Séance en hémicycle du 6 décembre 2012 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • logement
  • prioritaire
  • quartier
  • rénovation

La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre de l’économie et des finances le premier rapport de l’observatoire des tarifs bancaires de l’Institut d’émission d’outre-mer, l’IEOM, établi en application de l’article L. 712-5-1 du code monétaire et financier.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme de la politique de la ville, organisé à la demande du groupe socialiste.

La parole est à M. Claude Dilain.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de ce débat sur la politique de ville, organisé à la demande du groupe socialiste, je voudrais évoquer le présent et l’avenir, en mettant les choses en perspective.

Vous le savez, la politique de la ville a maintenant trente ans. Il paraît donc utile d’en dresser un bilan, afin de voir ce qu’il est possible de faire et ce qu’il est souhaitable de ne plus faire…

Cette politique est née au tout début des années quatre-vingt, lorsque des élus locaux, des sociologues, des architectes et des urbanistes ont senti que certains quartiers, essentiellement des grands ensembles, souvent situés en banlieue mais pas exclusivement, dérivaient vers des processus de paupérisation et d’exclusion. Ils ont alors voulu attirer l’attention des gouvernants et de la société sur cette situation.

Deux actes fondateurs ont, me semble-t-il, marqué la politique de la ville.

Le premier fut la publication des rapports Dubedout et Bonnemaison, Hubert Dubedout et Gilbert Bonnemaison étant alors respectivement maire de Grenoble et maire d’Épinay-sur-Seine. « Déjà », serais-je tenté d’ajouter !

Le second, sur l’initiative des urbanistes et des architectes, fut la création, également au début des années quatre-vingt, de la mission Banlieues 89, avec Roland Castro et Michel Cantal-Dupart.

L’alarme a été lancée, et il y a eu des réactions.

Pour organiser la gouvernance de la politique de la ville, on a créé tout d’abord la délégation interministérielle à la ville, merveilleusement pilotée par Yves Dauge, puis le ministère de la ville, confié à l’origine à notre collègue Michel Delebarre.

Les premières actions menées ont été fondatrices et emblématiques, compte tenu des objectifs visés.

D’abord, il y a eu le programme « Habitat et vie sociale » – j’insiste : c’est « et » et non « ou » ! – initié par Jacques Barrot.

Ensuite, il y a eu le développement social des quartiers en 1981. Là encore, je crois utile de souligner les termes : « social » et « des quartiers ». La même année, Alain Savary a créé le dispositif des zones d’éducation prioritaires.

Il faut, me semble-t-il, le rappeler, la politique de la ville était intergouvernementale et s’adressait non pas à la ville, mais aux quartiers.

Le problème survenu ensuite, d’ailleurs à l’origine d’un système de balancier pour le moins ennuyeux sur lequel je reviendrai dans quelques instants, entre « l’urbain » et « l’humain » n’existait pas au début. Les fondateurs avaient d’emblée indiqué qu’il fallait non pas séparer le soft et le hard, mais traiter les deux volets en même temps !

J’ai souligné le caractère intergouvernemental de la politique de la ville. Celle-ci doit en effet concerner l’ensemble des domaines de la vie publique. C’est un point essentiel.

Il serait sans doute long et fastidieux de retracer trente ans de politique de la ville, mais j’aimerais tout de même en évoquer certains éléments marquants.

Premièrement, ne l’oublions pas, les « émeutes », « révoltes urbaines » ou « révoltes sociales » – je ne sais comment les qualifier – survenues dans des villes devenues symboliques, comme Vaulx-en-Velin, Mantes-la-Jolie, Clichy-sous-Bois, Villiers-le-Bel et Grenoble, ont marqué les esprits. Ceux qui avaient tiré la sonnette d’alarme au début des années quatre-vingt avaient raison. À chaque émeute, il y a eu une réaction gouvernementale ; je serais tenté de dire « malheureusement ». Comme s’il fallait attendre l’émeute pour agir…

Deuxièmement, la politique de la ville a consisté à créer petit à petit ce que j’appelle une « boîte à outils », en multipliant les dispositifs et en empilant les sigles : ZFU, ZUS, ZRU, GPV, GPU, PRU, CUCS... Tous ces programmes sont venus se plaquer sur tel ou tel territoire.

Cela dit, ne soyons pas trop critiques. Ces mesures avaient au moins le mérite d’introduire une innovation : promouvoir la dimension contractuelle dans les politiques publiques. À cet égard, la politique de la ville a été fondatrice : enfin une politique publique contractuelle !

Par ailleurs, et contrairement à ce qui a pu être parfois affirmé, la politique de la ville a été très largement évaluée.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Je ne suis pas certain que toutes les autres politiques publiques l’aient autant été.

À ceux qui s’interrogent sur l’utilisation des milliards dépensés dans ce cadre, je réponds que nous savons très bien ce qu’il en a été.

Ayant évoqué le rapport Bonnemaison, j’aimerais aussi mentionner le rapport Demain, la ville, que notre collègue Jean-Pierre Sueur a présenté en 1998. Ce rapport, marqué par une volonté d’évaluation prospective, a constitué, je le crois, une étape importante.

Dix-neuf ministres de la ville se sont succédé en vingt-deux ans. Mais je vous rassure, monsieur le ministre, ce n’est qu’une moyenne. Certains de vos prédécesseurs sont restés plus longtemps que d’autres en poste. §

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville

M. François Lamy, ministre délégué auprès de la ministre de l'égalité des territoires et du logement, chargé de la ville. Je ne suis pas parti !

Nouveaux sourires.

Mêmes mouvements.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Mais, au-delà des sourires, avouons que c’est assez grave. Cela traduit une véritable discontinuité de l’action publique, aggravée par l’oscillation entre l’humain et l’urbain. Quand un ministre décidait de privilégier l’un de ces deux volets, son successeur optait pour l’autre ! Cela a été, me semble-t-il, très préjudiciable. Comme je l’ai indiqué, et je pense que vous en êtes d'accord, monsieur le ministre, il faut faire les deux. C’est ce que nous dirait un élève de CM2 ; alors, montrons-nous aussi intelligents ! §

La création des dotations de solidarité fut également un élément très important.

La dotation de solidarité urbaine, ou DSU, a été instituée sous les gouvernements Rocard et Cresson, avant d’être modifiée de manière importante par Claude Bartolone, puis par Jean-Louis Borloo. Elle permet de compenser la pauvreté structurelle de certaines villes. Disant cela, je veux qu’il soit bien clair que, si certaines communes sont pauvres, c’est non parce qu’elles gèrent mal leurs dépenses, mais parce que leurs recettes sont structurellement très inférieures à celles d’autres villes.

La dotation de développement urbain, ou DDU, a été créée un peu plus tard. Elle permet à des villes de pouvoir assumer les frais qu’impose la rénovation urbaine. Ce fut, là aussi, une étape notable.

Quel bilan peut-on en tirer ?

Il est difficile de répondre à une telle question : l’on ne saura jamais ce que seraient devenus les quartiers sans la politique de la ville. Néanmoins, en tant qu’ancien maire, je pense que, sans la DSU, nombre de communes seraient en réelle faillite. Ne l’oublions pas.

Cela dit, il est vrai que le bilan n’est pas entièrement satisfaisant. Deux analyses récentes viennent malheureusement de le confirmer. Je parle du rapport de la Cour des comptes, La politique de la ville : Une décennie de réformes, et du rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, qui montre, comme l’indique le Premier ministre, la permanence, et parfois l’aggravation des inégalités entre les quartiers de la politique de la ville et le reste du territoire, et ce dans tous les domaines : chômage, pauvreté, santé, éducation, insécurité…

Je souhaite d’ailleurs apporter une précision. Dans les rapports comme celui de l’ONZUS, on étudie seulement les territoires. Or certaines populations dont la situation s’améliore quittent ces territoires. Si c’est certes un motif de satisfaction pour elles, il n’y a pas lieu cependant de s’en réjouir : nous ne pouvons pas accepter que certains territoires se spécialisent dans l’accueil de la pauvreté. Ce n’est pas ma vision de la République !

Et faisons attention aux termes que nous employons : ne parlons pas de territoires « sas », comme cela figure dans le rapport, pour désigner la spécialisation de certains territoires dans l’accueil de la pauvreté et de l’exclusion !

Quelles sont les causes d’une telle situation ? En identifiant ce qui n’a pas fonctionné, nous pourrons envisager des réformes, dans une démarche prospective.

Il y a, me semble-t-il, deux catégories de causes d’insatisfaction : des causes d’ordre technique et des causes d’ordre stratégique.

J’examinerai tout d’abord les motifs d’ordre technique.

Le saupoudrage, l’enchevêtrement des zones concernées et la multiplication des plans ont rendu l’action publique peu efficace et illisible. Surtout, on a élargi le champ de l’action publique quand il faudrait au contraire recentrer cette dernière, monsieur le ministre.

J’ai évoqué le problème posé par la discontinuité de l’action publique, mais j’ai également souligné que l’aspect contractuel de la politique de la ville présentait un caractère positif. Cependant, la contractualisation n’a de sens que si le contrat va jusqu’au bout et si aucune des deux parties ne peut l’annuler unilatéralement, contrairement à ce qui a pu se produire à certains moments. Parfois, un contrat signé de la main même d’un ministre a été annulé. On m’a dit : monsieur le maire, ce contrat n’existe plus, rangez-le, on va en rédiger un autre !

Le troisième motif d’insatisfaction est plus complexe. Les dispositifs ministériels qui ont été mis en place sont souvent pertinents ; ils le sont peut-être même toujours. Néanmoins, il est illusoire de considérer qu’ils peuvent être pertinents sur l’ensemble des territoires, lesquels sont très hétérogènes en termes non seulement de priorité, mais également de situation. Un territoire qui compte beaucoup de copropriétés et qui est enclavé n’a pas les mêmes besoins qu’un territoire qui n’est pas enclavé et qui comprend de nombreux logements sociaux. Or on a souvent demandé aux territoires de s’adapter aux solutions proposées. Je ne suis pas sûr que ce soit une politique de bon sens. Peut-être vaudrait-il mieux prévoir davantage de souplesse et laisser les territoires décider de leurs projets ?

Après cette première série de motifs d’insatisfaction d’ordre technique viennent des motifs d’insatisfaction d’ordre stratégique.

La politique de la ville a quelquefois, pour ne pas dire souvent, confondu les causes avec les conséquences et s’est beaucoup appliquée, ce qui n’est déjà pas si mal, à traiter les conséquences sans trop se soucier de s’attaquer aux causes. Or il ne suffit pas de repeindre les cages d’escaliers ; encore faut-il savoir pourquoi on est obligé de le faire ! Il est absolument nécessaire de changer de cible : nous ne pouvons plus nous contenter de traiter seulement les conséquences ; nous devons également nous attaquer aux causes. C’est bien de donner de l’aspirine quand le malade a de la fièvre, mais c’est encore mieux de tuer le microbe qui est à l’origine de la fièvre !

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Dilain

Tout à fait !

Par ailleurs – et tous ceux qui s’intéressent à la politique de la ville seront unanimement d’accord avec moi –, la politique de la ville s’est petit à petit substituée aux politiques de droit commun, ce qui n’était pas sa vocation première. Je vous renvoie aux rapports de M. Dubedout et de M. Bonnemaison : la politique de la ville doit faire levier aux politiques de droit commun et non s’y substituer. C’est fondamental. Il n’y aura pas de bonne politique de la ville sans une mobilisation pertinente, efficace et juste des politiques de droit commun, y compris dans les fonctions régaliennes de l’État.

Je cite toujours l’exemple de l’échec scolaire massif enregistré dans certaines villes où les niveaux de réussite au brevet des collèges sont très loin des taux nationaux, voire départementaux. Bien sûr, de tels chiffres doivent interpeller le ministre de la ville ; néanmoins, le premier ministre concerné doit rester celui de l’éducation nationale. Monsieur le ministre, ce n’est pas parce que votre ministère aura accordé davantage d’argent pour l’aide aux devoirs que le gravissime problème de l’échec scolaire massif sera réglé. L’éducation nationale doit également être mobilisée – ce serait une illusion de penser autrement –, et ceux qui ont cru que le programme 147 était la solution à toutes les difficultés se trompent !

Enfin – et ce point fera certainement débat –, il faut s’attaquer aux causes de la ghettoïsation. Je sais que l’utilisation de ce terme, que j’emploie de temps en temps, est contestée. Quoi qu’il en soit, les ghettos ne se sont pas construits par hasard ; pour ceux qui ne l’auraient pas encore lu, je renvoie sur ce point au livre clair et limpide d’Éric Maurin, Le Ghetto français. Cet ouvrage décrit comment, peu à peu, en même temps que se constituent des ghettos de riches, voire pour que ceux-ci puissent se construire, se forment des ghettos de pauvres. Cela concerne par exemple les politiques d’attribution des logements sociaux, qu’il faudra avoir le courage de regarder en face. À défaut, les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets.

Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite dire un mot de votre budget, en particulier du programme 147 que je n’ai pas pu défendre au Sénat puisque la Haute Assemblée n’a pas examiné la seconde partie du budget.

Tout d’abord, je tiens à vous remercier : alors que, depuis 2007, les crédits de ce programme étaient en baisse constante – entre 2007 et 2012, ils ont diminué de 55 %, soit de plus de la moitié –, le Gouvernement a prévu que, cette année, malgré un contexte budgétaire difficile, les crédits alloués au programme 147 seraient maintenus à la même hauteur que l’année dernière. Certes, les crédits du programme enregistrent une perte de 20 millions d’euros, mais cette dernière n’est qu’apparente puisque 20 millions d’euros du fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, seront consacrés à la prévention, au bénéfice de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’ACSÉ.

Voilà qui est satisfaisant non seulement sur le plan budgétaire, mais aussi sur le plan des principes. Nombre de personnes s’occupant de la politique de la ville considèrent que la prévention de la délinquance ne doit pas dépendre du ministère de l’intérieur, mais qu’elle doit être rattachée au ministère chargé de la ville, qui doit conduire une action interministérielle.

Le deuxième point important est la création des emplois francs. Le bilan des zones franches est plutôt satisfaisant pour la plupart des maires de banlieue, sauf en ce qui concerne le problème de l’emploi, comme l’attestent les rapports de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et de l’Inspection générale des finances, l’IGF. L’expérimentation des emplois francs à Marseille, à Amiens, à Grenoble et à Clichy-sous-Bois permettra probablement de relancer le processus.

Enfin, je souligne que la dotation de solidarité urbaine, la DSU, va augmenter considérablement par rapport aux autres années – 120 millions d’euros –, de même que la dotation de développement urbain, ou DDU, en hausse de 75 millions d’euros. Toutes ces mesures sont extrêmement positives.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la politique de la ville comprend l’ensemble des actions soutenues par l’État visant à lutter contre les phénomènes d’exclusion des populations urbaines défavorisées, n’oublions pas que la dégradation des conditions de vie de ces populations trouve d’abord ses racines dans les politiques menées depuis des décennies. Ces politiques se sont soldées par un chômage plus important et par la baisse du pouvoir d’achat des couches populaires, ce qui a mis à mal notre système éducatif. Par ailleurs, ces politiques n’ont pas hésité à dresser les populations les unes contre les autres.

Dans le même temps, elles réduisaient les dépenses et les services publics, y compris en matière de sécurité, rognaient les ressources des collectivités locales et diminuaient le soutien à la vie associative.

Aussi, si l’on veut agir utilement contre les exclusions dont souffrent les couches populaires, ce sont d’abord ces politiques qu’il faut changer. C’est pourquoi les actions ciblées spécifiques devant être mises en œuvre ne pourront réellement être efficaces que si elles s’insèrent dans des actions globales de droit commun – Claude Dilain vient de le rappeler – s’attaquant réellement aux fondements de la crise durable que traverse notre pays. À défaut, nous chercherions à vider la mer avec une petite cuillère !

Pour parvenir à atteindre nos objectifs, il est nécessaire de mener des actions spécifiques labellisées « politique de la ville », mais il faut aussi que la volonté de lutter contre les discriminations sociales trouve son expression dans toutes les politiques publiques, et donc dans tous les départements ministériels.

Ce point vient d’être rappelé, cela fait près de trente-cinq ans que des actions prioritaires se succèdent. Souvent, elles n’ont d’ailleurs jamais dépassé le stade de l’expérimentation faute d’avoir, à mon avis, disposé de moyens réels, et faute d’une vision globale et cohérente. Le résultat est là : jamais les inégalités n’ont été aussi profondes dans ces quartiers.

En fait, ces actions se sont en permanence heurtées au mur de l’exclusion sociale qui se dresse toujours plus haut dans notre société. Le risque d’émeute évoqué tout à l’heure n’est aujourd’hui pas totalement écarté !

Au fil des ans, ces actions se sont développées dans quatre directions : la rénovation et le renouvellement urbain, la sécurité et la prévention, le développement social, enfin, l’emploi et la revitalisation économique.

Les gouvernements successifs ont tous mis l’accent sur tel ou tel domaine, prenant le risque de l’instabilité là où la permanence de l’action est essentielle.

Les différentes actions se sont superposées sans former une vraie politique publique cohérente, coordonnant l’action de tous les intervenants ministériels et nécessairement partagée avec les autorités locales.

Aussi, monsieur le ministre, nous soutenons la volonté affichée par le Gouvernement de mettre à plat, dans la concertation, l’ensemble des politiques publiques dans ce domaine. Les pistes ouvertes par les groupes de travail sont intéressantes bien qu’elles soient encore trop générales en termes d’action à mettre en œuvre.

Il nous faut, par ailleurs, encore préciser les critères pris en compte pour redéfinir la géographie des actions prioritaires.

Outre les données urbaines liées à la concentration de logements sociaux, à l’état du bâti, aux réseaux de transport et à l’implantation des équipements et services publics, il nous semble nécessaire de prendre en compte des indicateurs de fragilisation sociale, de précarité et de niveau de formation.

Il faut bien entendu également s’accorder sur le niveau territorial d’intervention.

Sur ce dernier point, il nous semble que le territoire communal reste l’échelon le plus pertinent, car il assure des données fiables et la coordination de l’ensemble des politiques publiques à mener, liant actions prioritaires et actions de droit commun au plus près des besoins, des attentes et des engagements citoyens, le périmètre intercommunal ne disposant pas toujours, lui, de l’ensemble des compétences nécessaires dans le domaine de l’action locale.

Cette question est importante. Prenons l’exemple du Val-de-Marne, mon département, qui compte seize contrats urbains de cohésion sociale, les CUCS, dont quatre projets intercommunaux qui rayonnent sur vingt-huit communes et concernent soixante-dix-neuf quartiers. C’est dire combien ces périmètres s’entrecroisent et combien de nombreuses communes ont parfois en leur sein plusieurs quartiers relevant de la politique de la ville.

Certaines communes comptent même jusqu’à 80 % de leur population habitant dans ces quartiers ; dans le département, c’est un quart de la population qui y vit.

Aussi, la mise en cohérence territoriale et la coopération sont nécessaires.

Une autre piste ouverte par la concertation en cours nous semble intéressante et irait dans le bon sens : il s’agit du regroupement éventuel de l’ensemble des actions en une même démarche contractuelle, ce qui en assurerait la cohérence.

Cette recherche de cohérence, doublée d’une certaine permanence dans les engagements, qui semble se dessiner, devrait être renforcée dans le domaine de l’action sociale en général, mais aussi être prise en compte dans le domaine de l’éducation, en particulier, avec l’assurance d’attribution des moyens pédagogiques nécessaires à la réussite de tous, dans le domaine de la formation et de l’emploi des jeunes. La presse, ce matin, faisait état de l’échec de la réforme de la carte scolaire. C’est un sujet extrêmement préoccupant, notamment dans les quartiers relevant de la politique de la ville. J’ai en tête des exemples précis de collèges qui, malheureusement, se trouvent vidés de leurs meilleurs élèves par des politiques d’évitement, ce qui conduit à l’appauvrissement et à une forme de ghettoïsation – ce point a été évoqué précédemment.

Cette double volonté devrait aussi, nous semble-t-il, s’inscrire dans le domaine de la rénovation urbaine. Sur ce point, je ne vous cacherai pas les inquiétudes et les espoirs des élus locaux.

Toutes les communes engagées avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, souhaiteraient avoir l’assurance que leurs projets iront bien à leur terme. Par ailleurs, la perspective d’un plan ANRU 2 est vivement souhaitée en de nombreux endroits.

En effet, certains quartiers, pour des raisons budgétaires, n’ont parfois été pris en compte qu’en partie, ce qui créé des tensions : les travaux étant maintenant très largement engagés, une partie de la population a le sentiment d’être abandonnée par rapport à celle qui habite la partie du quartier devant être rénovée. Nous avons besoin de continuité. Même si cette politique de rénovation urbaine a été engagée par un autre gouvernement, il importe de la poursuivre jusqu’à son terme.

Ainsi, dans mon département, ce ne sont pas moins de onze quartiers qui seraient concernés par de nouveaux projets de rénovation.

Sur ce sujet de la rénovation urbaine, permettez-moi de formuler deux remarques supplémentaires.

D’abord, la règle du « un pour un » – reconstruction d’un logement social pour un logement démoli – doit être revue compte tenu de la charge financière qu’elle représente pour la puissance publique. Il faudrait, à cet égard, soutenir les projets et les maires bâtisseurs, qui s’engagent à réaliser un effort plus important, en particulier en région parisienne où la pénurie de logement est insupportable. Il faut, non bien sûr dans le même quartier, mais sur le territoire communal ou intercommunal, que les constructions de logements soient plus nombreuses que les démolitions.

Par ailleurs, la rénovation urbaine ne doit-elle pas soutenir la réalisation des équipements publics structurants et le développement des réseaux de transport nécessaires au désenclavement des quartiers et des villes, en lien, bien sûr, avec les syndicats des transports et les politiques régionales ? Ne doit-elle pas aussi permettre le retour et l’amélioration des services publics ? Dans certains quartiers, on a vu des bureaux de poste supprimés, des permanences de caisses d’allocations familiales réduites, des agences de Pôle emploi disparaître. Il ne faut jamais oublier que, par-delà l’urbain, c’est l’humain qui nous intéresse.

Finalement, plus que d’une réorganisation des actions prioritaires – que nous soutenons –, c’est d’un redéploiement et d’un renforcement de celles-ci que nous avons besoin.

Et c’est bien dans la réaffirmation des droits collectifs que la question des moyens spécifiques envers telle ou telle population se pose. Aussi, agir dans cette direction nécessite de dégager des moyens supplémentaires. Je sais que ce n’est pas simple et là est bien notre inquiétude.

En effet, une réduction des aides attribuées à certains semble être envisagée afin d’augmenter les soutiens à un nombre de territoires plus réduit, de manière à en renforcer l’efficacité. Certes, dans les villes qui disposeront de ces ressources supplémentaires, les capacités de répondre aux besoins seront accrues. Mais nous ne saurions accepter cette solution, qui laisserait de côté de très nombreuses communes.

Cela serait d’autant plus néfaste que les collectivités locales vont être mises au régime sec, comme chacun le sait. Aussi, dans ces territoires abandonnés par la politique de la ville, les communes ne pourront plus faire face aux désengagements de l’État. Nous ne saurions le tolérer.

Je souhaite que l’alerte que je lance soit entendue. Sachez que le Gouvernement pourra compter sur la participation de très nombreux élus locaux de ma sensibilité aux concertations en cours, élus qui formuleront des propositions sérieuses afin de renforcer la cohérence et l’efficacité des actions prioritaires en faveur de la politique de la ville ; ils sauront s’investir à vos côtés, monsieur le ministre, en s’appuyant résolument sur les experts de la vie quotidienne que sont les habitants eux-mêmes. L’un des enjeux, c’est également la manière dont la population peut être associée à la définition de ces politiques de la ville et mobilisée. Les attentes sont fortes ; j’espère que vous ne les décevrez pas. §

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, programme de rénovation urbaine, plan de cohésion sociale, création de zones franches urbaines pour dynamiser l’emploi dans les quartiers en difficulté, ACSÉ, dispositifs de réussite éducative : les interventions publiques dans le cadre de la politique de la ville ont été nombreuses et particulièrement structurantes, pour certaines. Pourtant, nous partageons le même constat, résumé dans le rapport de la Cour des comptes du mois de juillet dernier : les résultats ne sont pas à la hauteur de ce qui était escompté.

Bien que tout le monde s’accorde à dire que l’ANRU, initiée par Jean-Louis Borloo, est un formidable levier pour la reconquête de nos quartiers, couronné de réussites urbaines, d’un point de vue social et humain, les inégalités n’ont pas régressé entre les quartiers prioritaires et les autres territoires.

Toutefois, il faudrait, me semble-t-il, creuser un peu la question afin de déterminer si, entre le début et la fin d’un programme, les populations concernées sont toujours les mêmes. Ne faut-il pas aussi se poser la question de l’espace d’intégration que représentent ces territoires ? Un travail doit être mené sur cet aspect : il ne s’agit pas de jeter la politique de la ville avant d’avoir crevé cet abcès et d’en avoir bien examiné les contours.

La politique de la ville est, par construction, une politique transversale, faisant appel à des acteurs multiples, à de nombreux financements croisés ; c’est une politique complexe à mettre en œuvre sur des territoires dont la crise a encore accru la fragilité sociale. Sédimentation de strates successives, elle nécessite certainement d’être revisitée et simplifiée.

C’est la démarche, monsieur le ministre, que vous avez engagée, en lançant une vaste concertation, à laquelle je suis heureuse de contribuer en tant qu’ancien rapporteur pour avis de la mission « Ville et Logement », mais aussi, au travers de mon expérience de terrain, en ma qualité de présidente de la communauté d’agglomération Valenciennes Métropole, située dans une région où nous savons, pour le vivre au quotidien, la difficulté à faire renaître des quartiers dits « sensibles », en tout cas qui ont besoin de rattraper le retard qui s’est accumulé au fil des années.

Le présent débat doit nous permettre de faire un point d’étape sur la réflexion qui est menée. Il est bienvenu car, politique ambitieuse et nécessaire, la politique de la ville appelle la mobilisation de tous, loin de tout dogmatisme et de tout a priori.

C’est à cette réflexion que je voudrais ajouter quelques pierres ce matin en reprenant les trois axes autour desquels s’articule la concertation en cours : la géographie prioritaire, la contractualisation et le partenariat, la gouvernance.

Pour ce qui concerne la géographie prioritaire, j’aimerais souligner que la logique sur laquelle vous vous appuyez, monsieur le ministre, pour définir les périmètres en cause me semble aller globalement dans le bon sens.

En effet, au regard des pistes qui se dessinent, il se pourrait que nous nous orientions vers un dispositif prévoyant, tout d’abord, une « géographie emboîtée » avec des territoires cibles, des territoires de projet et une échelle de contractualisation.

Un tel dispositif doit également inclure une vigilance préventive afin de veiller à la non-dégradation des quartiers hors géographie prioritaire. Cela est particulièrement important si l’on part du postulat que la situation budgétaire va nous amener à restreindre le nombre de quartiers éligibles à la politique de la ville. Nous avons en effet entendu le message mais, comme plusieurs de mes collègues l’ont souligné, si certains territoires dont les populations sont encore confrontées à une grande fragilité n’ont peut-être pas besoin de rénovation urbaine, ils trouveront certainement avantage à une réflexion sur l’accompagnement de leurs populations, afin d’éviter de se retrouver dans des situations de régression ou d’abandon.

Au titre de la géographie prioritaire, il faut aussi prévoir une modulation de l’aide de l’État en fonction de la capacité financière des communes. En effet – et c’est une demande que j’ai soutenue depuis longtemps –, est-il logique d’aider de la même manière un quartier sensible d’une commune disposant par ailleurs de moyens financiers importants et un quartier équivalent situé dans une commune pauvre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Même s’il faut toujours être prudent lorsque l’on examine ces aspects, car on ne peut pas généraliser à partir de cas particuliers – et il y en a toujours –, globalement, ce sujet doit être pris en considération, car il soulève la question de la péréquation horizontale, débat complexe et très vaste, nous le savons !

Enfin, un tel dispositif amènerait à envisager des aides locales plus importantes lorsque la participation financière de l’État serait faible ou absente sur certains territoires. J’emploie le conditionnel car, tant que nous ne disposerons pas de la nouvelle carte des territoires cibles soutenus demain par l’État et d’un aperçu de la part du soutien de celui-ci à ces territoires, il est évidemment difficile de se prononcer autrement que sur un principe.

En revanche, tout en approuvant la théorie, je souhaite mettre l’accent sur les points sur lesquels nous devons, me semble-t-il, rester vigilants.

Tout d’abord, et c’est essentiel, il s’agit de la définition des indices. À mon sens, la géographie prioritaire doit être établie sur un panel d’indices multicritères adapté au contexte local et élaboré en concertation avec le préfet. Il nous faut sortir de la logique normative et cartésienne qui retient quelques critères identiques à l’échelon national.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, il est un critère qu’il ne faut surtout pas oublier, celui de la santé. Ainsi, sur les deux cents agglomérations du classement, les dix dernières font partie de la région Nord-Pas-de-Calais. Sans vouloir stigmatiser ce territoire, on sait que certains de ses retards sont liés à son passé industriel, à ses problématiques socio-économiques. Par conséquent, occulter un critère tel que celui de la santé parce que, au niveau national, il n’est pas commun, reviendrait à passer à côté des vrais enjeux.

Comme nous le savons tous, les problèmes rencontrés dans les quartiers des villes du Nord-Pas-de-Calais, dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou en région parisienne ne sont pas les mêmes. Outre le critère de santé, il y a ceux de l’emploi, de la pauvreté, de la formation, du logement. Bref, ces critères doivent être regardés avec la plus grande attention et leur effet doit être modulé en fonction de chaque région. C’est également le cas des indicateurs de mortalité.

Il me semble aussi nécessaire, monsieur le ministre, de prendre en compte la spécificité des territoires, notamment de l’habitat. Dans nos régions, l’habitat est horizontal ; dans les quartiers des banlieues, des grandes métropoles, il est vertical. Si vous devez, demain, réfléchir à la façon de travailler sur des périmètres de référence, vous ne pourrez pas vous référer à un indicateur unique de ce point de vue. Il convient donc d’adapter l’échelle d’analyse aux spécificités des territoires. La bonne échelle, celle qui me paraît pertinente, c’est celle du bassin de vie, pour ensuite descendre à un échelon plus fin, la ville pour de petites unités urbaines et le quartier pour les plus grandes.

Il faudrait pouvoir s’affranchir des analyses s’appuyant systématiquement sur le découpage en IRIS opéré par l’INSEE, découpage trop large, qui peut inclure des quartiers très différents et lisser les problèmes, car il repose sur un fractionnement par tranche de 2 000 habitants. Pour ne citer que l’exemple de mon territoire, vingt-trois des trente-cinq communes de Valenciennes Métropole n’ont pas de découpage en IRIS. La connaissance précise des situations est une première donnée indispensable.

Autre présupposé essentiel, nous devons réfléchir à la manière pertinente de mesurer le « décrochage » d’un territoire. À mon sens, comme je le rappelais tout à l’heure, le faire par rapport à l’environnement de ce territoire et de façon croisée avec un classement et des comparaisons nationales me semble indispensable.

Enfin, il est primordial que l’État central n’impose pas tout et que la géographie prioritaire soit partagée entre l’État déconcentré – le préfet – et les collectivités qui connaissent le mieux les problématiques sociales de leur territoire.

Pour ce qui concerne la contractualisation et le partenariat, je voudrais souligner, monsieur le ministre, que ce qui ressort des travaux de concertation me paraît aussi aller dans le sens de la logique.

En effet, nous ne pouvons qu’adhérer à l’idée d’un contrat intercommunal, un triptyque État-intercommunalités-communes, basé sur un projet de territoire, qui définira les logiques de priorisation et articulera les échelles d’intervention sur la durée d’un mandat municipal, une évaluation étant nécessaire, me semble-t-il, à mi-parcours.

Nous souscrivons aussi au principe d’un contrat unique engageant tous les acteurs – État, régions, départements, ARS, CAF – et qui s’inscrirait dans deux niveaux de contractualisation : un socle-cadre puis un niveau opérationnel.

Si nous avançons sur un tel schéma, il est impératif de bien s’assurer d’un certain nombre de préalables.

Pour donner des règles à la contractualisation, la logique de priorisation est centrale, mais l’entrée territoriale ne doit pas être la seule façon de prioriser. Les actions de la politique de la ville pourraient cibler un type de public, un territoire, voire un public sur un territoire. Chaque objectif du projet de territoire pourrait identifier la logique de priorisation pertinente.

Il convient d’inciter chaque partenaire – État, région, département, etc. – à replacer la politique de la ville au cœur de sa stratégie d’aménagement du territoire pour permettre une convergence et une cohérence optimales avec les politiques publiques de droit commun. Cela pourrait sans doute nous aider à nous prémunir contre le risque de substitution entre crédits spécifiques et crédits de droit commun, l’un des problèmes récurrents dans la mise en œuvre de la politique de la ville par le passé.

Autre préalable, chaque partenaire doit adhérer à la logique de contractualisation qui territorialise les politiques publiques dans le cadre d’un projet de territoire urbain et social, qui identifie les objectifs communs, les moyens mobilisés, aussi bien de droit commun que spécifiques, les outils de suivi et d’évaluation, ainsi que les moyens pour la gouvernance.

Je propose ainsi l’idée d’un contrat partenarial qui distingue des objectifs et des actions par thématique. Pour chacune des actions ainsi définies, la contractualisation déterminerait le porteur, ou chef de file, le calendrier, les moyens mobilisés, les outils d’évaluation, les territoires ou les publics cibles. Nous en revenons, ici, comme sur bien d’autres politiques publiques, à la nécessité de définir précisément le « qui fait quoi ».

Cela m’amène tout naturellement à mon troisième et dernier point, la gouvernance.

Cette question de la gouvernance et de l’animation globale est certainement la plus complexe à régler. Mais, à partir du moment où l’on décide que cette politique sera fondée sur la contractualisation, il me paraît évident que le maître mot pour résoudre cette question doit être celui du travail en mode projet ; deux acteurs pertinents s’imposent pour les deux échelons définis précédemment, le niveau cadre et le niveau opérationnel.

Pour le premier, l’intercommunalité est certainement le degré le plus adéquat pour assurer la coordination de la contractualisation, sa cohérence, la solidarité financière et le respect de l’équité territoriale, voire la mutualisation sur certaines questions. C’est une échelle pertinente aussi pour nombre de sujets tels que les transports en commun en site propre mais aussi pour globaliser l’ingénierie de projets que des communes n’auraient peut-être pas les moyens de porter si elles étaient seules à devoir le faire.

Je rappelle que je suis l’élue d’un département qui comporte de petits territoires en grande difficulté financière : rien n’étant possible sans l’agglomération, nous avons donc fait ce choix, qui a permis à ces territoires d’aller au bout de leur démarche.

Pour le second, le niveau opérationnel, la commune doit rester l’échelon principal de la mise en œuvre, parce que c’est la cellule de base, au plus près des habitants des quartiers.

Pour réussir, nous avons besoin de réunir deux conditions essentielles.

Il est d’abord nécessaire d’avoir une volonté politique forte qui assure une visibilité dans la durée et stabilise les dispositifs. C’est particulièrement important pour mener un travail partenarial intelligent avec le secteur associatif.

Ensuite, il faut disposer d’équipes techniques qualifiées. L’un des enjeux primordiaux est de mettre en œuvre un processus de qualification des acteurs qui bénéficie d’un soutien fort de l’ingénierie et d’une mutualisation des moyens, laquelle sera cruciale dans les années à venir.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je souhaitais vous soumettre, au nom du groupe UDI-UC, dont les valeurs humanistes et centristes l’ont conduit, vous ne l’ignorez pas, à s’investir depuis longtemps dans l’avenir de la ville et de ses quartiers fragiles.

En conclusion, j’aimerais souligner à quel point la politique de la ville me semble essentielle pour construire la ville de demain et à quel point sa complexité en fait en même temps toute la richesse. En effet, l’expérience de la rénovation urbaine de certains quartiers que nous avons acquise nous a confortés dans la certitude que cette politique, pour être efficace, doit allier dans un même élan l’accompagnement humain, une vision du développement économique, des choix urbanistiques et techniques et les modes de transport nécessaires au désenclavement. Tous ces facteurs engagent l'avenir.

Pour réussir, nous devrons cependant veiller à ne pas nous éloigner des besoins des habitants, qui sont les bénéficiaires de la politique de la ville. Il faudra pour cela, monsieur le ministre, que cette dernière soit le fruit d’une coproduction entre les territoires et les institutions qui apporteront les financements.

Voilà les pistes sur lesquelles mon groupe aimerait vous voir vous engager, monsieur le ministre, puisque vous avez le courage d’essayer de changer les choses. En raison de l'expérience des territoires que nous avons les uns les autres, nous savons cependant que nous devons être attentifs aux écueils à éviter et ne pas oublier la nécessaire péréquation. Nous devons aussi être vigilants à ceux qui sont encore fragiles et qu'il ne faudrait pas, au nom du « resserrage », mettre de côté sans réfléchir à des solutions alternatives. Des systèmes intermédiaires peuvent nous permettre d’éviter la politique du « tout ou rien » ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aimerais tout d’abord remercier Claude Dilain d'avoir pris l'initiative du présent débat. L’entendre retracer l'historique des politiques successives de la ville m'a ramené quelques années en arrière, à l’époque où, en tant que vice-président du conseil général de la Haute-Garonne chargé des affaires sociales, j'ai suivi le RMI, les missions locales et les PAIO, les permanences d’accueil, d’information et d’orientation.

À l'époque, il est vrai que l’enthousiasme pour l'insertion des jeunes et des personnes envers lesquelles la solidarité nationale devait s'exercer était exceptionnel. Reconnaissons cependant que, sans la détermination et le volontarisme des élus locaux, il se serait peu à peu étiolé. Mon cher collègue, vous avez eu raison de rappeler les étapes de la politique de la ville, sur laquelle j'ai beaucoup réfléchi et travaillé avec mon ami Michel Cantal-Dupart. Je suis pleinement en accord avec vous lorsque vous soulignez la nécessité de combiner l'urbain et l'humanisme.

En dix ans, « les écarts de développement entre les quartiers prioritaires et les villes environnantes ne se sont pas réduits ». Ce constat sévère, mais juste, dressé par la Cour des comptes au mois de juillet dernier lance un véritable défi à la majorité actuelle et, au-delà, à la République tout entière.

Lors de l’examen annuel du projet de budget pour la ville, dont nous avons été privés cette année, on entend souvent parler de ZRU, de ZUS, de ZFU, de DSU, de PRU, ou encore de CUCS. Autant de vocables abscons ou d’acronymes auxquels personne ne comprend rien, à part ceux qui en sont, par la force des choses et la commodité du langage, devenus les spécialistes. Cela pourrait nous faire oublier les sept à huit millions de nos concitoyens qui se cachent derrière ces sigles. Heureusement, tel n’a pas été le cas, comme vous l’avez souligné lors de votre prise de fonctions, monsieur le ministre, ce dont je vous sais gré.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et certains les ont déjà cités. Comment tolérer que, en zone urbaine dite « sensible », une personne sur trois vive sous le seuil de pauvreté et que le taux de chômage des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans, notamment, soit deux fois plus élevé que la moyenne nationale ?

Dans ces quartiers, les indicateurs sanitaires sont aussi particulièrement préoccupants : un habitant sur quatre renonce aux soins par manque de moyens et près de 15 % des résidents ne bénéficient d’aucune couverture maladie complémentaire. La densité des professionnels de santé par habitant y est deux fois plus faible que sur l’ensemble du territoire national et trois fois plus faible que dans l’environnement urbain dans lequel ces quartiers s’insèrent. Vous avez-vous-même évoqué ce point, madame Létard.

Ces écarts en termes de pauvreté, de chômage, d’accès aux soins et de résultats scolaires ébrèchent de toute part le principe de cohésion nationale sur lequel se fonde notre République. Il est grand temps de redéfinir les contours de l’action publique dans ces quartiers et territoires où l’État a naturellement toute sa place aux côtés des collectivités locales.

Il serait injuste de ne pas reconnaître que quelques évolutions et résultats positifs ont été obtenus ces dernières années. Le programme national de rénovation urbaine, mis en œuvre sous l'impulsion de Jean-Louis Borloo, a certainement donné un visage plus humain à certaines banlieues et sensiblement amélioré des situations individuelles.

Malheureusement, l’empilement de dispositifs mal articulés et le caractère pléthorique des zonages et des contrats ont conduit au saupoudrage des moyens sur des territoires de moins en moins identifiés, et ce probablement au détriment des populations les plus fragiles.

Même l'énergie, sans doute sincère, de Fadela Amara n’aura pas suffi à convaincre. Son plan « Espoir banlieues » a été progressivement abandonné, faute d’une véritable volonté interministérielle affirmée et d’une définition claire de son périmètre et de ses objectifs. De même, la baisse régulière des crédits de l’ACSÉ s’est traduite par une asphyxie du monde associatif, dont je voudrais rappeler le rôle fondamental, puisqu’il est pratiquement la colonne vertébrale de l'action publique dans les quartiers.

Au fond, la politique de la ville souffre d’un défaut : elle n’a jamais été intégrée dans une politique d’aménagement globale du territoire. Cette réalité concerne d’ailleurs également la politique en faveur des zones rurales. C’est pourquoi notre groupe a inscrit sur sa niche du 13 décembre prochain une proposition de résolution plaidant pour l’adoption prochaine d’une loi de programmation relative à l’égalité des territoires.

Où qu’il réside, chacun doit avoir la chance effective de faire valoir ses mérites et de tenter de satisfaire ses ambitions, d’étudier, de trouver un emploi, un logement ou, tout simplement, de se soigner. Or cette promesse de la République n’est pas tenue aujourd’hui et ce n’est pas un hasard si nombre de nos concitoyens ont placé leur confiance dans la gauche… Nous avons donc impérativement le devoir de nous mobiliser.

Je dois d’ailleurs saluer l’action du Gouvernement qui, dès le mois d’août dernier, présentait sa « feuille de route pour les habitants des quartiers ». Nous souscrivons pleinement à ses objectifs, au premier rang desquels figure la concentration des crédits de la politique de la ville dans les territoires qui connaissent les difficultés les plus fortes.

Cela suppose évidemment de réformer la géographie, aujourd’hui trop confuse, parfois même peu pertinente. Le précédent gouvernement s’y était essayé avant d’abandonner. Monsieur le ministre, vous avez lancé une concertation en ce sens qui doit aboutir à des propositions au début de l’année prochaine. Les membres du RDSE ne peuvent que s'en réjouir.

Il faudra veiller à ne pas écarter trop vite des quartiers dont la situation, bien qu’elle se soit améliorée, resterait fragile. Ceux qui ne seront pas retenus devront être accompagnés vers une sortie progressive.

Par ailleurs, dans les villes moyennes ou dans certains centres-villes de territoires ruraux, la population s’est largement paupérisée ; la mise à plat du dispositif doit permettre de faire émerger de nouveaux quartiers.

Enfin, il me paraît légitime que la nouvelle géographie prioritaire tienne compte de la capacité d’une collectivité à assumer les besoins de ses habitants. En d’autres termes, mettons l’argent là où il y a peu de ressources, mais beaucoup de charges !

Une autre priorité consiste, vous l'avez dit, monsieur le ministre, à mobiliser les politiques de droit commun, tant il est vrai que la politique de la ville s’est trop souvent substituée à celles-ci dans les zones les plus pauvres du territoire. Il faut renforcer ces politiques et les intégrer à la politique de la ville pour avoir une vision plus globale de l'action d'insertion et éviter ainsi les ghettos, que vous avez dénoncés.

Le rapport de la Cour des comptes pointe en effet le manque de moyens déployés dans ces zones pauvres pour l’éducation et l’emploi, citant, par exemple, l’absence d’agences de Pôle emploi dans des villes aux taux de chômage records.

L’éducation est pourtant la mère de toutes les batailles ; quant à l’emploi, il demeure malheureusement un concept abstrait pour beaucoup de jeunes, de seniors et de femmes habitant dans ces quartiers. Et je n’évoque même pas des services publics démantelés, comme en zones rurales.

Vous avez pris plusieurs décisions que je veux saluer. Un quart des 1 000 postes créés dans l’éducation nationale doit permettre d’améliorer l’encadrement des élèves des ZEP, ou plutôt devrais-je dire des zones d'éducation prioritaire ; les emplois d’avenir viseront prioritairement les jeunes des ZUS ; et n’oublions pas les emplois francs et les zones de sécurité prioritaire.

Les emplois francs sont une bonne mesure ; il n’en va pas forcément de même des zones franches, sur lesquelles les avis sont plus partagés. À Toulouse, dans la zone franche du Mirail, le taux d'emploi est le plus élevé de toute la ville, mais ce ne sont pas les habitants du quartier qui y travaillent. En réalité, des entreprises de services se sont délocalisées dans ce secteur, leur personnel suivant, pour bénéficier de l’avantage fiscal. Il faut reconsidérer le concept des zones franches, même si – soyons clairs ! – l'idée ne doit pas être rejetée.

Enfin, nous serons attentifs aux discussions sur le projet de loi relatif à la création de la banque publique d’investissement, car il existe des opportunités de création d’entreprises dans les quartiers.

Monsieur le ministre, l’attente des habitants de ces quartiers est forte. Certes, il faudra du temps pour revenir sur la « casse » des dernières années, mais nous estimons que la démarche que vous avez entreprise est la bonne.

Pour conclure, je voudrais insister sur un point qui me paraît important : la mise en place d’une véritable péréquation. La réduction des inégalités entre territoires passe également par la solidarité entre communes riches et communes pauvres, entre territoires bien dotés et territoires sous-dotés. L’insuffisance des dispositifs actuels de péréquation est avérée ; elle a été maintes fois dénoncée, notamment par plusieurs travaux du Sénat. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous répondiez plus précisément sur ce point.

Enfin, ma modeste expérience d’élu local me permet de dire que sans engagement politique local fort, l'insertion ne peut réussir. Si la politique de la ville n'est pas portée par des élus déterminés et volontaires, elle ne fonctionne pas ! L’ajout de moyens financiers à ceux qui existent déjà peut, de surcroît, produire un effet inverse sur les élus, quelle que soit leur tendance politique : ils pourraient en arriver à se demander si tout cet argent est bien utile. Il faut donc des élus totalement impliqués pour que soit entendu le message en faveur de l'insertion et de la solidarité nationale envoyé par la République.

Voilà, monsieur le ministre, mes chers collègues, les remarques que je tenais à formuler, tant au nom du RDSE qu’en mon nom personnel, en raison de ma propre implication dans la politique de la ville. §

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport de la Cour et des chambres régionales des comptes, publié au mois de juillet dernier, constate que, en dépit des efforts réalisés par un grand nombre d’acteurs et des résultats obtenus par le programme national de rénovation urbaine, les handicaps dont souffrent les quartiers ne se sont pas atténués. Il attribue cette situation aux dysfonctionnements dans la coordination ministérielle et dans la coopération entre l’État et les collectivités territoriales.

Quant au rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles de 2012, il insiste sur les écarts persistants entre ce qu’il est convenu d’appeler les quartiers et le reste des unités urbaines.

Dans les quartiers, la part des personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec moins de 964 euros mensuels, est passée de 30, 5 % en 2006 à 36, 1 % en 2010, alors que, dans le même temps, elle est passée de 11, 9 % à 12, 6 % en dehors de ces quartiers.

La pauvreté touche particulièrement les jeunes. Sur la période 2009-2010, près d’un jeune âgé de moins de dix-huit ans sur deux vivait en dessous du seuil de pauvreté dans ces quartiers et 40, 7 % des jeunes y sont au chômage.

Le taux de chômage des seniors, lui, n’a cessé d’augmenter depuis 2008, pour atteindre 14, 9 %. La situation des femmes n’est guère meilleure : en 2011, moins d’une femme sur deux âgée de vingt-cinq à soixante-quatre ans occupait un emploi.

Et je ne parlerai pas de l’échec scolaire, du désert culturel, des transports, de l’habitat, de la santé, ou encore de l’impact des discriminations liées à l’origine, à la nationalité ou à la couleur de la peau.

Vendredi 30 novembre et samedi 1er décembre derniers, Le Pari(s) du Vivre-Ensemble, association dont je suis l’une des fondatrices, a organisé dans les murs du Sénat deux journées de débats citoyens sur « les quartiers ». L’idée était de faire venir les habitants des quartiers dans l’un des palais de la République, non seulement pour qu’ils s’y sentent chez eux, mais aussi pour qu’ils s’y expriment librement.

Dans les discours des participants, les maux décrits dans les rapports sont naturellement revenus. Mais on y a aussi perçu une note, forte, obsédante, d’amertume et, dans beaucoup d’interventions, de colère. Les propos théoriques – parfois incompréhensibles – tenus par les officiels invités n’ont pas suffi à apaiser cette colère.

Pourtant, l’espoir était bien présent. Il figurait dans les initiatives émergeant du terrain prises par des groupes, des associations, des individus, qui, pour reprendre le vocabulaire du gouvernement précédent, incarnent véritablement le vrai « Espoir banlieues ».

Les forums organisés dans nos banlieues par le journal Libération, les questionnaires envoyés récemment par le ministère chargé de la ville aux habitants et aux « professionnels » de la politique de la ville aideront peut-être à voir les choses d’un peu plus près. Mais permettront-ils de dégager de vraies solutions ?

De toute façon, il n’existe pas de remède miracle : seul pèsera un travail continu, de longue haleine, auquel tous devront être associés, y compris les sénateurs représentant ces territoires dont nous parlons.

D’ailleurs, c’est dans cet état d’esprit que la commission des lois vient de créer une mission d’information relative à la lutte contre les discriminations ethniques, raciales et religieuses, coprésidée par mon collègue de l’UMP, M. Jean-René Lecerf, et par moi-même. Les membres de cette mission, qui, le moment venu, vous soumettront leurs conclusions, mes chers collègues, entendent s’interroger sur l’éventuelle utilité de ces statistiques que l’on qualifie – à tort, bien entendu – d’« ethniques ». Ils souhaitent mieux mesurer l’impact réel des discriminations sur l’accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi, au logement et à la santé, ainsi que sur l’ascension sociale, et affiner les moyens d’y remédier.

Toutefois, en tant que citoyenne, militante associative et spécialiste des minorités travaillant depuis longtemps sur – et avec – les quartiers, je me permets de formuler dès maintenant neuf suggestions.

Premièrement, il faut simplifier et clarifier le langage employé dans toute communication à destination des quartiers, des habitants et des élus. C’est une condition de l’efficacité de la démarche. En effet, comme le disait Boileau, « ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ».

Deuxièmement – et inversement –, il convient de tout mettre en œuvre pour que des réponses structurées et sans compromis puissent effectivement remonter du terrain. Pour le coup, je ne suis pas sûre que « les mots pour le dire arrivent aisément » ! Je pense, en particulier, aux réponses aux questionnaires. Par exemple, monsieur le ministre, avez-vous envisagé de créer, à titre expérimental, dans quelques quartiers, des structures souples réunissant régulièrement deux ou trois dizaines de personnes – habitants, membres des associations, éducateurs, enseignants, représentants des quartiers, élus, porteurs de projets, etc. –, en étroit contact avec des représentants de votre ministère, et incluant éventuellement quelques sociologues ?

Troisièmement, je suggère que l’on songe à mettre en place un « parlement itinérant », composé de députés, de sénateurs et d’élus locaux, qui « tourneraient » dans les quartiers pour entendre les doléances, les attentes, les idées des habitants et les répercuter ensuite à l’échelon de chacun des ministères concernés.

Quatrièmement, les initiatives locales doivent être répertoriées et systématiquement valorisées pour qu’elles puissent servir d’exemples et inspirer d’autres territoires.

Cinquièmement, il est nécessaire de lancer des campagnes de lutte contre les discriminations dans les médias, comme de multiplier les formations à destination des enseignants, des fonctionnaires des administrations, des forces de l’ordre, des hommes et des femmes des médias, ou encore des directeurs de ressources humaines pour les sensibiliser à la lutte contre le racisme et les discriminations En particulier, il pourrait être utile de leur dispenser quelques heures d’initiation à la diversité des cultures et des traditions religieuses présentes sur notre sol.

Sixièmement, il faut intégrer dans tous les manuels scolaires non seulement une présentation des cultures d’origine de nos immigrés et de leurs descendants, mais aussi une histoire de ces populations qui, à leurs yeux comme à ceux de tous les Français, rende clair le parcours les ayant conduites, depuis nos anciennes colonies, à vivre dans notre pays et relate également les luttes pour l’égalité qu’elles ont menées, au fil des décennies.

Septièmement, nous devons faire en sorte que toutes les écoles des quartiers deviennent aussi les écoles des parents, en y organisant, entre autres, des cours d’alphabétisation et d’apprentissage du français. Dans le même ordre d’idées, nous devons multiplier les initiatives de créations d’internats, augmenter le nombre de classes préparatoires dans les quartiers ainsi que celui des bourses pour les élèves méritants et créer des classes de soutien assurées par ces boursiers, qui serviraient ainsi d’exemples.

Huitièmement, il est nécessaire de favoriser, par diverses mesures, l’implantation et la naissance d’entreprises dans les quartiers.

Neuvièmement, les transports doivent enfin être améliorés de manière à « déghettoïser » nos banlieues. Je pense notamment à Montreuil, qui n’est accessible qu’en contournant le périphérique.

Monsieur le ministre, je suis sûre que ces idées recoupent nombre des vôtres. Mais prenons garde : il y a urgence. Certains de nos concitoyens des quartiers sont déjà déçus de la gauche. Beaucoup ont la rage au cœur, ce qui risque d’alimenter le repli communautaire ou religieux et serait peut-être pire encore que les violences ou les émeutes.

Si nous n’agissons pas rapidement, nos quartiers deviendront de petites nations dans la Nation, et nous aurons irrémédiablement failli à notre mission républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aujourd’hui, c’est à la fois l’élue de la Haute Assemblée et le maire de l’une des communes les plus pauvres de France, Calais, qui s’adresse à vous.

Vous le savez, la politique de la ville comprend l’ensemble des actions visant à lutter contre les phénomènes d’exclusion des populations urbaines défavorisées. Elle s’intéresse donc aux quartiers en crise.

Depuis ses prémices, dans les années soixante-dix, jusqu’aux émeutes urbaines du mois de novembre 2005, la politique de la ville est restée une « politique incertaine », quant à l’objet qu’elle se donne, à ses perspectives, à son statut dans l’action publique.

Le rappel de son histoire fait apparaître une série d’oscillations : du quartier à l’agglomération, d’un État animateur, voire autoritaire, à l’effacement de l’État au profit des maires, d’une politique d’exception à une politique à visée d’abord pédagogique, du développement autocentré du quartier à sa remise au niveau de la norme environnante.

Pour nous, la politique de la ville est d’abord une politique contractuelle, une politique globale embrassant tous les aspects de la vie quotidienne et une politique interministérielle.

Elle doit avoir pour objectif la prise en compte des territoires en difficulté au sein des villes : une politique publique adaptée doit par conséquent être conduite.

Elle repose sur trois principes fondamentaux : la mobilisation de l’ensemble des compétences et des acteurs à l’œuvre sur un territoire, la contractualisation entre ces acteurs et, pour l’État, une démarche interministérielle.

Ces principes ont été maintenus lorsque le périmètre d’action a été étendu du quartier à la ville pour permettre de mieux résoudre des dysfonctionnements structurels. Par exemple, la desserte des quartiers par les transports ne peut se traiter que dans le cadre d’un plan général de transport.

Le champ d’application de la politique de la ville concerne quatre domaines majeurs : la rénovation urbaine, la sécurité et la prévention de la délinquance, le développement social et culturel des quartiers, le développement de l’emploi et la revitalisation économique de ces mêmes quartiers.

C’est en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, que la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine fut votée. Pour la première fois, l’objectif de « réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires » était explicitement assigné à la politique de la ville.

Les écarts concernent à la fois la population et le territoire en tant que tel, l’urbain – avec les problématiques de l’enclavement, de la fonction des territoires, du logement, des formes urbaines, des dessertes... –, l’économique – je pense à l’emploi, à la qualité de l’offre commerciale, à l’intégration de fonctions économiques dans le tissu urbain, à l’existence de flux – et le social – dans ses dimensions insertion, formation et réussite scolaire.

La loi précitée avait pour objet de réduire les inégalités sociales et les écarts de développement entre les territoires dans les zones urbaines sensibles, les ZUS, notamment avec la création d’un observatoire national de ces ZUS.

Elle a permis la mise en place du programme national de rénovation urbaine, dit « plan Borloo », visant à la construction de 200 000 logements locatifs sociaux, à la réhabilitation de 200 000 autres logements et à la démolition de 200 000 logements vétustes sur la période 2004-2008.

À Calais, pour le quartier du Beau-Marais, la mise en œuvre du plan a correspondu à la construction de 657 logements, dont 308 sur le quartier et 349 hors site, de manière à le « dédensifier ». Nous avons également réhabilité 180 logements, puis « résidentialisé » 593 autres, pour un coût total de 143, 8 millions d’euros, dont 7, 8 millions d’euros pour le seul budget de la ville.

C’est aussi grâce à cette même loi que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine a pu voir le jour.

Plus récemment, en 2008, nous avons soutenu le « plan banlieues » voulu par le Président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, et intitulé « Une nouvelle politique en faveur des banlieues ».

La précédente majorité avait voulu faire de nos territoires en difficulté le lieu d’une dynamique collective qui mobilise l’ensemble des acteurs impliqués. Cela concernait l’État, bien sûr, avec le retour du droit commun, dans le cadre d’un programme triennal porté par chacun des ministères, mais également les collectivités locales, dans le cadre d’un partenariat responsable et ambitieux, et le monde économique, parce que l’émancipation et l’intégration passent par un emploi et parce que le retour de la croissance dépendra aussi des habitants des quartiers, qui regorgent de talents.

Par conséquent, cette dynamique rompait avec la logique curative des plans précédents. En effet, nos quartiers ne sont pas malades ! En outre, cette nouvelle politique de la ville n’énonçait pas un catalogue de mesures ; c’était une politique sur mesure, répondant aux exigences et aux besoins des habitants des quartiers. Enfin, elle se fondait sur une démarche d’évaluation et sur une culture du résultat.

À cette fin, l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, que nous avions voulu indépendant, produit chaque année un rapport sur la situation des quartiers populaires, sur laquelle il apporte un éclairage sans concession.

Pour pouvoir mettre en œuvre efficacement cette politique de la ville rénovée, nous avons modifié la gouvernance. À présent, celle-ci s’articule, à l’échelon national, autour d’une instance de consultation, le Conseil national des villes, d’une instance de décision, le comité interministériel des villes, et d’une instance de préparation et d’exécution, le secrétariat général du comité interministériel des villes.

Cette réforme a permis d’améliorer la visibilité pour les décideurs et l’efficacité des interventions.

La politique de la ville agit aujourd’hui tant sur le développement urbain, grâce à la rénovation urbaine et au désenclavement, que sur le facteur humain, grâce à l’accompagnement social de tous les habitants, notamment les plus modestes d’entre eux.

Son volet le plus visible reste, bien entendu, celui de la rénovation urbaine : aujourd’hui, le beau et le vert ne sont plus l’apanage des quartiers aisés. L’ensemble du programme de rénovation urbaine est ainsi salué non seulement par les élus de tous bords, mais aussi, et surtout, par les habitants qui retrouvent considération et dignité lors de la transformation de leur quartier.

Pour que le volet urbain de la politique de la ville soit complet, il faut également articuler la rénovation urbaine avec le désenclavement. Les zones urbaines en difficulté sont trop souvent excentrées, enclavées, coupées des bassins de vie et d’emploi, fait qui isole durablement les habitants des quartiers populaires.

La réduction de cette fracture territoriale est la condition de l’efficacité des autres actions de la politique de la ville. Grâce à une meilleure desserte des territoires par des transports en commun de qualité, les habitants peuvent accéder plus simplement à l’ensemble de la ville, aux emplois, aux équipements publics et privés, aux activités, mais aussi aux services.

Le désenclavement, qui permet de relier ces quartiers aux autres agglomérations, concourt à la lutte contre le chômage, laquelle doit être au centre de nos préoccupations. La situation de l’emploi est particulièrement difficile, vous le savez. Des écarts énormes existent entre les zones urbaines sensibles et le reste du territoire. Le taux de chômage y est deux fois et demie supérieur : il s’y établit à 22, 7 % contre 9, 4 % dans les zones hors ZUS des villes qui comprennent une telle zone. Le taux de chômage des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans atteint 40, 4 % en ZUS, contre 21, 6 % sur le reste du territoire.

L’éducation doit donc être au cœur de notre démarche, avec la promotion de l’égalité dans l’accès aux filières d’excellence, l’aide aux enfants en difficulté, ainsi que le renforcement de la sécurité dans les écoles des quartiers populaires.

À Calais, par exemple, nous avons mis en place, une politique d’éducation par le sport, alliée à la construction d’équipements spécifiques dédiés : le gymnase Gauguin-Matisse, l’espace Marinot, ou encore Zap’Ados. Cette politique consiste à attirer les jeunes en difficultés vers la pratique sportive, vecteur de règles et de valeurs structurantes. Il faut également citer l’action « lecture pour tous », dont la mise en place et la réussite furent saluées récemment par la presse nationale.

Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, l’accès aux filières d’excellence s’est développé…

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

C’était si bien avant !

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Pour la première fois, les classes préparatoires aux grandes écoles accueillent 30 % de boursiers. En effet, l’accentuation de nos efforts en faveur de la mixité sociale passe par l’émergence d’une élite issue des quartiers populaires.

Mais l’emploi et l’éducation ne peuvent être envisagés sans l’ordre public. Seul l’ordre républicain peut permettre l’émancipation sociale et économique des citoyens. Aussi devons-nous mener un combat de tous les jours pour faire reculer la violence dans les quartiers. Aucune politique ne peut être développée ni mise en œuvre sereinement dans un contexte local perturbé.

Le Gouvernement doit donc renforcer son action, d’autant plus que les territoires concernés par la politique de la ville ont particulièrement souffert de la crise. Leurs habitants ne doivent pas être laissés sur le bord de la route qui nous mène à la reprise économique.

Au-delà des réflexions sur les dispositifs, la politique de la ville a besoin de réformes structurantes profondes, afin d’accélérer la réduction des écarts territoriaux, donc des inégalités sociales. Je pense, bien entendu, à la réforme de la géographie prioritaire, à celle de la péréquation et à une nouvelle contractualisation.

Monsieur le ministre, l’expérience nous apprend qu’une politique trop générale dilue tout et ne résout rien. En revanche, plus on concentre les moyens sur les territoires en difficulté, plus les politiques sont efficaces. Je souhaiterais donc que votre gouvernement puisse cibler certains quartiers de façon objective : ceux dans lesquels les revenus des habitants sont les plus faibles, les taux d’emploi sont les plus bas, la proportion des jeunes est importante, la part de logements sociaux témoigne de l’absence de mixité sociale.

La réforme de la politique de la ville doit permettre de répondre à la situation de certains quartiers qui, aujourd’hui, faute d’être classés en zone urbaine sensible, ne bénéficient pas de tous les dispositifs d’accompagnement de l’État.

Si la solidarité accrue de l’État a été d’une grande aide pour certaines communes en difficulté, comme la mienne, elle n’a, en quelque sorte, réglé qu’en amont le problème des villes pauvres, en rapprochant leurs ressources du niveau de ressources moyen des communes. La réforme n’a pas été suffisante pour prendre en charge une part significative des dépenses exceptionnelles auxquelles ces collectivités doivent faire face. Dans bien des cas, les crédits spécifiques de la politique de la ville ont dû également contribuer à la remise à niveau des situations locales difficiles, avant de financer les besoins en équipements et services des populations concernées.

Je peux vous en donner quelques exemples : quand j’ai repris la gestion de la ville de Calais, abandonnée pendant trente-sept ans, j’ai dû investir chaque année environ 2 millions d’euros dans la seule réhabilitation des écoles et 1, 5 million d’euros en moyenne dans celle des routes, des trottoirs. Je ne parle même pas de la vétusté de l’éclairage public, dont la seule remise aux normes m’obligerait à dépenser, si j’en avais les moyens, 19 millions d’euros.

Compte tenu de l’ampleur de la tâche, je réalise chaque année des investissements, touche par touche, afin de remettre tous les équipements à niveau au fur et à mesure. Bien entendu, je dois également appliquer mon programme d’investissements nouveaux, tout en faisant face à une dette de 100 millions d’euros. C’est pourquoi, je suis particulièrement soulagée quand je reçois une aide de 8 millions d’euros au titre de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, ou encore une aide supplémentaire de 1 million d’euros au titre de la dotation de développement urbain, la DDU, ce qui donne une petite bouffée d’oxygène à mes finances et à mon programme.

Comme dans bien d’autres domaines, ce constat relatif à l’adéquation des ressources aux charges laisse à penser que l’on demande à la politique de la ville de régler des problèmes de portée générale avec des moyens inadaptés. En effet, le vrai clivage réside d’abord dans la distorsion entre villes riches et villes pauvres. Le chemin qui doit être parcouru pour réduire les inégalités territoriales et sociales est encore long. En l’espèce, le courage politique ne suffira pas, monsieur le ministre : c’est ensemble, au-delà des clivages politiques, que nous réussirons. Afin de faire un bout de ce chemin, je me porte volontaire pour participer, avec mes autres collègues qui sont intervenus aujourd’hui, à d’autres réunions de travail en commun, car il y va de la cohésion républicaine, qui constitue le socle de notre démocratie !

Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur celles du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2006, j’ai suivi de près dans ma commune la préparation du contrat urbain de cohésion sociale, ou CUCS, et du projet de rénovation urbaine, ou PRU. À l’époque, ces dispositifs étaient déjà censés réformer tant la géographie prioritaire que le ciblage des thématiques d’intervention et les modalités d’implication des différents partenaires de la politique de la ville.

Le principe d’une « géographie emboîtée » y était esquissé, notamment pour la définition des projets de rénovation urbaine, de même qu’était clairement affirmée la hiérarchisation nécessaire des quartiers selon le niveau de leurs difficultés, ce dernier étant évalué à l’aide d’un certain nombre d’indicateurs objectifs et chiffrés. Toutes les questions étaient déjà posées : la gouvernance et le pilotage, le partenariat et la cohérence entre les différents dispositifs contractuels, la planification des politiques territoriales, la mobilisation du droit commun, ou encore la synergie entre le volet social – les CUCS – et le volet urbain – les PRU – de la politique de la ville !

S’agit-il donc aujourd’hui de « réformer » ou de « réaffirmer » les principes structurants qui ont été inopérants ou insuffisamment appliqués jusqu’à ce jour ?

Je souhaiterais plutôt m’arrêter sur les réelles innovations que comportent les orientations soumises aujourd’hui à débat. En particulier, j’aimerais que le Gouvernement développe davantage et concrètement ce qu’il entend par « un cadre national souple qui permette à la fois l’adaptabilité et l’expérimentation au niveau territorial ». S’agit-il d’envisager l’expérimentation en rapport avec l’initiative locale des professionnels pour aborder les problématiques de leur terrain, de leur territoire ? N’assistons-nous pas à un essoufflement dans ce domaine, à force de zonage et de cadrage de la politique de la ville durant ces dernières années ?

Je souscrirais volontiers à cette orientation si, de façon effective, on cessait de ne prendre en compte que ce qui entre dans les grilles et les nomenclatures des projets « finançables » par l’ACSÉ ou l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU ! À quoi bon invoquer la territorialisation si les projets sont partout les mêmes et les crédits orientés de façon quasi systématique sur des dispositifs nationaux modélisés qui définissent tout par avance : priorités, publics cibles, modalités d’intervention !

Aujourd’hui, il s’agit de perfectionner l’architecture et le pilotage de la politique de la ville. Mais après, pour l’action au quotidien sur le terrain, que changerons-nous ?

Dans ce cadre d’application, au-delà des contraintes budgétaires qui obligent à prioriser tant les zones que les thématiques ou les niveaux de financement en fonction de critères toujours délicats à établir, j’aimerais attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un problème de fond qui n’est pas encore suffisamment posé : la reconnaissance, à l’échelon national, de « l’intelligence locale » des situations à traiter.

Ainsi, pour les départements d’outre-mer, du fait de son caractère expérimental et de son droit particulier, dérogatoire au droit commun, la politique de la ville fut un véritable levier de développement local. Elle était, en effet, l’une des seules politiques publiques qui déployait un effort d’adaptation au terrain, inhérent à sa définition même et à ses modalités d’intervention.

En quoi les outre-mer, avec leurs problématiques exacerbées de « mal-développement », de retard infrastructurel, de chômage endémique, d’immigration clandestine et d’échec scolaire auront-ils la garantie de cette adaptabilité dont ils ont particulièrement besoin ?

En guise d’illustration, le PRU permet à la ville de Kourou, dont je suis le maire, de reconquérir un centre-ville ancien délabré, enjeu essentiel de dynamique urbaine non seulement pour le quartier, mais pour l’ensemble du territoire de la ville. Toutefois, quelle lutte n’a-t-il pas fallu mener pour que les décideurs nationaux parviennent à comprendre la stratégie locale d’implantation de certains équipements, ou l’intérêt de certains projets !

C’est là que du temps se perd, que des énergies s’épuisent et, surtout, que les projets qui justifient toute la redynamisation d’un quartier ne sont en définitive pas retenus malgré leur portée également territoriale. Finissons-en enfin avec ce hiatus entre les normes nationales de l’intervention et la réalité du terrain !

Tel est, de façon concrète, le sens de mon intervention et de mon interrogation, monsieur le ministre : quelle place sera accordée à « l’intelligence locale » dans les nouveaux contrats ?

Cette incertitude m’amène à reposer tout simplement ma première question : qu’entend le Gouvernement, qu’entendez-vous, vous-même, monsieur le ministre, par « un cadre national souple qui permette à la fois l’adaptabilité et l’expérimentation au niveau territorial », afin de concilier le territoire, l’urbain et l’humain, éléments fondamentaux de la réflexion d’Oscar Niemeyer qui nous a quittés hier ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « plus de 8 millions de nos concitoyens habitant les quartiers relevant de la politique de la ville sont confrontés au quotidien et dans tous les domaines à des inégalités persistantes que les politiques conduites depuis dix ans n’ont pas permis de réduire » : tels sont les mots d’introduction de la feuille de route du Gouvernement. Ils s’inscrivent dans une logique de rupture avec la décennie passée. Le rapport publié par la Cour des comptes en juillet dernier a constaté la baisse constante des crédits depuis 2007. Le projet de loi de finances pour 2013, dont le Sénat n’a malheureusement pas pu examiner la partie « dépenses », stabilise les crédits alloués à la politique de la ville. Dans le contexte actuel, cela confirme la mobilisation du Gouvernement en faveur des 15 % de nos concitoyens qui vivent dans les territoires concernés.

Je voudrais revenir sur le rapport de l’ONZUS de 2012, qui insiste sur le fait que, dans ces territoires, tout s’aggrave encore plus vite qu’ailleurs : le taux de chômage est au moins le double de la moyenne nationale, il est même proche de 50 % pour les jeunes de certains quartiers relevant de la politique de la ville ; les personnes vivant dans les ZUS sont trois fois plus nombreuses que les autres à se dire victimes de discriminations ; un habitant sur trois vit sous le seuil de pauvreté ; un habitant sur quatre renonce à des soins pour raisons financières.

À ce propos, en tant que maire d’une commune de la banlieue lyonnaise, j’ai fait réaliser un diagnostic par l’Observatoire régional de santé, qui révèle des situations effroyables. En particulier, le taux de mortalité chez les hommes âgés de 40 à 50 ans est bien plus élevé que les moyennes départementale et nationale.

Dans le cadre de la réflexion sur la réforme de la politique de la ville, vous avez lancé, monsieur le ministre, en accord avec le Premier ministre, une grande concertation, qui réunit plusieurs centaines d’acteurs. Vous avez mis en place des groupes de travail sur la nouvelle géographie prioritaire, les contrats territoriaux et leur pilotage, les projets de territoire et les priorités thématiques. Ces groupes rendront compte de leurs travaux dans les prochaines semaines. Vous avez par ailleurs adressé un questionnaire aux maires concernés.

Vous avez déjà évoqué, monsieur le ministre, les nouvelles orientations qui pourraient guider une nouvelle politique de la ville abordant des sujets extrêmement importants, tels que la solidarité financière à travers un certain nombre de dispositifs – à cet égard, je salue à mon tour la décision d’augmenter la dotation de solidarité urbaine et la dotation de développement urbain –, le recentrage des aides avec une réactualisation des critères et des indicateurs, ainsi qu’une redéfinition des territoires, pour permettre une concentration des crédits spécifiques de la politique de la ville sur les quartiers et les populations les plus en difficulté.

Vous avez également parlé de la territorialisation des politiques publiques, avec la mise en place de contrats uniques liant les deux problématiques de la rénovation urbaine et de la cohésion sociale, ainsi que la démocratie participative. Je voudrais insister sur ce dernier point, car, nous le savons bien, la politique de la ville est plus efficace lorsque les habitants des quartiers y sont associés dès le début de la réflexion. Je souligne que des expériences conduites sur un certain nombre de territoires ont porté leurs fruits. Il ne s’agit donc pas ici d’inventer la démocratie participative, car elle existe déjà.

Vous avez enfin insisté, monsieur le ministre, sur le retour au droit commun. C’est à ce sujet que je souhaite consacrer la suite de mon intervention.

Claude Dilain a fait l’historique de la politique de la ville depuis les années quatre-vingt, en énumérant une série de sigles. Je me souviens particulièrement du développement social des quartiers à cette époque. Bon nombre de projets ont vu le jour, renforçant ou créant de nouveaux dispositifs en matière d’insertion, d’animation sociale, d’entretien des espaces extérieurs, de sécurité et de prévention de la délinquance, de prévention sanitaire et d’éducation à la santé. Ils ont été financés, dans les territoires, grâce à des crédits spécifiques. Leur pérennisation a pu être envisagée parce que ces actions, nous le mesurions au quotidien, produisaient des effets positifs.

Malheureusement, dans le même temps, les crédits de droit commun dans les domaines de l’éducation, de la solidarité, de la sécurité, de l’emploi n’ont pas été mobilisés pour répondre à ce besoin de pérennisation. Qui pis est, monsieur le ministre, le droit commun a parfois régressé dans ces territoires. Dans ma ville, par exemple, la scolarisation des enfants de moins de 3 ans a reculé, sous le prétexte parfois invoqué par les plus hautes autorités que les parents ne travaillent pas dans ces quartiers. C’est un comble !

Aujourd’hui, le constat est sévère. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, l’échec du droit commun a laissé les quartiers populaires de côté, la seule politique de la ville devant remédier à des difficultés qui n’ont cessé d’augmenter.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que la politique de la ville devait redevenir un levier pour remobiliser les grands ministères et les agences de l’État. Pouvez-vous nous préciser, dans le cadre de ce débat, comment vous envisagez de mobiliser les ministères chargés de l’éducation nationale, de la santé, de l’emploi, de l’économie, de la sécurité pour que soit assurée l’égalité républicaine dans les territoires en difficulté, au bénéfice de leurs habitants, qui, aujourd’hui, se sentent encore abandonnés ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

Monsieur le ministre, conduire la politique de la ville, quelle mission enthousiasmante ! C’est une politique essentielle, mais on ne peut pas tout lui demander, à l’heure où l’exclusion s’étend dans notre pays. Je vais vous donner mon sentiment sur cette question, en tant que sénateur, mais aussi en tant que maire et président d’une communauté d’agglomération de 300 000 habitants. Un tel sujet ne doit pas se discuter uniquement dans quelques arrondissements parisiens.

J’ai lu moi aussi le rapport de la Cour des comptes, mais, sur le terrain, on voit qu’il y a eu des résultats. Où en serait-on s’il n’y avait pas eu la politique de la ville ? Il faut aussi se poser cette question !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

On ne peut pas avoir une vision purement comptable des choses.

Dans beaucoup de communes et d’agglomérations, la politique de la ville fait l’objet d’évaluations régulières. Les habitants des quartiers concernés sont interrogés. Il faut tenir compte de ce qu’ils disent et pensent. La stigmatisation est d'ailleurs beaucoup plus le fait de ceux qui n’habitent pas dans ces quartiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

En effet, au sein des quartiers populaires, on constate bien souvent un esprit de communauté.

Il convient d’aborder cette question d’une façon pragmatique. Je souscris à 90 % des propos qu’a tenus tout à l’heure notre collègue Valérie Létard. Que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, quand il pleut, il faut le reconnaître, et ne pas prétendre qu’il fait soleil !

Je voudrais intervenir sur trois points particuliers.

En premier lieu, dans l’élaboration de la politique de la ville, il ne faut pas oublier les agglomérations. Il convient, selon moi, de distinguer le cas très particulier de la région d’Île-de-France. La communauté de destin et de dessein y est beaucoup moins forte qu’ailleurs, mais les problèmes y sont aussi plus graves. À Tours, la communauté d’agglomération, qui regroupe dix-neuf communes de sensibilités différentes, gère la politique de la ville. Il faut tenir compte de cette disparité entre l’Île-de-France et le reste du pays dans la politique de la ville.

Si la commune est bien l’échelon de mise en œuvre des actions, ces dernières doivent être définies avec l’État dans le cadre de l’agglomération. Cela va d'ailleurs dans le sens des travaux que vous menez actuellement, monsieur le ministre, et dont nous avons été unanimes à souligner la nécessité.

Dans ce domaine aussi, je suis un fervent défenseur de la décentralisation. Il y a eu parfois la tentation de substituer les préfets ou les sous-préfets aux maires pour conduire la politique de la ville. Je me permettrai simplement de rappeler cette belle phrase prononcée par François Mitterrand en 1982 : « La France a eu besoin d’un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a aujourd’hui besoin d’un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire. » Cette citation me semble toujours pertinente aujourd’hui. Il faut tenir compte de la réalité des territoires.

En deuxième lieu, la mixité est une dimension essentielle. Il faut que des quartiers relevant de la politique de la ville réussissent. Sur ce point, les villes ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Certaines villes de banlieue, notamment en région parisienne, sont quasiment des villes-quartiers. Dans d’autres agglomérations, les choses peuvent plus facilement évoluer. Il faut faire vivre ensemble les gens, tout en tenant compte des réalités : certaines familles sont contentes de quitter un quartier parce que c’est pour elles le signe d’une réussite. §

Comment concilier ce phénomène avec notre volonté d’améliorer la situation dans les quartiers en difficulté ? Il importe, à mon sens, que l’offre de logement ne s’y limite pas au secteur locatif social : il faut promouvoir l’accession très sociale à la propriété, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

… afin que des personnes de diverses conditions sociales et de tous âges choisissent de rester dans ces quartiers et soient heureuses d’y vivre. Je pense que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lors du débat sur les taux de TVA : il faudra alors veiller à ce que le logement social échappe à une augmentation forte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Germain

Enfin, l’égalité des chances, qui n’est pas l’égalitarisme, est un élément important. Tout jeune des quartiers a droit à sa chance de faire son chemin, notamment grâce à l’école et au collège, qui doivent véritablement faire vivre la mixité.

Je tenais à affirmer aujourd’hui que, sur ce sujet essentiel, les pistes de réflexion sont multiples ! §

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en écoutant Claude Dilain, grande figure de la politique de la ville s’il en est, je ne pouvais m’empêcher de penser au Saint Sébastien du Pérugin que j’ai vu mardi dernier dans la Galerie du temps, au Louvre-Lens, aux côtés d’anciens mineurs qui me disaient : « On ne pensait pas que c’était pour nous ! »

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Voilà un exemple de mise en œuvre de ce que l’on appelle le droit commun !

Mes chers collègues, citez-moi un seul maire ou président d’agglomération qui dénigre l’ANRU ! Il n’y en a pas : tout le monde veut bénéficier du programme de l’ANRU ! Monsieur le ministre, il vous appartient de trouver les 6 milliards d’euros de financement qui manquent encore.

Il vous revient également de travailler à la réconciliation de l’humain et de l’urbain, pour employer une expression qui a déjà été utilisée par d’autres, et de cibler votre action sur le maillon faible de la politique de la ville, dont je salue tous les acteurs, quel que soit leur bord.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

À cet égard, il est très important que la problématique de l’accès à l’emploi soit au cœur des préoccupations de votre ministère.

À Roubaix, comme dans de nombreuses autres villes, le premier employeur est l’hôpital. Il y a des filles issues de l’immigration qui réussissent formidablement bien, comme le montre l’étude de l’OCDE publiée le 3 décembre dernier, et veulent travailler à l’hôpital : on compte 67 % de boursiers dans les écoles d’infirmières. Mais nous devons être vigilants : une révolution copernicienne est en cours à Bercy

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Il faut savoir adapter le droit commun !

Claude Dilain était déjà là, tel saint Sébastien

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Nous n’avons pas de planche à billets à notre disposition. Comment allons-nous faire, dans ces conditions ?

Pour ma part, je pense que, pour que cela marche, il faut que la communauté d’agglomération ou la communauté urbaine, chargée de l’implantation, le conseil régional, qui assure l’aide aux entreprises, et les villes, responsables de la maîtrise d’œuvre, contractent globalement. C’est votre système des poupées russes, monsieur le ministre, que vous allez nous expliquer merveilleusement dans quelques instants. §Vous avez raison : sans intégration des différents échelons à la politique de la ville, celle-ci ne produira pas de résultats.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire, comme mon collègue maire de Tours, qu’il faut laisser aux acteurs de terrain une latitude de travail, y compris en ce qui concerne les critères. Songez aux combats que nous avons dû mener ici : il nous a même fallu convaincre notre ancien collègue Repentin, aujourd’hui ministre ! §

Il n’est pas besoin de faire appel à des études ou à la sociologie pour savoir que la carte de l’immigration, c’est la carte de la politique de la ville, et c’est la carte de l’abstention… Quand je suis face à un jeune issu d’un milieu très difficile mais qui a réussi à l’école, ne me renvoyez pas à un décret en Conseil d’État ou à un avis de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi pour savoir si je peux ou non l’embaucher ! Laissez faire les élus !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de René Vandierendonck

Il en existe une dans la région Nord-Pas-de-Calais. La question est simple : comment faire revenir les investissements dans un territoire qu’ils ont déserté ? C’est à une telle question que doit répondre la politique de la ville, qu’il s’agisse de l’habitat ou de l’activité économique.

Il y a des économies à faire. Ainsi, personne n’est capable de démontrer que l’EPARECA, l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, apporte une quelconque plus-value par rapport, par exemple, à une société d’économie mixte d’aménagement.

Pour attirer un investisseur, il faut, outre une bonne contractualisation, créer des conditions de prêt telles que, malgré la conjoncture, il décide de se lancer parce qu’il peut accepter un temps de retour sur investissement long sans compromettre son bilan. L’entreprise est la grande oubliée de la politique de la ville : je plaide pour qu’elle y soit intégrée, car c’est extrêmement important. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mon cher collègue, vous avez doublé votre temps de parole, mais cela valait la peine…

La parole est à Mme Dominique Gillot.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

Engager le changement pour les habitants des quartiers, voilà une belle ambition à partager, monsieur le ministre. Il nous faut lutter contre les visions fermées, négatives, défensives, car, nous le savons bien, les zonages stigmatisants, l’empilement des dispositifs diluent l’action, accentuent les fractures, et alors c’est l’imagination qui dérape et s’emballe, particulièrement quand l’ignorance mutuelle domine : l’humus de la peur, de la xénophobie, du repli sur soi prospère, bloquant toute dynamique de progrès partagé.

Or, pour construire une identité positive des quartiers, c’est la politique de la ville, projet transversal de gouvernance locale, qui peut, en s’appuyant sur une vision prospective globale, réinventer des utopies positives dans lesquelles nos concitoyens pourront se projeter.

N’oublions pas que, pour les générations antérieures, arriver en ville, habiter dans une cité neuve était synonyme d’accès au confort, aux services publics et, par suite, à la formation, à l’emploi, à la mobilité, à la modernité.

Georges Duby ne disait-il pas que la ville avait été au cœur des transformations sociales parce qu’elle était un espace de mélanges et de libertés ? Or, aujourd'hui, même si nous recherchons toujours un vocabulaire le moins stigmatisant possible, vivre dans une ville taraudée par la crainte de voir son homogénéité menacée revient à subir des mécanismes de ségrégation. Le vivre-ensemble est dégradé, constate Pierre Rosanvallon. Il faut donc repenser l’organisation, la cohérence et la vision du territoire dans son ensemble pour répondre à cette segmentation qui ne fait qu’additionner des espaces repliés sur eux-mêmes, ne communiquant pas.

Pour cela, il faut optimiser l’utilisation des fonds dédiés, mais surtout capitaliser les expériences d’ingénierie et d’intelligence du projet collectif, en associant les habitants à la démarche, pour réellement viser l’amélioration non seulement de l’habitat, mais aussi de la qualité de vie.

J’évoquerai maintenant plusieurs programmes et contrats existants, qui sont autant de dispositifs spécifiques, éminemment transversaux, faisant bouger les lignes et favorisant la mixité sociale, la cohésion autour d’un projet commun, facteur de progrès partagé, de fierté.

Les programmes de réussite éducative ont pour objectif de restaurer les adultes dans leur dignité de parents, de les soutenir dans l’exercice de leurs responsabilités, de les guider dans les réseaux d’aide et d’accompagnement institutionnels ou informels, de les encourager à la prise de parole, à l’investissement local auprès de leurs enfants, dans l’école, les centres sociaux, les équipements culturels, la cité, de les accompagner dans l’acquisition d’une citoyenneté active fécondée par leur statut de parents.

Les contrats locaux de santé publique, évoqués à plusieurs reprises, sont destinés à répondre aux besoins en santé des habitants d’un quartier, en s’appuyant sur leurs capacités à s’exprimer, à réagir, à faire, à s’impliquer. Les CLS permettent l’inscription collective dans un parcours de progrès mesurables, où la place de chacun est reconnue et mise en valeur, car c’est un gage de réussite.

Les projets éducatifs locaux devront devenir des projets éducatifs globaux dans le cadre de la mise en œuvre de la refondation de l’école. Ils devront intégrer, autour de l’éducation nationale et des temps de l’élève, les partenaires locaux de la communauté éducative, de l’action sociale, du monde culturel, du mouvement associatif local.

Les programmes locaux de l’habitat, les PLH, dont se sont dotées bien des collectivités, en particulier les intercommunalités, permettent d’atteindre les objectifs quantifiés de production de logements, avec la part de logements sociaux indispensable à l’équilibre urbain. L’évaluation des besoins et l’élaboration des programmes doivent aboutir à un constat indiscutable et à l’acceptation des PLH, dont les habitants peuvent suivre la mise en œuvre et juger la qualité.

À tous ces programmes vont s’ajouter les plans de recrutement des emplois d’avenir, l’accueil des services civiques. De nouvelles initiatives voient par ailleurs le jour, comme celle de la Fédération des étudiants volontaires, la FEV, qui dispense des cours de soutien scolaire et propose des tutorats au domicile des jeunes. Elle met en œuvre un contrat gagnant-gagnant dans les quartiers où la mobilité résidentielle est bloquée. Elle organise l’accueil d’étudiants volontaires dans un appartement en colocation, dont le loyer est pris en charge par le bailleur et les partenaires locaux, en échange de l’apport de services d’utilité sociale aux habitants, à l’école, au centre social, au quartier.

Voilà, me semble-t-il, une dynamique d’éducation populaire, d’échange de savoirs et de soutien au développement de la citoyenneté active à encourager. Je n’oublie pas, bien sûr, les contrats locaux de prévention, d’insertion et de sécurité, qui ne doivent pas seulement promouvoir une politique du chiffre.

Monsieur le ministre, la politique de la ville doit permettre d’élaborer une nouvelle urbanité, un « savoir vivre ensemble ». Véritable colonne vertébrale du projet politique des élus pour leur ville et leurs concitoyens, elle doit être une boîte à outils pour bâtir un monde où la force motrice sera non plus le ressentiment et la frustration, mais la construction d’une réalité collective, facteur d’intelligence et de fierté partagées.

En effet, il ne faut pas négliger la dimension humaine de la ville, qui dépasse la seule problématique urbaine et architecturale. La ville est bien le lieu de rencontre des individualités, dont il faut prendre en compte les singularités pour construire du commun.

La ville, c’est l’hétérogénéité que ne peut effacer aucun plan de rénovation, mais qu’il faut valoriser pour en faire un levier de réussite, élaborer une vision d’avenir.

La sortie de la géographie prioritaire ne doit pas être vécue comme une menace par les villes concernées. Le fait d’avoir bénéficié de financements spécifiques, d’avoir obtenu des cofinancements, d’avoir appris à lever des participations complémentaires pour atténuer leurs charges leur a permis de développer des compétences et une méthodologie dans la conduite de projets contractuels qui sont précieuses.

Ces acquis doivent permettre aux maires et aux préfets de mobiliser les énergies locales pour construire un projet territorial unique, avec ou sans financements particuliers, qui permettra d’activer tous les leviers des politiques publiques de droit commun. Les engagements en matière de droit commun renforcé et de rééquilibrage pris devant – et avec –les habitants et les ayants droit seront quantifiés, évalués et révisés de manière triennale.

C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons progressivement réduire les écarts sociaux et territoriaux de façon durable. En parallèle, nous devrons agir pour développer la citoyenneté active. Cela se fera en introduisant plus de lisibilité, en simplifiant les procédures, en promouvant la confiance dans les partenaires et les élus locaux, en allégeant, surtout, les pouvoirs bureaucratiques liés à l’« agenciarisation », bref en remettant de la considération humaine dans un modèle devenu par trop technocratique, illisible et impuissant. §

Debut de section - Permalien
François Lamy

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier de ce débat de qualité. Certes, je regrette moi aussi que les crédits de la politique de la ville n’aient pu être discutés dans cette assemblée, mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur : cela a conduit à l’organisation de ce débat, qui nous permettra peut-être de dégager des lignes de consensus pour la réforme de la politique de la ville que j’ai engagée selon les directives du Président de la République et du Premier ministre.

Vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, sont nourries par votre expérience d’élus locaux, mais se fondent également sur une réflexion théorique. Je vais m’efforcer de répondre à vos interrogations et à vos craintes, sachant que les décisions devront être prises au début de l’année prochaine.

Je souhaite donc vous exposer ma démarche.

Le Président de la République et le Premier ministre m’ont confié la charge de la politique de la ville, mission que j’exerce auprès de la ministre de l’égalité des territoires et du logement. Cette politique vise au rétablissement de l’égalité républicaine dans les territoires, l’objectif étant d’améliorer très concrètement la vie des habitants des quartiers et de réduire les inégalités dans tous les domaines.

C’est une responsabilité qui m’oblige, au service des 8 millions de nos concitoyens qui habitent les quartiers populaires. Si nous devions conduire une « politique de civilisation », ce serait bien celle-ci : raccrocher les quartiers aux dynamiques d’agglomération, les remettre au cœur du pacte républicain. Une bonne partie de l’avenir du pays dépend de notre capacité à intégrer complètement dans la société les habitants des quartiers, notamment les plus jeunes, à exploiter leur potentiel, à valoriser leurs talents, à leur donner la place et la reconnaissance qu’ils méritent.

Le défi est immense. Les différents orateurs l’ont relevé, dans les zones urbaines sensibles, le taux de chômage est près de deux fois et demie supérieur à celui que l’on constate dans les agglomérations sur le territoire desquelles elles sont situées. Les rapports de la Cour des comptes et de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles soulignent que la crise frappe plus durement dans ces quartiers populaires que partout ailleurs.

Cette situation, je la constate chaque semaine dans les quartiers que je visite. À cet instant, je tiens à saluer tous les élus, responsables associatifs, enseignants, professionnels ou simples citoyens que je rencontre sur le terrain et qui se battent pour que la vie soit plus douce dans ces quartiers sensibles et que tous les moyens et toutes les énergies soient mobilisés pour que le plus grand nombre possible s’en sorte, surtout parmi les plus jeunes. À une époque qui favorise le repli sur soi et l’individualisme, il me semble qu’il y a beaucoup à apprendre des mécanismes de solidarité qui se développent dans ces territoires urbains en difficulté.

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Ma démarche, monsieur Dilain, ne repose pas sur la sectorisation des quartiers et des villes telle qu’elle existe actuellement. Un grand débat national est en train de s’ouvrir, avec le concours de plusieurs intellectuels, sur la fracture territoriale que l’on constate aujourd’hui en France, entre régions, mais également au sein même des villes.

Je partage votre avis : on ne peut se satisfaire de cette situation. Le rapport de la Cour des comptes montre que la situation sociale et économique est aussi difficile dans ces quartiers qu’il y a dix ans. Nous le savons, leur population a changé, mais nous ne pouvons nous satisfaire qu’il existe des quartiers « sas », permettant de passer des quartiers pauvres aux quartiers habités par une population plus aisée. C’est là une organisation du territoire et de la ville qui ne correspond pas au projet du Gouvernement, ni au vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’en crois les propos que vous avez tenus, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez.

C’est pourquoi j’ai engagé, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, une réforme complète de la politique de la ville. Ses grands objectifs ont été présentés lors du conseil des ministres du 22 août dernier. Nous réfléchissons à ses orientations dans le cadre de la concertation que j’ai lancée à Roubaix, le 11 octobre.

Les conclusions de cette concertation trouveront une traduction concrète lors d’un comité interministériel des villes devant avoir lieu au premier trimestre de 2013 au plus tard, puis dans un projet de loi qui vous sera soumis l’année prochaine. La discussion de ce texte dans chacune des assemblées constituera le deuxième temps de la concertation.

Cette concertation rassemble plus de 150 participants : élus, représentants des ministères et de l’État territorial, professionnels, représentants d’associations locales et nationales, d’organismes d’HLM et d’entreprises, personnalités qualifiées. J’ai tout particulièrement souhaité que les élus soient pleinement associés à la démarche. Quatre sénateurs sont ainsi directement parties prenantes à cette concertation : Laurence Cohen, Jean Germain, Hervé Marseille et Philippe Dallier, Claude Dilain ayant pour sa part accepté de copiloter un groupe de travail sur le sujet important de la géographie prioritaire. Par leur connaissance des réalités territoriales et leur capacité à appréhender les grands enjeux nationaux, ils enrichiront les débats, j’en suis convaincu, et seront à même de faire des propositions à la fois pragmatiques et ambitieuses sur le devenir de la politique de la ville.

Parallèlement, j’ai lancé une consultation des élus et des populations concernées, par le biais de questionnaires – plus de 300 nous ont déjà été retournés –, et j’aurai également l’occasion, au mois de janvier prochain, d’organiser quelques forums réunissant des habitants des quartiers, car on ne peut concevoir une politique de la ville sans les écouter ni les associer à la réflexion.

À cet égard, j’estime que, à l’issue de la concertation, il faudra certainement mettre en place des structures pérennes de discussion et de négociation avec les représentants des habitants des quartiers, à un échelon qui reste à déterminer : local, intercommunal, voire régional. En tout cas, la concertation doit déboucher sur des propositions. §

Quels sont les objectifs de la réforme de la politique de la ville ?

L’objectif premier est de mobiliser les politiques de droit commun ou, pour le dire autrement, de mieux territorialiser les politiques sectorielles.

Cela a été dit, je dois être le dix-neuvième ministre de la ville à venir expliquer dans cette assemblée qu’il va faire tout son possible pour mobiliser les politiques de droit commun ! §

Des choses ont été faites dans le passé. Ainsi, le ministère de l’éducation nationale a pris en compte, voilà maintenant plusieurs années, la nécessité de territorialiser, en mettant en place les zones d’éducation prioritaires. À cet égard, il est important de souligner que le ministère de l’éducation nationale va abandonner la géographie prioritaire qu’il applique actuellement pour adopter celle qui sera définie par la nouvelle politique de la ville : voilà un premier exemple de mise en cohérence interministérielle.

Bien entendu, cela ne suffira pas. Le ministère de la ville ne peut à lui seul, avec les moyens qui sont les siens, corriger des inégalités aussi lourdes que celles dont pâtissent les quartiers populaires. En 2012, 525 millions d’euros ont été alloués à la cohésion sociale et 1 milliard d’euros à la rénovation urbaine. Je veux souligner que, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, le Gouvernement a marqué la priorité accordée aux quartiers populaires en reconduisant globalement pour 2013 les moyens alloués au ministère de la ville. Certes, ces moyens n’augmentent pas, mais un coup d’arrêt a été mis à leur baisse continue, les crédits du ministère de la ville ayant diminué de 31 % depuis 2009.

Cela ne suffira pourtant pas, je l’ai dit ; il faut donc mobiliser les politiques sectorielles et les territorialiser. Je souhaite le faire à l’aide de deux outils.

Il faut d’abord mettre en place un pilotage interministériel à l’échelon national.

Conformément à la demande que j’avais formulée devant le conseil des ministres le 22 août dernier, le Premier ministre a signé le 30 novembre une circulaire interministérielle qui va me permettre de passer, d’ici à la fin du mois de février, des « conventions d’objectifs pour les quartiers populaires » avec chacun des autres ministères concernés pour fixer leurs engagements en faveur de ces quartiers dans les champs de l’éducation, de l’emploi, de la sécurité, de la santé, de la culture, de la jeunesse, des transports, etc.

Ces conventions, qui porteront non seulement sur les objectifs, mais également sur la méthode et sur les moyens engagés à l’échelon national par les différents ministères, sont actuellement discutées entre les cabinets ministériels et le seront prochainement avec les administrations centrales.

Je souhaite que ces conventions, que je veux triennales de façon à pouvoir procéder régulièrement à des évaluations, fixent des objectifs très concrets. Je pense, pour le ministère de l’éducation nationale, à l’accentuation de la scolarisation des enfants de 2 à 3 ans dans les quartiers populaires.

Mme Christiane Demontès approuve.

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Dans le même esprit, j’ai demandé aux préfets, aux préfets délégués pour l’égalité des chances et aux sous-préfets à la ville de conduire un travail analogue avec l’ensemble des chefs de service de l’État pour que chaque politique sectorielle soit passée au prisme de son incidence sur les quartiers populaires et que soient concentrés les moyens de droit commun dans les territoires défavorisés.

Au cours de mes déplacements, en me fondant sur des expérimentations menées notamment à Amiens, j’exprime aux préfets le souhait qu’ils prennent en compte cette dimension de la politique de ville et mobilisent l’ensemble des services déconcentrés de l’État dans les territoires, sans même attendre les futurs contrats.

D’ores et déjà, le Gouvernement a pris plusieurs initiatives.

Le ministère de la ville a ainsi été associé à la définition des territoires où vont être organisées des zones de sécurité prioritaires, et il le sera également, je l’espère, à la mise en place des dispositifs opérationnels des politiques qui seront conduites dans ces zones.

Un quart des 1 000 postes d’enseignant créés à la rentrée de 2012 ont été affectés aux écoles relevant de l’éducation prioritaire.

Par ailleurs, nous avons pu pour la première fois, grâce aux travaux du Parlement, territorialiser une partie de la politique de l’emploi, puisque 30 % des emplois d’avenir sont réservés aux jeunes des zones urbaines sensibles, afin de prendre en compte la discrimination à laquelle ces jeunes sont confrontés, en particulier lorsqu’ils sont diplômés.

Dans la même perspective, je souhaite expérimenter les emplois francs. Il s’agira là aussi d’un dispositif anti-discrimination, destiné en particulier aux jeunes des quartiers en difficulté qui ont fait l’effort, avec le soutien de leurs parents et de leur entourage, de se former, mais ne trouvent pas d’emploi alors qu’ils ont le même niveau de qualification et, souvent, plus d’enthousiasme et de dynamisme que les jeunes issus de quartiers plus favorisés.

Cette expérimentation sera menée à Marseille, à Clichy-Montfermeil, à Grenoble et à Amiens. Ces quatre villes sont de tailles et de situations économiques différentes, ce qui nous permettra de vérifier que le dispositif ne présente pas de biais, avant de le développer dans le courant de l’année 2014.

Toujours au chapitre de la mobilisation du droit commun, nous avons veillé, avec Marylise Lebranchu, à garantir l’expression de la solidarité nationale, au travers d’une progression sans précédent de la péréquation l’année prochaine. Ainsi, la dotation de solidarité urbaine est augmentée de 120 millions d’euros, principalement au bénéfice des 250 communes qui bénéficient de la « DSU cible », tandis que la dotation de développement urbain est majorée de 25 millions d’euros. Cette majoration de la DDU profitera aux cinquante communes les plus pauvres de notre pays, sachant que j’essaie de faire en sorte que cette dotation soit déplafonnée en 2013 et qu’elle soit répartie avec toute la souplesse nécessaire par les préfets.

J’ai confié à François Pupponi, député de Sarcelles, une mission sur les outils de la péréquation. Claude Dilain l’a souligné, si ces outils ont joué un rôle important pour enclencher la solidarité entre l’État et les communes en difficulté, entre les communes riches et les communes plus pauvres, nous savons tous, d’une part, qu’ils ont des effets pervers, et, d’autre part, que l’on peut faire davantage en matière de solidarité. François Pupponi rendra ses conclusions et formulera des propositions concrètes avant la fin du mois de janvier.

Le deuxième objectif est lié au premier : il est de réformer la géographie prioritaire pour la simplifier et concentrer les interventions sur les quartiers qui en ont le plus besoin.

En effet, la politique de la ville doit être le marqueur territorial pour les politiques de droit commun et pour l’action publique en général. C’est à cette seule condition que les crédits spécifiques auront un véritable effet de levier pour ces territoires.

M. Dilain a fait référence à la superposition actuelle des différents zonages – ZUS, ZRU, ZFU, ZEP… –, dont l’enchevêtrement est tel qu’il est même difficile de déterminer le nombre des villes concernés par les dispositifs de la politique de la ville ! Ainsi, certains contrats urbains de cohésion sociale ont été signés par des villes seules, d’autres par des intercommunalités, d’autres encore par quelques villes à l’intérieur d’une intercommunalité, tandis qu’un cinquième des régions et un tiers à peine des départements se sont engagés dans ce dispositif.

L’ensemble est devenu illisible, et on a saupoudré, au fil des années, les actions de la politique de la ville, ce qui l’a parfois rendue contre-productive.

Jusqu’à présent, les opérations de rénovation urbaine ont été mises en œuvre sans être nécessairement accompagnées d’un volet de cohésion sociale suffisant. Les zonages ont conduit à stigmatiser et à enclaver les populations des quartiers ; il faut donc les revoir tous. Cette réforme a été continuellement repoussée, la dernière tentative remontant à 2009. Fort du soutien du Premier ministre, je suis résolu à la mener à bien, en prenant bien sûr en compte l’ensemble des contraintes des différentes collectivités, car elle est indispensable.

Je crois qu’il faut avoir le courage de dire qu’il existe des villes dont la situation ne justifie plus aujourd’hui qu’elles bénéficient des moyens spécifiques de la politique de la ville. Cela signifie que le travail qui y a été mené a produit des effets positifs. Les élus doivent, à mon sens, s’en satisfaire.

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Charité bien ordonnée commence par soi-même : la ville de Palaiseau, dont j’ai été maire pendant onze ans et qui a bénéficié d’un contrat urbain de cohésion sociale, devrait renoncer aux crédits qui lui sont accordés au titre de la politique de la ville et revenir au droit commun. J’espère que cela montrera le chemin à d’autres communes !

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Les participants à la concertation travaillent à remettre à plat la définition des territoires prioritaires. Ils ont déjà souligné l’intérêt de retenir un nombre très restreint d’indicateurs, pour une meilleure objectivité et une visibilité accrue. Le revenu semble devoir être placé au cœur de la définition de cette nouvelle géographie, dès lors que c’est lui qui traduit le mieux un ensemble de réalités sociales et la concentration de difficultés différentes : nombre de familles monoparentales, part des logements sociaux, taux de bénéficiaires des APL, proportion des jeunes dans la population, etc. D’autres indicateurs, quantitatifs mais aussi qualitatifs, seront combinés à celui du revenu pour la définition et l’évaluation des projets de territoire.

L’idée majeure est de simplifier pour ne plus enclaver. Les participants à la concertation ont ainsi déterminé les contours d’une nouvelle architecture de la politique de la ville. En remplacement des zonages, est proposée une géographie emboîtée, centrée sur des « territoires cibles » de la politique de la ville. À partir de ces nouveaux territoires prioritaires se déploieront des territoires de projet et d’intervention, en fonction des problématiques, pour adapter l’action publique aux réalités locales et décloisonner les quartiers concernés.

Enfin, je souhaite que le territoire de contractualisation soit l’agglomération, le maire restant bien entendu le pilote opérationnel de proximité.

Sur ce point, nous devrons porter une attention toute particulière aux outre-mer, dont la situation, en termes tant de gouvernance que de spécificités thématiques, en matière d’habitat insalubre, de chômage ou de croissance démographique, doit conduire à une prise en compte et à un traitement différenciés des enjeux.

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Je travaille sur ce sujet avec le ministère de Victorin Lurel, et j’ai demandé qu’une table ronde spécifique soit organisée au mois de janvier, dans le cadre de la concertation.

De la même manière, nous devrons porter une attention particulière à la région francilienne, notamment en matière de gouvernance et de fait intercommunal. En effet, l’intercommunalité est beaucoup moins développée en Île-de-France qu’ailleurs. Dans cette région, les intercommunalités se sont souvent construites, j’en parle d’expérience, par affinités politiques ou par rejet de la commune d’à côté. Il faudra donc sans doute définir des périmètres plus larges que ceux des actuelles intercommunalités, sans attendre d’éventuelles fusions. La nouvelle politique de la ville sera une politique non pas isolée, mais complémentaire du droit commun.

Le troisième objectif est de mettre en place une nouvelle génération de contrats de ville.

Ma méthode consiste à simplifier et à mettre en cohérence tous les enjeux dans un contrat de ville unique et global, qui associe les actions en faveur de l’amélioration du cadre de vie – c'est-à-dire toutes les actions de rénovation urbaine –, les actions en faveur des habitants – soit toutes les actions de cohésion sociale actuellement menées dans le cadre des CUCS – et la mobilisation du droit commun de l’État, des collectivités locales, des agences et des organismes de sécurité sociale. Ce nouveau contrat de ville rassemble et engage les acteurs autour d’un projet de territoire, avec un diagnostic partagé et des objectifs clairs à l’échelle pertinente, à savoir l’échelle intercommunale.

Il s’agit également d’un contrat participatif, qui associe, sous la coordination du préfet et du maire, l’ensemble des acteurs, à commencer par le président de l’intercommunalité, le président du conseil régional, le président du conseil général, la caisse d’allocations familiales, Pôle emploi, l’agence régionale de santé, les chambres consulaires, les organismes d’HLM, bref tous ceux qui sont investis d’une responsabilité à l’égard des habitants des quartiers.

Ces contrats de ville de nouvelle génération ont vocation à être conclus après les élections municipales de mars 2014, pour la durée du mandat municipal, soit de 2014 à 2020.

M. Antoinette a évoqué l’articulation entre cadre national et cadre local. Je suis très sensible à ce que les élus de terrain peuvent me dire sur la nécessité de fixer des orientations nationales – les priorités sont malheureusement assez faciles à déterminer : emploi, éducation, santé, culture… –, mais il est évident que les actions, la stratégie, les moyens, la méthode doivent être mis en œuvre localement. À cet égard, les contrats de développement territoriaux mis en place en Île-de-France à l’échelle de véritables bassins de vie montrent peut-être la voie à suivre pour l’élaboration des futurs contrats de ville : État et collectivités territoriales ont défini ensemble les stratégies et les moyens à mobiliser. Je serai en tout cas très vigilant à ce que l’on n’impose pas d’en haut des politiques qui ne refléteraient pas la réalité locale.

Ces contrats, je l’ai dit, intégreront les opérations de rénovation urbaine, qui sont essentielles pour transformer le cadre de vie des habitants des quartiers. Depuis mai 2012, le Gouvernement s’est efforcé d’assurer le financement du Programme national de rénovation urbaine. Une lettre d’engagement mutuel a été signée entre la ministre de l’égalité des territoires et du logement et le réseau Action logement, qui apportera annuellement un minimum de 800 millions d’euros sur la période triennale 2013-2015, le complément étant fourni par l’État en fonction des besoins. Je peux donc affirmer aujourd’hui que nous mènerons à bien le premier Programme national de rénovation urbaine. Ce dispositif est salué comme une réussite dans tous les territoires, mais sa mise en œuvre doit être correctement évaluée afin de préparer au mieux la nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain. Conformément à l’engagement pris par François Hollande lors de la campagne présidentielle et confirmé au début du mois de septembre par le Premier ministre, nous y travaillons actuellement, en tenant compte, bien entendu, des erreurs qui ont été commises dans le passé et en étant attentifs à la question de la reconstitution de l’offre. Il s'agit en effet d’un sujet majeur : est-il vraiment nécessaire de démolir autant, alors que la priorité est plutôt de désenclaver ces quartiers, de les relier à l’ensemble du territoire dont ils relèvent ? Il faudra à la fois, pour cette nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain, fixer plus précisément les grandes orientations et offrir plus de souplesse aux acteurs locaux –élus, associations, mais aussi habitants –, qui sont les mieux à même de définir les meilleures conditions pour créer la mixité urbaine.

L’objectif est en effet de faire émerger, à l’intérieur des territoires urbains, la ville mixte, la ville mélangée : mixité fonctionnelle, mixité sociale, mixité urbaine. Cela est plus difficile dans certaines villes que dans d’autres. Il faut également tenir compte des formes d’habitat. Je suis d’accord avec ce que disait Valérie Létard : on ne pense pas la ville de la même manière suivant que l’on se trouve dans l’agglomération lyonnaise, en Île-de-France ou dans le Nord-Pas-de-Calais. En résumé, il faudra, pour cette nouvelle génération d’opérations de renouvellement urbain, savoir allier souplesse dans la mise en œuvre et fermeté dans la définition des axes structurants.

Dans ce contexte, j’ai confié à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles une mission d’évaluation du premier PNRU, pour que nous puissions tirer tous les enseignements de cette expérience avant de prendre des décisions.

Je voudrais revenir brièvement sur la question des zones franches urbaines. Le gouvernement précédent avait décidé que ce dispositif prendrait fin en 2014. Je suis preneur de toutes les réflexions sur ce sujet. Une mission parlementaire a été créée à l’Assemblée nationale ; je ne sais pas si le Sénat prendra une initiative analogue, mais je souhaite que nous puissions disposer d’un véritable bilan.

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Je rappelle que le dispositif des ZFU représente, cette année encore, un coût de quelque 400 millions d’euros en exemptions fiscales ou en exonérations de cotisations sociales. Ce montant est à rapprocher du budget du ministère de la ville, qui est de 525 millions d’euros. On comprend aisément qu’un dispositif qui mobilise autant d’argent public doit produire des résultats !

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

Par contre, là où on s’est contenté d’attendre que les emplois apparaissent, cela n’a pas fonctionné : il y a eu beaucoup d’effets d’aubaine, …

Debut de section - Permalien
François Lamy, ministre délégué

… qui ont pu déboucher sur un processus de désertification des territoires périurbains.

Je crois donc vraiment qu’il faut analyser le fonctionnement du dispositif des zones franches urbaines, ses effets positifs et négatifs, ses effets pervers. Je suis prêt à mener cette réflexion avec vous en 2013. Sur cette base, nous pourrons envisager un nouveau dispositif qui soit complémentaire des autres actions à mettre en place en matière de développement économique. La Banque publique d’investissement aura également un rôle à jouer à cet égard, puisque la définition d’une stratégie industrielle en direction des quartiers en difficulté fait partie de ses missions.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je souhaitais vous dire ce matin sur la réforme de la politique de la ville. Je veux que cette réforme marque un tournant décisif en matière de participation des habitants des quartiers concernés. Ils doivent devenir des acteurs à part entière des territoires, aux côtés de l’État et des collectivités. Il s’agit là, j’en suis convaincu, de la condition première du rétablissement de l’égalité républicaine dans ces quartiers. Leurs habitants ont des choses à nous dire, sur leurs attentes, leurs projets, leurs relations avec la police, les discriminations dont ils font parfois l’objet et, surtout, sur la ville dans laquelle ils aimeraient vivre. Redonner toute leur place à ceux pour qui nous conduisons nos politiques publiques, mener notre action au plus près des besoins de la population représente un enjeu primordial. Dès le mois de janvier prochain, dans le cadre de la concertation, j’organiserai des rencontres citoyennes avec les habitants des quartiers, afin d’entendre leurs préoccupations, et surtout leurs préconisations.

Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’ambition pour les quartiers populaires que je vous propose de partager. C’est une belle ambition collective que de vouloir rétablir l’égalité républicaine dans ces territoires ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme de la politique de la ville.

Debut de section - PermalienPhoto de Natacha Bouchart

Monsieur le président, je souhaiterais faire une mise au point au sujet de deux scrutins publics.

Lors du scrutin public n° 57 sur la motion tendant à opposer la question préalable à la proposition de loi relative à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, M. Christian Cambon a été déclaré comme s’étant abstenu, alors qu’il souhaitait voter pour cette motion.

Lors du scrutin public n° 58 sur l’article unique de cette même proposition de loi, M. Christian Cambon a été déclaré comme s’étant abstenu, alors qu’il voulait voter contre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour les questions d’actualité au Gouvernement.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.