Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous connaissons l’enjeu que recouvre ce texte : faire face à la menace terroriste, ne jamais la minimiser, s’adapter à ses nouvelles formes. Nul n’a en effet oublié les drames de Toulouse et de Montauban. Le terrorisme peut venir de l’extérieur, d’Afghanistan ou du Mali ; il peut aussi germer dans nos quartiers.
La première question qui nous était posée, à l’occasion de l’examen de ce texte, était celle de la prévention du terrorisme.
Dans le contexte de l’affaire Merah, cette question était lourde. Pourquoi, comment Mohamed Merah, suivi depuis 2006, a-t-il pu passer à l’acte ? Pourquoi ses séjours dans des camps d’entraînement djihadistes n’ont-ils pas fait l’objet d’un suivi précis ? Pourquoi un individu repéré en juin 2011 pour sa radicalité dangereuse n’a-t-il plus fait l’objet d’une surveillance prioritaire six mois plus tard, trois mois avant qu’il ne tue sept innocents ?
Le rapport de l’Inspection générale de la police nationale, que M. le ministre de l’intérieur a eu raison de demander, a souligné ces « défaillances objectives » des services de renseignement. Elles sont en effet objectives, car elles ne relèvent pas de la simple erreur humaine, mais procèdent d’un ensemble d’omissions et de cloisonnements entre le renseignement intérieur, la police judiciaire, la sécurité publique.
Le travail critique sur ces événements, leurs causes, leur dénouement, sera poursuivi par la mission d’évaluation des services de renseignement mise en place par Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, ou par la commission d’enquête demandée par le groupe écologiste.
Ces investigations sont nécessaires, non pas uniquement pour comprendre comment un drame a pu se produire, mais aussi pour éviter que, selon la formule du ministre de l’intérieur, des dizaines d’autres Merah puissent passer à l’action.
En examinant ce texte, nous nous sommes rassemblés autour d’une première préoccupation : ne pas affaiblir ce combat difficile. Concrètement, cela implique de conforter la notion d’association de malfaiteurs, pivot du dispositif pénal, qui a été reprise par le droit européen, comme nous le rappellent constamment les magistrats spécialisés.
Lutter contre le terrorisme exige de bien connaître le cyberdjihadisme. En préparant cette intervention, hier soir, j’ai eu la curiosité de consulter l’un de ses sites, Global Jihad. Je dois dire que j’en suis resté effaré. La page d’accueil donne le mode d’emploi du terrorisme moderne : « le Jihad mondial a deux piliers : les kamikazes sur le plan opérationnel et internet pour la gestion. […] Les trois composantes de commandement, de contrôle et de communication indispensables à toutes opérations réussies, y compris les attaques terroristes, sont réalisées presque exclusivement par internet. Le cyberespace est également le principal outil du militantisme islamique de la propagande, du recrutement et de la collecte des fonds. »
Tout est dit ! Nous voyons bien que, face à une telle volonté de tuer, affirmée à presque toutes les pages du site, il convient de renforcer nos dispositifs.
Nous l’avons fait en autorisant l’accès des services de renseignement aux données de connexion, sous l’égide – nous y tenions – d’une autorité administrative indépendante, en renforçant les moyens de procédure, par exemple avec l’allongement des délais de prescription concernant la loi sur la presse applicable aux cas de terrorisme, tout en conservant –j’ai entendu ce que disait Mme Benbassa – le cadre de la loi de 1881, ou encore en prorogeant la date de consultation de divers fichiers.
Bien entendu, prévenir ne suffit pas ; il faut réprimer. Actuellement, les magistrats ne peuvent, sauf rares exceptions, poursuivre en France un délit terroriste commis à l’étranger. Le texte leur en donnera la possibilité. Le Sénat est d’ailleurs allé plus loin que sa rédaction initiale, qui ne visait que les Français, en incluant dans le champ du dispositif toute personne disposant d’un titre de séjour en France. La commission mixte paritaire s’est finalement accordée pour faire référence à « toute personne résidant habituellement sur le territoire français », notion qui inclut les citoyens européens et les personnes en situation irrégulière.
À l’instar de M. le rapporteur, je ne cacherai pas que l’article 3, relatif aux procédures devant les commissions d’expulsion, a donné lieu à de nombreuses discussions, parfois un peu longues, entre les deux assemblées. Toutefois, comme nous le rappelle régulièrement M. le président de la commission des lois, nous sommes dans notre rôle chaque fois que nous veillons au respect des droits fondamentaux.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que, sur l’initiative du Sénat, un droit nouveau a été conféré aux personnes menacées d’expulsion, celui d’obtenir le renvoi de leur affaire pour un motif légitime. L’Assemblée nationale a accepté cette disposition.
Nous avons également souhaité que les différents délais soient mentionnés dans la loi, et non renvoyés à un décret.
Restait un point qui nous préoccupait : à qui la nouvelle procédure d’expulsion devait-elle s’appliquer ? En soulevant cette question, nous entendions prévenir toute confusion –confusion trop souvent rencontrée ces dernières années – entre étrangers et auteurs d’actes de terrorisme.
Les membres de la commission mixte paritaire ont procédé à une lecture très attentive des différentes dispositions du CESEDA, notamment de ses articles L. 521-1, L. 521-2 et L. 521-3. Celle-ci nous a rassurés : il en ressort que cette procédure d’expulsion ne concerne que l’étranger dont la présence en France constitue une grave menace pour l’ordre public. En outre, un certain nombre d’étrangers se trouvent exclus du champ de cette procédure, notamment les parents d’enfants mineurs résidant en France, les conjoints de Français ou les étrangers vivant depuis plus de dix ans régulièrement en France : dans ces cas, l’expulsion doit constituer une « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État et la sécurité publique ».
Enfin, les étrangers vivant en France depuis vingt ans ou depuis l’âge de 13 ans, les conjoints de Français depuis plus de quatre ans et les parents, résidant en France depuis plus de dix ans, d’enfants mineurs résidant en France ne peuvent être expulsés qu’en cas de « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste ou constituant des actes de provocation expliciteet délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ».
Les expulsions visées par le présent texte sont donc toutes liées à la préservation de l’ordre public ou de la sûreté de l’État ou à des activités terroristes. Dans tous les cas, elles seront précédées de l’avis, généralement suivi par l’autorité administrative, d’une commission composée de trois magistrats.
Au vu de l’ensemble de ces dispositions, nous avons considéré que nous pouvions accepter de conserver une procédure unique d’expulsion dans le CESEDA.
J’ai rappelé tout à l’heure combien notre assemblée tenait à exercer la plénitude de ses attributions. Ce souci nous a conduits à refuser de ratifier l’ordonnance relative à la partie législative du code de la sécurité intérieure. Il s’agissait là pour nous d’une question de principe. Nos collègues de l’Assemblée nationale nous ont dit avec franchise l’avoir accepté au nom du pragmatisme. Ils considèrent que, même avec davantage de temps pour examiner les quelque 550 articles du code de la sécurité intérieure, notre travail n’aurait pas nécessairement été de meilleure qualité. Nous avons préféré maintenir notre position, que nos collègues députés ont finalement ralliée. Nous pouvons tous nous en féliciter : en tant que législateur, nous ne pouvons pas faire aveuglément confiance, sans nous assurer que le droit concerné par les textes soumis à notre ratification est bien constant. À cet égard, M. Hyest a rappelé que l’expérience, s’agissant des ordonnances relatives à l’outre-mer, nous a instruits sur la relativité de cette constance… Il est notre devoir de législateur de refuser de ratifier une ordonnance dans de telles conditions.
Reste un dernier article introduit via l’adoption d’un amendement du Gouvernement et correspondant à un engagement du Président de la République. Chacun a perçu la détresse des familles des victimes de Mohamed Merah ou des attentats de Karachi. Elles se trouvent prises dans l’engrenage monstrueux d’un terrorisme qui frappe l’État ou la Nation à travers des personnes innocentes ; pourtant, elles n’étaient pas considérées jusqu’à présent comme des victimes d’une guerre qui, pour être secrète, n’en est pas moins réelle.
Le nouvel article 6 bis a fait l’objet d’un consensus. Il introduit dans notre droit la mention de « Victime du terrorisme » et celle de « Mort pour le service de la Nation ». Au-delà du symbole, en lui-même déjà très important, cet article produira des effets concrets en matière de pensions ou d’attribution du statut de pupille de la Nation.
En adoptant ce dispositif qui sera soumis à la décision du garde des sceaux, chargé de l’état civil, nous réparons une injustice et nous montrons l’unité de la Nation face au terrorisme.
Je conclurai en saluant à mon tour l’engagement du ministre de l’intérieur. Sa mobilisation et son ouverture d’esprit ont permis d’obtenir un large accord au sein des deux assemblées. §