Intervention de Manuel Valls

Réunion du 10 décembre 2012 à 14h30
Sécurité et lutte contre le terrorisme — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Manuel Valls :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme arrive donc au terme de son parcours parlementaire, sans doute trop bref aux yeux de certains, mais en tout cas utile, et c’est là l’essentiel, pour nos compatriotes.

Je tiens à vous remercier une nouvelle fois de la qualité de nos échanges, de la franchise de nos débats et, surtout, de l’esprit de concorde qui a régné tout au long de notre discussion. C’est l’intérêt général, partagé par tous, qui guide notre action.

Les plasticages inacceptables survenus dans la nuit de vendredi en Corse ou les tentatives encore découvertes ce matin confirment la nécessité d’adopter une approche ferme et résolue contre la violence politique terroriste, surtout quand, le plus souvent, sa logique d’action dissimule des intérêts affairistes et des pratiques d’extorsion de fonds.

Je sais l’inquiétude profonde de l’immense majorité de nos compatriotes corses. Je n’ignore rien des prises de parole courageuses d’un certain nombre d’élus ; vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de citer Nicolas Alfonsi. Mais nous avons besoin de la mobilisation de tous les acteurs politiques, économiques et sociaux, de l’ensemble de nos compatriotes corses pour venir à bout de ce mal, la violence, qui ronge l’île depuis trop longtemps. Nous devons agir avec une grande détermination, en nous appuyant sur le travail effectué par les services de police, de gendarmerie, de renseignement, en lien très étroit avec la justice, et nous attaquer aux circuits financiers occultes qui pervertissent des secteurs entiers de l’économie de la Corse.

Certains – il s’agit en réalité d’une seule personne –, aujourd’hui dans l’opposition, hier dans la majorité, donnent des leçons. Nous devons malheureusement reconnaître ensemble une forme d’échec, qui dure depuis longtemps et engendre chez beaucoup un sentiment d’impuissance auquel nous ne pouvons évidemment pas nous résigner. Nous devons être très déterminés et mener une action résolue ; je sais pouvoir compter sur le Sénat.

Mais la menace terroriste actuelle la plus forte s’inscrit dans les mouvances de l’islamisme radical djihadiste, mouvances qu’il est complexe de combattre, en raison, d’une part, de l’autonomie dont disposent les cellules de base capables de passer à l’action par rapport à leurs inspirateurs politico-religieux, et, d’autre part, de la multiplication des théâtres géopolitiques qui leur paraissent propices à la transposition du djihad, avec les allers et retours que cela implique entre le territoire national et l’étranger.

Cette menace cumule en effet un risque extérieur très élevé, lié aux bases de repli, aux camps d’entraînement et aux zones de combat, et un risque intérieur qui découle des itinéraires, des processus de plus en plus rapides de radicalisation et de conversion idéologique violente de jeunes nés et ayant grandi dans nos pays européens.

Cette menace passe largement par l’internet, car le terrorisme djihadiste pense et conçoit le recours au cyberespace comme un vecteur tant de prosélytisme que d’organisation et de logistique.

Cela nous impose, nous en avons beaucoup débattu, de disposer d’une législation performante, mais aussi de services opérationnels agissant avec méthode, cohérence et efficacité, en tirant les leçons des drames de Toulouse et de Montauban. Telles sont, en tout cas, les orientations arrêtées depuis mon arrivée place Beauvau.

Ce projet de loi, après discussion devant les deux assemblées et leurs commissions, est conforme aux intentions initiales du Gouvernement.

En effet, le texte commun qui vous est aujourd’hui soumis, issu de la commission mixte paritaire réunie jeudi 6 décembre, est cohérent et mesuré. Il répond aux besoins des services opérationnels et des magistrats chargés de l’antiterrorisme sans rien céder des exigences posées par nos principes constitutionnels. Au cours de ces débats, il a été enrichi, ce dont je me félicite.

Disons-le, sous un certain nombre d’aspects, ce texte s’inscrit dans la lignée de l’action qui avait été engagée par le gouvernement précédent, plus particulièrement par Michel Mercier, alors garde des sceaux, que je remercie de son implication et de son apport constructif à ce débat.

Il restera un regret : l’absence de ratification de l’ordonnance relative à la partie législative du code de sécurité intérieure. Cette codification, effectuée strictement à droit constant, aurait, de mon point de vue, permis une sécurisation du cadre juridique existant. Néanmoins, ce regret est vite effacé au vu de l’ensemble des dispositions désormais retenues, au bénéfice de notre action de lutte contre le terrorisme.

Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions de ce projet de loi : M. le rapporteur Jacques Mézard, dont je tiens à saluer le travail et les apports pertinents, ainsi que le soutien et la loyauté, vient d’en présenter l’essentiel.

Je souhaite néanmoins m’arrêter sur deux séries de nouvelles dispositions introduites lors des débats parlementaires.

Les premières concernent le gel des avoirs criminels. Ces dispositions seront d’une grande utilité pour lutter, par le gel de leurs avoirs, contre les comportements de personnes physiques ou morales qui incitent au terrorisme, comportements contre lesquels il faut réagir rapidement pour tarir la source même de la menace. De nombreux prêcheurs ultraradicaux exercent en effet une influence déterminante sur le processus de radicalisation, sans forcément participer directement à des actes terroristes.

Je rappelle que, fidèle à son souci d’équilibre, le Gouvernement a souhaité que le gel des avoirs soit une mesure temporaire, l’autorité administrative ne pouvant légalement décider d’aucune confiscation.

La seconde série de dispositions a trait aux droits des victimes.

Ainsi, le délai d’action des victimes d’actes de terrorisme devant le fonds de garantie prévu par l’article 9 de la loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme a été prolongé à la suite de l’adoption d’un amendement du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

En outre, comme l’a rappelé M. le rapporteur, deux nouvelles mentions viendront désormais honorer la mémoire des victimes du terrorisme.

Tout d’abord, est créée la mention « Mort pour le service de la Nation ». Le ministre compétent pourra décider son inscription sur l’acte de décès d’un militaire tué en service ou en raison de sa qualité de militaire, ou de tout autre agent public tué soit en service, soit en raison de ses fonctions ou de sa qualité.

L’inscription des noms sur un monument aux morts est prévue. Les enfants des personnes tuées ont vocation à la qualité de pupille de la Nation. Vous l’aurez compris, nous pensons ici aux victimes militaires de Mohammed Merah, aux gendarmes tués en Guyane dans le cadre de la lutte contre l’orpaillage clandestin, ainsi qu’aux victimes des attentats de Karachi. Cette nouvelle mention concernera les décès survenus à compter du 1er janvier 2002.

Ensuite, la mention « Victime du terrorisme » pourra être portée sur un acte de décès, sur décision du garde des sceaux et avec l’accord des ayants droit. Les enfants des victimes ont, eux aussi, vocation à obtenir la qualité de pupille de la Nation. Nous pensons ici aux personnes tuées par Mohammed Merah dans une école de Toulouse, qui avaient pour seul tort d’être juives…

Ces dispositions répondent aux attentes des familles. Il est vrai que, sur ce point, le débat est intervenu assez tardivement à l’Assemblée nationale, à la suite du dépôt d’un amendement par un député de l’opposition. Le Président de la République et le ministre de la défense, après avoir reçu les familles des victimes de Merah, avaient pris des engagements, auxquels il nous semblait possible de donner une traduction dans ce texte.

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