Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos entreprises souffrent de trois problèmes majeurs : l’atrophie de notre tissu économique intermédiaire, une spécialisation industrielle tournée essentiellement vers les grandes entreprises, un climat fiscal et financier anxiogène pour les entreprises à fort potentiel de développement. Cependant, celui qui surpasse tous les autres est le financement. Votre réponse s’appelle la BPI, pourquoi pas !
Le mal essentiel qui frappe notre tissu économique et industriel tient à la très faible marge et aux capacités d’investissements insuffisantes de nos entreprises depuis trente ans. Le taux de marge français est de 28 %, soit près de 10 points en dessous de la moyenne européenne, avec pour conséquence annexe mais majeure notre déficit commercial.
En effet, les faibles marges et la faiblesse de la trésorerie des PME sont un frein à leur développement et donc à l’exportation. Le matraquage fiscal aggrave cette situation et peine à créer un climat favorable au développement et à la croissance des entreprises. La BPI, dont le rôle est de faire face à la faiblesse de trésorerie des PME, aurait moins de nécessité d’être sans cette fiscalité handicapant terriblement la trésorerie de nos entreprises. Considérez l’Allemagne, qui a fait de sa fiscalité patrimoniale la source vive du Mittlestand, le dynamique tissu des PME-ETI.
Votre projet de loi a pour but d’améliorer l’accession des PME et des ETI à un système de financement public tourné principalement vers le long terme. C’est, je le souligne, un besoin vital pour nos entreprises.
À l’Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous avez déclaré que vous aviez la conviction que ce texte portera « une cause qui peut nous rassembler tous, sur tous les bancs : celle du financement de l’investissement, celle de la compétitivité de l’économie, celle du développement de nos entreprises et de nos territoires, bref, celle du redressement de notre pays ». Ce souhait est aussi le nôtre. Comment ne pas adhérer aux objectifs de la Banque publique d’investissement : innovation, développement, internationalisation des entreprises, simplification par un guichet unique, reconnaissance du rôle économique des régions ?
Vous présentez la BPI comme la banque des entreprises de croissance, du tissu économique de nos territoires, de la stratégie industrielle, un outil offensif et performant au service de la croissance et de l’emploi. Les emplois d’avenir, à destination des seules collectivités et des associations, n’endigueront pas le chômage. Leur utilité est exclusivement sociale et va à l’encontre de votre objectif de baisse du nombre de fonctionnaires. C’est grâce aux entreprises et à l’initiative privée que la France sortira de l’ornière et non grâce à des emplois publics déjà trop nombreux.
L’économie générale de la BPI est simple : il s’agit de rapprocher OSEO, la branche « entreprises » de la Caisse des dépôts et consignations et le FSI en une structure unique dans la mouture d’OSEO. Néanmoins, les trois établissements existants ont chacun leur spécificité. OSEO, la banque des PME, a pour fonction l’aide à l’innovation, la garantie des concours bancaires et des investisseurs en fonds propres et le financement en partenariat, avec des correspondants en région. Le Fonds stratégique d’investissement répond aux besoins en fonds propres d’entreprises porteuses de croissance et de compétitivité pour l’économie française par une participation minoritaire au capital. CDC Entreprises participe au soutien des entreprises de longue date pour le développement industriel de notre pays. Je rappelle ces spécificités pour m’interroger sur leur fongibilité.
Le groupe UDI-UC vous questionne sur plusieurs points. Vaut-il mieux créer une seule grosse structure ou garder les trois qui existent et qui fonctionnent ? Votre formule dispose-t-elle de plus de souplesse, de réactivité pour répondre aux besoins des entreprises ? Une grosse structure aura-t-elle une force de frappe plus grande par l’addition des trois capacités financières ou, au contraire, sera-t-elle moins réactive ?
Je crains que toutes les missions que vous attribuez à cette banque n’entraînent beaucoup de pesanteur. Vous donnez à la BPI la mission de réindustrialiser la France, d’assurer notre transition énergétique, de garantir le respect de l’environnement, de favoriser l’activité économique ; c’est beaucoup, sans doute beaucoup trop. Je crains que le principe du couteau suisse à 42 milliards d’euros ne soit un peu irréaliste.
L’économiste néerlandais Jan Tinbergen avait déjà démontré qu’en matière de politique économique il fallait un outil dédié à un objectif bien défini. Or vous nous présentez un dispositif global tant dans ses missions que dans sa structure et dans ses objectifs. De plus, la structure finale de la holding composant la BPI n’est pas encore définie.
La Cour des comptes avait spécifiquement indiqué dans son rapport de juillet dernier relatif au financement de l’économie que la réunion des compétences d’OSEO, du FSI et de la branche « entreprises » de la Caisses des dépôts et consignations risquait de générer des difficultés pratiques, car ce sont des métiers différents. Monsieur le ministre, je suis surpris que vous n’ayez pas suivi les recommandations de la Cour – une fois de plus, serais-je tenté d’ajouter.
Dès lors, je ne peux qu’être inquiet. La force de frappe de 42 milliards d’euros sera-t-elle suffisante au regard des nouvelles exigences prudentielles que la crise financière nous a imposées ? La BPI devra être soumise à l’application de normes prudentielles de deux types selon la nature de son activité : celles de la Caisse des dépôts et consignations pour les fonds propres et celles de Bâle III pour les emprunts garantis. Comment s’articulera cette gestion prudentielle ? Ce n’est pas vraiment clair ; c’est même assez obscur.
Bâle III et le règlement CRD 4 maintiennent le ratio de solvabilité à 8 %, mais créent des coussins supplémentaires de fonds propres afin d’assurer la continuité de l’activité de l’entreprise. Cette pondération des actifs en fonction des risques signifie qu’il faudra disposer de fonds propres plus importants pour des actifs plus risqués.
Le rôle de la BPI se distingue de celui des banques privées. Cette banque publique devra financer ou garantir le risque des TPE, des PME et des ETI, que les banques privées ne veulent pas prendre en charge. Le financement des PME à long terme, le plus risqué, est donc l’une des raisons d’être de la BPI. La nouvelle Banque publique d’investissement a pour consigne de se comporter en investisseur avisé. Certes, les trois organismes qui la composent ont une réputation de compétence, mais le spectre du Crédit lyonnais hante toujours nos mémoires.
Enfin, monsieur le ministre, je ne peux être que dubitatif concernant la gouvernance du groupe BPI. Elle porte en germe des conflits d’intérêts, en raison de la participation des politiques – un élu pourrait être tenté de privilégier un territoire dont il est issu ou qu’il représente – et car le risque existe que les projets de long terme à fort potentiel soient négligés au profit du sauvetage d’entreprises, ces entreprises que Jean-Pierre Jouyet comparait à des « canards boiteux ».
La définition de la doctrine d’intervention relèvera du comité d’orientation. Quelle sera l’articulation entre l’État, qui doit définir une stratégie, et les régions, qui demandent à jouer un rôle actif dans ce processus de décision ? Quelle sera l’articulation avec le Commissariat général à l’investissement, avec le futur commissariat général à la stratégie et à la prospective ? Cette complexité rendra très difficile sa mise en œuvre et risque d’entraîner des lenteurs administratives, ce qui est le contraire du but recherché.