Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 13 décembre 2012 à 15h00
Recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, qui vise à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, pour les successions supérieures à 150 000 euros se veut, après d’autres textes et complémentairement à d’autres, vous l’avez compris, un élément de réponse à une urgence.

L’urgence, les conseillers, encore généraux, la rencontrent à chaque débat budgétaire quand, invariablement, ils constatent non seulement l’augmentation des dépenses d’allocation personnalisée d’autonomie, mais, plus inquiétant encore, l’écart entre les charges de la collectivité et la compensation de l’État.

La tendance est ancienne et structurelle – j’y reviendrai –, mais jusque-là, la dynamique des recettes permettait de combler le trou, dans la plupart des départements.

La réforme des finances locales en pleine crise financière ne le permet plus, au point que le Gouvernement a dû créer un fonds d’urgence doté de 170 millions d’euros pour aider les départements les plus en difficulté. Cette mesure, certes bienvenue, ne résout rien, alors que la situation financière de ces collectivités se dégrade d’exercice en exercice.

Cette situation, vous la connaissez : des compensations et des recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, moins dynamiques que feu la taxe professionnelle ; la perte des recettes de taxe d’habitation ; l’effondrement, puis le « yoyo », des droits de mutation ; et, pour que la coupe soit bien vide, le gel des dotations d’État au motif que les collectivités territoriales doivent contribuer au redressement des finances publiques, même si l’on ne sait toujours pas en quoi elles auraient pu être à l’origine de leur dégradation.

Signe de l’urgence à agir, l’appel des présidents de conseils généraux lors de leur dernier congrès à « engager une réflexion et une véritable négociation sur des financements durables et pérennes de la perte d’autonomie et de la dépendance pour une application dès la loi de finances 2014. » La réponse de l’écho tarde. Peut-être l’aurons-nous ce soir…

La contribution sur les pensions de retraites, d’invalidité et sur les préretraites, ou CASA, contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie, créée par l’article 16 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 n’est pas une réponse, pour les départements en tout cas, puisque, si j’ai bien compris le tour de passe-passe, l’abondement de la section II de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, qui les finance, est compensé par une ponction équivalente.

C’est à se demander quel sens cela peut bien avoir, sinon de rendre encore plus incompréhensible, donc plus difficile à critiquer, un mode de financement qui ne l’est déjà que trop.

La contribution assise sur les revenus des retraités et des indépendants prévue par la proposition de loi de notre collègue Roche, récemment adoptée au Sénat, mais en attente d’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, est plus productive puisqu’elle pourrait rapporter quelque 900 millions d’euros au lieu des 600 millions d’euros attendus de la CASA en régime de croisière – environ 450 millions d’euros en 2013. Surtout, elle est totalement affectée à la section II de la CNSA.

La crise et des réformes dont on mesure chaque jour un peu plus les effets pervers ont incontestablement précipité le moment de vérité. Mais elles ne sont pas à l’origine du problème de fond, à savoir le sous-dimensionnement, pour le moins aventureux, du dispositif de financement de l’APA lors de sa création au mois de juillet 2001, en lieu et place de la prestation spécifique dépendance, la PSD, créée, elle, quatre ans plus tôt à titre provisoire.

Pour faire court, disons que l’APA a été victime tout à la fois de son succès et de ses erreurs de conception. Un succès mérité, car cette nouvelle prestation, plus complète, plus équitable, plus justement distribuée que celle qu’elle remplaçait et qui était laissée largement à la seule initiative des départements, correspondait à un besoin profond, répondait à une évolution irrésistible et structurelle de la pyramide des âges.

Depuis longtemps, les démographes constatent le vieillissement de la population française, phénomène qui s’accentue au fil des ans. Nous vivons certes de plus en plus longtemps, mais nous avons dans le même temps besoin d’une assistance multiforme auquel l’APA permet précisément de répondre.

Alors que, au début du xxe siècle, seuls quatre Français sur dix atteignaient l’âge de soixante-cinq ans, la France compte aujourd’hui 3 millions de personnes âgées de quatre-vingts ans et plus. Elles seront plus de 8 millions en 2060 selon la dernière étude de l’INSEE.

Avec le vieillissement de la population augmente mécaniquement le nombre de personnes en perte d’autonomie à des degrés divers. Paradoxalement même, selon des études menées dans les vingt-sept pays de l’Union européenne, le nombre d’années durant lesquelles les Français peuvent espérer vivre sans incapacité – il était de soixante-trois et demi en 2010 – régresse. La France fait partie de ces pays qui connaissent une augmentation de l’incapacité et du nombre de personnes dépendantes. Aujourd’hui chiffré à plus de 1, 2 million, le nombre des personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 1, 8 million en 2040 et 2, 3 millions en 2060. On mesure l’étendue du défi, auquel il nous faut faire face dès aujourd’hui. Examinons les chiffres.

En 2001, lorsque l’APA a remplacé la PSD, celle-ci comptait 135 000 allocataires. En 2002, les bénéficiaires de l’APA étaient près de 600 000 ; c’est dire le succès de la réforme. Au 31 décembre 2011, ils s’élevaient à près de 1, 2 million, soit le double.

La croissance exponentielle du nombre d’allocataires, l’amélioration qualitative du dispositif ont eu évidemment pour contrepartie l’explosion des dépenses : 1, 855 milliard d’euros en 2002 ; les barres des 3 milliards d’euros, 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros ont été respectivement franchies en 2003, 2006 et 2009. L’étude d’impact de la loi créant l’allocation personnalisée d’autonomie tablait, elle, sur 3, 5 milliards d’euros de dépenses en régime de croisière. Les personnes qui l’ont réalisée se sont quelque peu trompées…

En 2013, les dépenses réalisées au titre de l’APA devraient approcher les 5, 5 milliards euros. Nous le constatons, en dix ans elles ont quasiment triplé et dépassent de 50 % les prévisions.

Cependant, le problème existant est lié certes à la croissance des dépenses en elles-mêmes, mais aussi au fait que le poids de celles-ci pèse de plus en plus sur les départements.

Si en dix ans les dépenses triplent, la contribution de l’État à travers d’abord le fonds de financement de l’APA, puis la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui l’a remplacé, double seulement. Résultat : la participation des départements est multipliée par 3, 5.

En 2002, les contributions respectives de l’État et des départements aux dépenses liées à l’APA s’élevaient à 798 millions d’euros et à 1, 058 milliard d’euros, soit un taux de couverture 43 %. En 2012, ce dernier n’est plus que de 30, 8 %. En dix ans, le taux de couverture des dépenses réalisées au titre de l’APA par l’État a baissé de 40 % ! C’était notre rubrique « les collectivités territoriales contribuent au redressement des finances publiques » ! §(M. Jean Desessard s’esclaffe.)

Et encore, les pourcentages mesurent mal l’importance et la signification du phénomène : en dix ans, ce sont 2, 7 milliards d’euros de charges supplémentaires qui ont été reportées sur le contribuable local, autant dire, depuis 2010, uniquement sur les ménages ! C’était notre rubrique « l’irresponsabilité fiscale des collectivités territoriales »…

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