Intervention de Dominique Bertinotti

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h00
Bisphénol a — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Dominique Bertinotti :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout d’abord, je vous serais reconnaissante de bien vouloir excuser Mme Marisol Touraine, qui ne peut être au Sénat aujourd’hui en raison du lancement du plan de lutte contre les déserts médicaux.

J’en viens à cette proposition de loi, qui se fonde sur une seule exigence : assurer la sécurité de nos concitoyens. C’est elle qui doit guider nos choix en matière de santé publique.

En appliquant le principe de précaution, notre objectif n’est pas de sanctionner. Toutefois, lorsque la santé des Français est en jeu, les intérêts privés doivent être relégués au second plan.

La qualité de l’environnement est une préoccupation majeure du Gouvernement. Aujourd’hui, nous savons que certains produits, dont nous avons un usage quotidien, ont un impact néfaste sur notre santé. Nous pouvons établir avec certitude que de nombreux objets entourant les Français dans leur vie quotidienne ne sont pas exempts de risques.

Il est donc essentiel de soutenir et d’amplifier les initiatives qui ont été développées à l’échelle communautaire. Je pense notamment à la directive REACH, qui nous a permis de parfaire nos connaissances scientifiques dans ce domaine en constituant une large base de données sur les produits utilisés dans l’Union européenne.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté à l’unanimité, en 2010, l’interdiction de l’utilisation des biberons contenant du bisphénol A. Ce fut une étape majeure et le début d’un processus qu’il nous revient aujourd’hui de poursuivre.

De nombreuses études mettent régulièrement en garde les pouvoirs publics contre les effets nocifs du bisphénol A sur notre état de santé. Celles-ci ont prouvé, vous l’avez rappelé, madame le rapporteur, que le BPA est une substance toxique pour l’animal. Par ailleurs, nous savons que ce produit est un perturbateur endocrinien.

En 2010, l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments avait synthétisé les travaux de recherche sur le sujet et reconnaissait la présence de « signaux d’alerte » dans les études scientifiques.

Très concrètement, cela signifie que nous pouvons aujourd’hui établir un lien clair entre le bisphénol A et certaines pathologies humaines, telles que les maladies cardiovasculaires et métaboliques.

Un an plus tard, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a montré que les nourrissons, les femmes enceintes et les femmes allaitantes étaient plus touchés par le bisphénol A. Ces populations fragiles en seraient ainsi les premières victimes.

Il serait totalement irresponsable de ne pas agir : douter de l’innocuité d’une substance doit nous suffire à appliquer le principe de précaution.

C’est la conviction du Gouvernement.

C’est également le devoir du législateur que d’encadrer, de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner.

C’est tout le sens de cette proposition de loi.

Le bisphénol A représente un véritable danger : il est en effet utilisé dans la fabrication d’objets qui entourent nos concitoyens au quotidien. Il entre notamment dans la composition d’un nombre considérable de contenants alimentaires. Or nous savons aujourd’hui que le bisphénol A peut spontanément migrer vers les aliments et que nos concitoyens peuvent donc l’ingérer.

Voilà un an, de nombreux députés ont cosigné ce texte, dont Jean-Marc Ayrault et Gérard Bapt, qui est à l’initiative de cette démarche, que je salue. La proposition de loi que nous défendons vise à la « suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ».

Notre volonté, c’est donc d’aller plus loin dans la protection des consommateurs et de compléter les textes législatifs déjà en vigueur.

Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre pour protéger les populations les plus fragiles des effets nocifs du BPA.

Toutefois, notre ambition est plus grande encore, car c’est bien l’ensemble des Français qui est aujourd’hui menacé par le BPA. Il nous faut donc assurer la protection de tous nos concitoyens des effets néfastes des perturbateurs endocriniens.

Sur ce sujet, nous pouvons être fiers que la France soit pionnière en Europe.

Le Gouvernement a pris la mesure des enjeux en matière de santé-environnement. La conférence environnementale a été l’occasion de rappeler notre mobilisation et notre engagement sur ce sujet essentiel.

Le Premier ministre avait d’ailleurs exprimé son soutien quant à l’initiative législative qui visait à interdire le bisphénol A dans les contenants alimentaires.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permettra, le 1er jour du mois suivant la promulgation de la loi, de suspendre les contenants alimentaires produits avec du bisphénol A à destination des enfants de moins de trois ans.

En 2015, elle fera disparaître l’ensemble des contenants alimentaires fabriqués avec cette substance.

Ce n’est que par réalisme que nous avons fait le choix de procéder en deux étapes. Il ne suffit pas de décréter l’interdiction de l’utilisation d’une substance, encore est-il nécessaire de trouver des produits de substitution qui remplaceront le bisphénol A et qui ne présenteront aucun risque nouveau pour les consommateurs.

Cette proposition de loi est une étape décisive, mais nous devons poursuivre notre mobilisation.

La conférence environnementale nous a également permis de rappeler notre volonté de prévenir, avec pragmatisme, les risques de santé-environnement. En faisant vivre la démocratie environnementale, nous avons fixé des objectifs et établi une méthode afin d’inscrire notre action dans la durée.

La table ronde relative à la « santé-environnement » et animée par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, nous a permis de redire l’importance de faire face à l’apparition des risques « émergents ». Ceux-ci sont particulièrement difficiles à appréhender. Leurs effets sur la santé sont encore trop mal connus. C’est la raison pour laquelle il est essentiel de miser sur la recherche. Une mobilisation européenne et internationale est aujourd’hui primordiale.

En outre, nos concitoyens sont confrontés à d’autres expositions au BPA et à des molécules dites cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. Nous attendons beaucoup des travaux scientifiques qui ont été engagés. Leurs résultats devraient nous permettre de prendre rapidement les mesures qui s’imposent.

Cependant, pour certains produits, nous ne pouvons plus attendre. Les expositions environnementales aux perturbateurs endocriniens, particulièrement durant le développement fœtal, sont par exemple suspectées d’être à l’origine d’une diminution de la concentration spermatique dans les pays industrialisés. Il a été observé qu’au contact de l’un des phtalates les plus communément utilisés, le DEHP, 40 % des cellules à l’origine de la production des spermatozoïdes disparaissaient au bout de trois jours.

C’est pourquoi, à la suite d’un amendement de son rapporteur adopté par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, l’article 3 de ce texte prévoit d’interdire les tubulures comportant du DEHP dans les services de pédiatrie, de néonatologie et de maternité. Cette interdiction sera applicable dès 2015 ; un substitut inoffensif existe et les industriels produisent déjà des tubulures l’utilisant.

En nous saisissant de la question des phtalates, nous serons précurseurs, dans une Europe où les règles de santé publique doivent s’appliquer à tous les industriels. La protection des consommateurs doit constituer notre unique objectif. Ce texte marque la fin du laisser-faire.

Le Gouvernement s’est également saisi du sujet des dispositifs médicaux. Si le BPA est aujourd’hui interdit dans les biberons vendus en pharmacie ou en grande surface, il ne l’est pas dans ceux que les consommateurs peuvent trouver dans les maternités et les services de néonatologie. Nous avons fait le choix de corriger cette situation inacceptable.

Ces deux dispositifs sont également l’occasion de dire aux industriels qu’il est urgent d’accélérer leurs travaux sur les produits de substitution des phtalates et des perturbateurs endocriniens. En effet, nous ne pourrons pas nous permettre d’attendre que les industriels s’adaptent une fois que les études auront été publiées.

Je tiens enfin à redire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que la prévention des risques sanitaires environnementaux est un thème majeur de la politique de santé du Gouvernement.

L’action que nous mènerons se déclinera autour de trois axes.

Le premier, c’est la constitution d’un groupe de travail qui associe l’ensemble des acteurs de la lutte contre les perturbateurs endocriniens. D’ici à juin 2013, il aura pour mission d’élaborer une stratégie nationale globale : son objectif est de coordonner efficacement les actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire.

Le deuxième axe, c’est la priorisation de nos actions. Pour faire face aux enjeux de demain, nous ne pouvons pas nous limiter au BPA : l’ensemble des perturbateurs endocriniens, tels que les phtalates, doivent faire rapidement l’objet de notre attention. Pour chaque sujet, il faut aborder le problème en nous fondant sur une expertise plurielle et contradictoire, dans laquelle l’industrie ne sera pas juge et partie de ce processus de recherche.

Enfin, le troisième axe concerne les produits de substitution : ils ne devront pas être à l’origine de doutes nouveaux ou de risques insoupçonnés pour les Français. Il nous faut donc les mesurer.

Mesdames, messieurs les sénateurs, notre priorité en matière de santé publique, c’est la sécurité des Français. Je vous appelle donc à soutenir unanimement cette proposition de loi, mais je vous appelle également à voter conforme ce texte. Il est en effet essentiel que la suspension du bisphénol A dans la fabrication des contenants alimentaires soit effective le plus rapidement possible. Il y va de la sécurité de nos enfants et des populations les plus fragiles.

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