Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 13 décembre 2012 à 9h00
Bisphénol a — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, au stade où nous sommes parvenus dans l’examen de la présente proposition de loi, il n’est me semble-t-il plus utile de justifier le bien-fondé de ce texte. Nous sommes tous ici convaincus que le laisser-faire n’a pas sa place en matière de santé publique : douter de l’innocuité d’une substance est suffisant pour agir.

Du reste, le groupe du RDSE – je me permets de le rappeler – a joué un rôle précurseur dans cette démarche en déposant, dès 2010, une proposition de loi visant à interdire, au nom du principe de précaution, le bisphénol A dans les plastiques alimentaires. À l’époque, même s’il n’existait pas de preuves tangibles des effets de cette substance sur l’homme, l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’Afssa, avait reconnu dans des études scientifiques la présence de signaux d’alerte.

En séance publique, le Sénat avait limité la portée de ce texte, en suspendant uniquement la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A. Adoptée à l’unanimité des deux assemblées, la loi du 30 juin 2010 opérait un premier pas, faisant de la France une pionnière en Europe sur ce sujet : la Commission européenne a, de fait, étendu par la suite cette mesure à l’ensemble des États membres.

Depuis lors, plusieurs études ont confirmé les dangers du bisphénol A, en particulier pour les nourrissons, les jeunes enfants, les femmes enceintes ou allaitantes, et ce même à de faibles niveaux d’exposition. J’ai moi-même conduit une mission au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, l’OPECST, sur les perturbateurs endocriniens, mission dont les conclusions établissaient sans ambiguïté que les risques, pour l’environnement comme pour la santé humaine, de ces substances classées pour la plupart cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ou CMR, étaient suffisamment nombreux et précis pour inciter à l’action.

C’est dire que je souscris tout à fait aux préoccupations des auteurs de la présente proposition de loi, qui souhaitent interdire tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.

Je suis même allé plus loin, en proposant de proscrire l’utilisation, dans les unités de néonatologie et de maternité, des matériels de nutrition parentérale contenant trois phtalates classés comme CMR et déjà interdits pour les jouets et matériaux au contact des jeunes enfants. L’amendement que j’avais déposé à cette fin a été adopté par le Sénat. Je regrette que l’Assemblée nationale ait amputé cette interdiction d’une partie de son contenu. De fait, restreinte aux tubulures comportant du di(2-ethylhexyl) phtalate, cette mesure ne s’attaque plus en pratique aux contenants, notamment aux poches en plastique. J’espère cependant que ces dernières pourront un jour être interdites, sous cette composition.

Je rappelle tous ces faits car je ne voudrais pas qu’on se méprenne sur les motifs qui m’ont poussé à déposer, à l’article 1er, deux amendements que j’avais d’ailleurs déjà défendus en première lecture.

La présente proposition de loi suggère une démarche ciblée et progressive qui me paraît pertinente au regard du contexte scientifique.

Il s’agit tout d’abord de suspendre rapidement, c’est-à-dire dès la promulgation de ce texte, la commercialisation des conditionnements comportant du bisphénol A destinés à l’alimentation des nourrissons et des enfants en bas âge. Compte tenu de la vulnérabilité particulière de ces derniers à une telle exposition – elle a été identifiée via de nombreuses études –, il n’y a évidemment pas à tergiverser sur ce point.

Comme cela a d’ailleurs été déjà relevé, il semble que les industriels n’utilisent d’ores et déjà quasiment plus de bisphénol A dans les conditionnements alimentaires pour bébés.

Il s’agit ensuite d’intégrer un avertissement sanitaire déconseillant l’usage des conditionnements comprenant du bisphénol A aux femmes enceintes ou allaitantes, ainsi qu’aux enfants de moins de trois ans. J’avais moi-même préconisé cette mesure dans mon rapport ; je souhaite simplement que le message soit un peu plus clair et lisible que le pictogramme figurant sur les boissons alcoolisées, pictogramme dont nous sommes plusieurs, au sein de la commission, à avoir dénoncé l’inefficacité.

Enfin, il s’agit à terme, c’est-à-dire à compter du 1er janvier 2015, d’interdire tout conditionnement alimentaire comprenant du bisphénol A. Je suis évidemment favorable à cette mesure, sur le plan du principe. Toutefois, j’exprimerai une légère divergence concernant l’échéance retenue. Il faut accorder un délai suffisant aux industriels pour leur permettre de vérifier le plus sérieusement possible que les solutions de substitution sur lesquelles ils ont déjà engagé des recherches sont adaptées aux différents usages alimentaires et satisfont aux exigences de sécurité pour le consommateur.

J’entends ici ou là que le problème, déjà à l’étude dans certaines entreprises, serait résolu dans un an au plus. Ce serait en particulier le cas pour Nestlé. Toutefois, restons sérieux : les PME les plus modestes n’ont pas les mêmes moyens que cette grande firme. De plus, Nestlé ne met pas en boîtes du cassoulet de Castelnaudary et ne recourt donc pas aux résines époxy ! Or c’est précisément pour ces dernières, et non pour les polycarbonates, que subsistent le plus grand nombre de problèmes techniques.

Le remplacement des résines époxy contenant du bisphénol A par d’autres résines ne s’opère pas de la même manière pour tous les aliments, eu égard aux réactions variables du « couple contenant contenu » précédemment évoqué.

S’agissant par exemple des denrées acides, une oxydation peut survenir au bout de quelques mois. De nombreux tests sont donc nécessaires avant de valider, dans la durée, l’étanchéité des nouvelles résines et d’assurer la sécurité microbiologique des aliments. Ces vérifications par familles de produits, dont certains ne se récoltent qu’une fois l’an, sont indispensables.

Le Sénat, dans sa grande sagesse, avait adopté mon amendement tendant à instaurer un délai supplémentaire de six mois. L’Assemblée nationale, quant à elle, est revenue à la date du 1er janvier 2015.

Toutefois, madame le ministre, je ne peux m’empêcher de noter que, en commission, le rapporteur Gérard Bapt s’est dit dans un premier temps satisfait de la date du 1er juillet 2015, et qu’en séance publique plusieurs députés, notamment socialistes, vous ont appelée à émettre un avis de sagesse sur ce compromis.

J’ignore si je parviendrai à convaincre une fois de plus la Haute Assemblée de la pertinence de cette date. Toutefois, je le répète, restons à la fois exigeants et réalistes dans la concertation avec les professionnels de la filière agroalimentaire, pour la santé sanitaire de la population.

Pour conclure, j’insisterai sur le point suivant : notre action, pour être efficace, doit s’inscrire dans une perspective plus large, à l’échelle de l’Union européenne. Cet impératif a d’ailleurs été déjà mentionné. Nous devons être particulièrement vigilants quant à l’évolution de cette question au niveau européen. Je vous saurais donc gré, madame la ministre, de bien vouloir intervenir en ce sens pour convaincre nos collègues.

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