caisse des dépôts l'autre moitié. Au-dessous de cette tête de groupe, on trouvera deux filiales, une filiale « crédit », qui reprendra les compétences d'OSEO, et une filiale « fonds propres », qui fusionnera le Fonds stratégique d'investissement et CDC Entreprises.

La direction du futur groupe sera confiée au directeur général de la SA BPI. Il sera membre d'un conseil d'administration de 15 membres dans lequel les deux actionnaires seront majoritaires, avec 4 représentants pour l'État et 4 pour la Caisse des dépôts. Dans un souci d'exemplarité en matière de gouvernance, le texte donne également deux places aux représentants des salariés. Les autres membres sont les trois personnalités qualifiées et les deux représentants des régions.

Pour compléter la gouvernance du groupe, sont créés des organes d'orientation stratégique. Un comité national d'orientation sera chargé d'exprimer un avis sur les orientations, la doctrine d'intervention et les modalités d'exercice par la société de ses missions d'intérêt général. Le président du comité sera désigné parmi les représentants des régions. Par ailleurs, dans chaque région, un comité régional d'orientation, présidé par le président du conseil régional, sera chargé de formuler un avis sur les modalités d'exercice par la BPI de ses missions et sur la cohérence de ses orientations stratégiques avec le plan régional de développement économique.

Les députés ont adopté quelques modifications à cette partie du texte. Ils ont introduit un principe de parité dans les organes de gouvernance ; ils ont renforcé le poids des régions dans le comité national d'orientation et, sans doute par erreur, supprimé la disposition prévoyant que le président du conseil régional est aussi président du comité régional d'orientation de la BPI. Je vous proposerai un amendement pour corriger cette erreur. Enfin, ils ont fortement renforcé le contrôle du Parlement, notamment en obligeant la BPI à faire chaque année devant lui un bilan de son action et en intervenant dans la nomination du directeur général de la SA BPI. J'estime que le texte transmis au Sénat a atteint sur ces différentes questions un point d'équilibre satisfaisant.

Certains ont émis le souhait de modifier profondément l'organisation de la BPI. Des schémas alternatifs ont été évoqués dans la presse. L'un d'eux propose de « remonter » la filiale crédit correspondant à l'actuel OSEO, pour en faire la tête de groupe. Le principal argument avancé est financier. Actuellement, la SA OSEO finance son activité de crédit en levant des fonds sur les marchés financiers et elle le fait à un coût très faible - taux souverain plus 20 points de base - parce que, du point de vue des marchés, la SA OSEO bénéficie de la garantie totale de l'État français via l'EPIC OSEO. Or, certains craignent que le nouvel organigramme, dans lequel la holding BPI s'intercale entre l'État et la filiale crédits, soit perçu comme une forme de désengagement de l'État et que cela aboutisse à un coût de refinancement plus important. Je n'y crois pas un instant. La filiale « crédit » de la BPI, dans le schéma du projet de loi, est adossée à une tête de groupe qui bénéficie de la garantie à 100 % de l'État et de la Caisse des dépôts, dont la qualité de signature est équivalente. La garantie des pouvoirs publics dans BPI-crédit est donc totale et, d'ailleurs, elle est déjà reconnue par les marchés. Si ces derniers, qui connaissent depuis plusieurs semaines l'organisation prévue pour la BPI, avaient un doute sur la qualité des émissions de BPI-crédit, ils l'auraient déjà exprimé par une perte de confiance envers OSEO qui est appelée à devenir cette filiale de crédit. Or le taux de refinancement d'OSEO ne s'est pas détérioré.

Par ailleurs, je tiens à le rappeler : faire remonter OSEO en position de tête de groupe ferait entrer les banques privées actionnaires d'OSEO dans le capital de la société mère, à hauteur de 2 %. Ces banques seraient donc représentées dans le conseil d'administration, ce qui ne me paraît pas souhaitable.

Certains voudraient aussi renforcer davantage la place des régions. Des ajustements sont évidemment encore possibles et je vous en proposerai d'ailleurs un. L'essentiel à mon sens est qu'on reste dans le cadre d'une association étroite des régions à la gouvernance de la BPI sans remettre en cause la responsabilité première de l'État dans son pilotage. La priorité va à l'accompagnement des entreprises sur le terrain.

Cette formule est juste et équilibrée. D'un côté en effet, les régions font beaucoup pour accompagner les entreprises de leur territoire. Il est donc essentiel que la gouvernance de la BPI reflète cette réalité. Pour autant, le pilotage stratégique de la BPI doit rester sous la responsabilité première de l'État et son pilotage opérationnel, sous la responsabilité de son directeur général. La BPI est en effet un outil au service d'une stratégie nationale de soutien aux entreprises, de restauration de la compétitivité et de stimulation de la croissance et de l'emploi. Son capital sera d'ailleurs détenu à parité par deux acteurs, l'État et la CDC, dont le périmètre d'action et les objectifs sont clairement de ressort national. Compte tenu de la nature des moyens et des missions de la BPI, les régions doivent être associées à l'action de la BPI, mais leur compétence étant le développement économique régional, il serait incohérent qu'elles en soient les pilotes.

Ensuite, le projet de loi comporte des dispositions relatives aux missions et à la doctrine d'intervention de la BPI. Dans sa rédaction initiale, l'article 1er, qui définit ces missions, était très concis : il indiquait que la BPI est un groupe public au service du financement et du développement des entreprises, agissant en appui des politiques publiques conduites par l'État et les régions. Le texte ajoutait que la BPI favorise, par son action, l'innovation, le développement et l'internationalisation des entreprises, en contribuant à leur financement en prêts et en fonds propres.

Cette concision dans la définition de l'objet de la BPI s'expliquait sans doute par le fait que son cadre d'action est déterminé en grande partie par des normes supérieures à la loi, qui s'appliquent sans qu'il soit besoin de le préciser expressément. Ainsi, la BPI doit se conduire en investisseur avisé quand elle octroie des prêts ou investit en fonds propres. Elle ne peut pas évacuer totalement de ses critères de décision la prise en compte du retour sur investissement et du risque raisonné. Cela découle des règles relatives au droit de la concurrence et aux aides d'État, qui s'appliquent même si la loi nationale ne le précise pas. Pour les mêmes raisons et sans qu'il soit besoin de l'indiquer expressément, la BPI ne peut pas venir se substituer de façon générale à l'activité des établissements privés de crédit ou de capital investissement.

Les députés ont cependant opportunément introduit plusieurs précisions utiles pour mieux fixer le cadre d'action de la BPI. Ils ont d'abord clairement indiqué que la BPI orientera en priorité son action vers les TPE, les PME et les ETI, en particulier celles du secteur industriel. Ils ont aussi mieux défini le champ de son offre en précisant qu'elle développera une offre de service et d'accompagnement des entreprises dans leurs projets de développement. On passe ainsi d'une offre de produits financiers stricto sensu à une offre intégrée mêlant à la fois produits financiers et services d'accompagnement. La BPI ne sera pas seulement un guichet qui offre un catalogue de produits standardisés répondant à des besoins de financement prédéfinis. Les chargés d'affaires de la BPI devront entrer dans un dialogue stratégique avec les entreprises en leur apportant un regard extérieur, une analyse et un conseil sur leurs possibilités de développement. L'enjeu est de les guider vers les bons outils, de les pousser à l'innovation, à la croissance et à la recherche de gains dans l'efficacité opérationnelle. Cela se fait déjà en partie bien sûr, mais de manière informelle. Désormais, la loi systématise cette démarche en l'inscrivant dans les missions mêmes de la BPI. Au passage, cela justifie d'autant plus la fusion d'UBIFRANCE au sein de la BPI, puisque le métier d'UBIFRANCE est axé sur l'accompagnement vers l'export.

Les députés ont également explicité la doctrine de la banque. Elle interviendra en investisseur avisé de long terme et agira en complémentarité avec les acteurs financiers privés en favorisant la mobilisation de l'ensemble du système bancaire sur les projets qu'elle soutient. Il ne saurait en effet être question que la BPI prête aux secteurs risqués et que les banques classiques concentrent leur action sur les secteurs les moins risqués. La BPI doit avoir un effet d'entraînement.

Mais la BPI ne sera pas qu'un acteur s'inscrivant dans une logique d'investisseur avisé. Dans le domaine des subventions à l'innovation et des interventions en garantie, il n'existe pas d'offre sur le marché classique, ce qui justifie pleinement une intervention selon des critères d'intérêt général. Par ailleurs, les députés ont précisé la fonction stratégique de la BPI en indiquant qu'elle vient en appui de diverses stratégies nationales : elle accompagnera la politique industrielle, notamment pour soutenir les stratégies de développement de filières ; elle participera au développement des secteurs d'avenir, de la conversion numérique et de l'économie sociale et solidaire ; elle contribuera à la mise en oeuvre de la transition écologique ; enfin, elle pourra stabiliser l'actionnariat de grandes entreprises porteuses de croissance et de compétitivité pour l'économie française. Le rôle stratégique de l'État est donc bien affirmé.

Au total, il me semble que, sur la question des missions de la BPI, le texte tel qu'adopté par l'Assemblée nationale est globalement satisfaisant. Je vous présenterai quelques amendements, mais rien qui le modifie de façon substantielle. À cet égard, je tiens d'ailleurs à attirer votre attention sur la nécessité de garder à la BPI une priorité d'action clairement définie. L'annonce de sa création a en effet nourri des attentes et des espérances si fortes et si diverses qu'elles pourraient placer la BPI devant un risque paradoxal : être victime de son succès. Tous les acteurs, publics ou privés, dont les besoins de financements ont du mal à être satisfaits par des mécanismes privés voient dans la BPI une réponse potentielle à leurs difficultés.

Cependant, il faut être clair sur le fait que la BPI n'a pas vocation à devenir le couteau suisse de l'intervention économique publique. Elle est, et doit rester, d'une part, un outil d'appui au financement des entreprises, prioritairement les TPE, les PME et les ETI indépendantes, et, d'autre part, le bras financier d'une stratégie nationale de compétitivité et de croissance. Une dilution de ses missions conduirait à un saupoudrage de ses interventions et à une perte d'efficacité. Le volume de moyens mis à la disposition de la BPI sera voisin de celui dont disposent actuellement OSEO et la Caisse des dépôts. Ajouter des missions nouvelles à moyens quasi constants impliquerait nécessairement une dégradation des missions fondamentales.

En particulier, la problématique du financement des collectivités territoriales ne relève pas des missions de la BPI. Il existe d'autres outils pour cela : l'enveloppe d'urgence de 20 milliards d'euros annoncée récemment par le gouvernement et la mise en place d'une banque spécialisée dans le financement des collectivités sous la houlette de la Banque postale et de la Caisse des dépôts.

La BPI n'est pas non plus un outil d'aménagement économique du territoire. Certes, l'appui financier aux TPE et aux PME ne peut que contribuer in fine au développement d'un tissu commercial et productif de proximité participant d'un aménagement du territoire équilibré. M. Alain Rousset, président de l'ARF, nous rappelait que 60 % des entreprises sont en territoire rural : lorsque l'on aide les entreprises, on développe donc les territoires ruraux. Cependant, l'existence ou la recherche de convergences entre l'action de la BPI et les stratégies d'aménagement du territoire n'implique pas que la BPI ait vocation à se substituer aux outils conçus spécifiquement pour remédier aux difficultés endémiques de certains territoires, ni qu'elle ait vocation à venir compenser l'assèchement financier de certains de ces dispositifs - on peut penser notamment à l'étranglement financier dont est victime le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC).

Enfin, la BPI n'est pas non plus une banque « hôpital », pour reprendre une expression utilisée par M. Nicolas Dufourcq, chargé d'une mission de préfiguration de la BPI, lors de son audition. Elle pourra bien sûr intervenir auprès d'entreprises qui connaissent des difficultés passagères de nature conjoncturelle - crise de trésorerie ou insuffisance temporaire du carnet de commande - voire structurelle - dans le cas par exemple d'une entreprise dotée d'une capacité de rebond malgré une insuffisante modernisation de ses équipements ou de son offre - mais elle n'interviendra qu'auprès d'entreprises qu'un appui public a des chances raisonnables d'aider à rebondir, sans quoi elle y perdrait sa crédibilité et sa solidité.

Pour conclure, je souligne deux points. Premier point : notre économie traverse une crise grave et il est important que la BPI soit en mesure de répondre de manière réactive aux difficultés conjoncturelles pour limiter l'ampleur de son impact. Mais, au-delà de ce rôle contra-cyclique, la BPI est avant tout un outil destiné à poser les bases d'un financement sain de nos entreprises sur le long terme. Deuxième point : la BPI n'est elle-même qu'un aspect de la politique générale de redressement industriel et productif engagée par le Président de la République et le Premier ministre. C'est une pièce dans un vaste édifice en train de se mettre en place. D'abord, la BPI s'inscrit dans une réforme globale du financement de notre économie, réforme qui comprendra aussi une réforme bancaire pour séparer les activités spéculatives des activités de financement de l'économie réelle, ainsi que la création d'une nouvelle bourse pour les PME-ETI. Dans ce chantier du financement, il faudra sans doute aussi se pencher sur la question des délais de paiement et du crédit interentreprises. Enfin, la réforme du financement s'inscrit à son tour dans un pacte de compétitivité plus global, qui implique des réformes fortes dans le domaine de la compétitivité coût et hors-coût. Je vous invite donc à donner un avis favorable à l'adoption du projet de loi relatif à la création de la BPI, assorti de quelques amendements.

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