Mais, au-delà des sourires, avouons que c’est assez grave. Cela traduit une véritable discontinuité de l’action publique, aggravée par l’oscillation entre l’humain et l’urbain. Quand un ministre décidait de privilégier l’un de ces deux volets, son successeur optait pour l’autre ! Cela a été, me semble-t-il, très préjudiciable. Comme je l’ai indiqué, et je pense que vous en êtes d'accord, monsieur le ministre, il faut faire les deux. C’est ce que nous dirait un élève de CM2 ; alors, montrons-nous aussi intelligents ! §
La création des dotations de solidarité fut également un élément très important.
La dotation de solidarité urbaine, ou DSU, a été instituée sous les gouvernements Rocard et Cresson, avant d’être modifiée de manière importante par Claude Bartolone, puis par Jean-Louis Borloo. Elle permet de compenser la pauvreté structurelle de certaines villes. Disant cela, je veux qu’il soit bien clair que, si certaines communes sont pauvres, c’est non parce qu’elles gèrent mal leurs dépenses, mais parce que leurs recettes sont structurellement très inférieures à celles d’autres villes.
La dotation de développement urbain, ou DDU, a été créée un peu plus tard. Elle permet à des villes de pouvoir assumer les frais qu’impose la rénovation urbaine. Ce fut, là aussi, une étape notable.
Quel bilan peut-on en tirer ?
Il est difficile de répondre à une telle question : l’on ne saura jamais ce que seraient devenus les quartiers sans la politique de la ville. Néanmoins, en tant qu’ancien maire, je pense que, sans la DSU, nombre de communes seraient en réelle faillite. Ne l’oublions pas.
Cela dit, il est vrai que le bilan n’est pas entièrement satisfaisant. Deux analyses récentes viennent malheureusement de le confirmer. Je parle du rapport de la Cour des comptes, La politique de la ville : Une décennie de réformes, et du rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, qui montre, comme l’indique le Premier ministre, la permanence, et parfois l’aggravation des inégalités entre les quartiers de la politique de la ville et le reste du territoire, et ce dans tous les domaines : chômage, pauvreté, santé, éducation, insécurité…
Je souhaite d’ailleurs apporter une précision. Dans les rapports comme celui de l’ONZUS, on étudie seulement les territoires. Or certaines populations dont la situation s’améliore quittent ces territoires. Si c’est certes un motif de satisfaction pour elles, il n’y a pas lieu cependant de s’en réjouir : nous ne pouvons pas accepter que certains territoires se spécialisent dans l’accueil de la pauvreté. Ce n’est pas ma vision de la République !
Et faisons attention aux termes que nous employons : ne parlons pas de territoires « sas », comme cela figure dans le rapport, pour désigner la spécialisation de certains territoires dans l’accueil de la pauvreté et de l’exclusion !
Quelles sont les causes d’une telle situation ? En identifiant ce qui n’a pas fonctionné, nous pourrons envisager des réformes, dans une démarche prospective.
Il y a, me semble-t-il, deux catégories de causes d’insatisfaction : des causes d’ordre technique et des causes d’ordre stratégique.
J’examinerai tout d’abord les motifs d’ordre technique.
Le saupoudrage, l’enchevêtrement des zones concernées et la multiplication des plans ont rendu l’action publique peu efficace et illisible. Surtout, on a élargi le champ de l’action publique quand il faudrait au contraire recentrer cette dernière, monsieur le ministre.
J’ai évoqué le problème posé par la discontinuité de l’action publique, mais j’ai également souligné que l’aspect contractuel de la politique de la ville présentait un caractère positif. Cependant, la contractualisation n’a de sens que si le contrat va jusqu’au bout et si aucune des deux parties ne peut l’annuler unilatéralement, contrairement à ce qui a pu se produire à certains moments. Parfois, un contrat signé de la main même d’un ministre a été annulé. On m’a dit : monsieur le maire, ce contrat n’existe plus, rangez-le, on va en rédiger un autre !
Le troisième motif d’insatisfaction est plus complexe. Les dispositifs ministériels qui ont été mis en place sont souvent pertinents ; ils le sont peut-être même toujours. Néanmoins, il est illusoire de considérer qu’ils peuvent être pertinents sur l’ensemble des territoires, lesquels sont très hétérogènes en termes non seulement de priorité, mais également de situation. Un territoire qui compte beaucoup de copropriétés et qui est enclavé n’a pas les mêmes besoins qu’un territoire qui n’est pas enclavé et qui comprend de nombreux logements sociaux. Or on a souvent demandé aux territoires de s’adapter aux solutions proposées. Je ne suis pas sûr que ce soit une politique de bon sens. Peut-être vaudrait-il mieux prévoir davantage de souplesse et laisser les territoires décider de leurs projets ?
Après cette première série de motifs d’insatisfaction d’ordre technique viennent des motifs d’insatisfaction d’ordre stratégique.
La politique de la ville a quelquefois, pour ne pas dire souvent, confondu les causes avec les conséquences et s’est beaucoup appliquée, ce qui n’est déjà pas si mal, à traiter les conséquences sans trop se soucier de s’attaquer aux causes. Or il ne suffit pas de repeindre les cages d’escaliers ; encore faut-il savoir pourquoi on est obligé de le faire ! Il est absolument nécessaire de changer de cible : nous ne pouvons plus nous contenter de traiter seulement les conséquences ; nous devons également nous attaquer aux causes. C’est bien de donner de l’aspirine quand le malade a de la fièvre, mais c’est encore mieux de tuer le microbe qui est à l’origine de la fièvre !