Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacques Mézard et les membres du groupe du RDSE que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie sur les patrimoines supérieurs à 150 000 euros.
Il s’agit là d’un sujet complexe sur lequel la Haute Assemblée a eu l’occasion de se pencher à plusieurs reprises au cours de ces dernières années.
En première analyse, deux arguments pourraient justifier la mise en place d’un dispositif de recouvrement sur la succession des bénéficiaires de l’APA.
Tout d’abord, la situation financière des conseils généraux, et cela a été évoqué à l’instant.
Elle est aujourd’hui telle que leur capacité à continuer de verser la prestation dans des conditions satisfaisantes paraît obscurcie à plus ou moins long terme.
Je ne rappellerai pas les chiffres relatifs à la progression des dépenses réalisées au titre de l’APA depuis sa création et à celle de la charge nette qui pèse sur les départements, nous les connaissons malheureusement trop bien. Reste que si le principe d’un partage égal du financement de l’APA entre l’État et les départements qui, il est vrai, n’a jamais été inscrit dans la loi, était aujourd’hui respecté, la CNSA devrait compléter le montant de son concours actuel à hauteur d’environ un milliard d’euros.
Le second argument relève davantage de la justice sociale. L’APA est une prestation ouverte à l’ensemble des personnes en situation de perte d’autonomie. Ne serait-il pas plus équitable, au-delà des dispositifs de ticket modérateur déjà existants, de faire davantage participer au financement de la prestation les bénéficiaires dont les capacités contributives, appréciées par le biais du montant de leur patrimoine, sont les plus élevées ?
Ces arguments sont légitimes et ils doivent être entendus. Mais la commission des affaires sociales a estimé que la réponse apportée dans la proposition de loi n’était pas adaptée. Quatre raisons principales justifient cette position.
En premier lieu, le texte proposé n’apporte qu’une réponse partielle et prématurée à la question du financement de la perte d’autonomie.
Nous avons l’assurance, et Mme la ministre nous apportera certainement des précisions sur ce point, qu’un projet de loi sera prochainement présenté sur le sujet. C’est dans le cadre de ce texte global, qui a vocation à s’articuler autour des trois volets que sont la prévention, l’adaptation et l’accompagnement, que pourra alors être étudiée la question d’une meilleure prise en compte du patrimoine des bénéficiaires dans le financement de l’APA et d’un partage plus équilibré des charges entre l’État et les départements.
Adopter dès à présent une mesure partielle et isolée risquerait, à mon sens, d’obérer les débats que nous aurons prochainement et qui doivent permettre une confrontation ouverte et équitable de l’ensemble des solutions envisageables pour le financement de la perte d’autonomie.
Nombreux sont les travaux qui ont déjà été menés. Plusieurs d’entre eux ont étudié la piste du recouvrement sur succession avant de la rejeter. C’est notamment le cas du rapport effectué dans le cadre de la préparation du débat national sur la dépendance par le groupe de travail relatif à la stratégie pour la couverture de la dépendance des personnes âgées ou du rapport du Conseil économique, social et environnemental sur la dépendance des personnes âgées, tous deux publiés au mois de juin 2011.
En revanche, d’autres pistes de financement, que nous pourrons étudier le moment venu, ont été envisagées. Je pense notamment à la mise en place d’un prélèvement général, mais à un taux limité, sur l’ensemble des mutations à titre gratuit, ainsi qu’à l’alignement progressif du taux de CSG applicable aux pensions de retraite sur le taux de droit commun.
En deuxième lieu, la mise en place d’un recouvrement sur succession pose certaines questions de principe qui mettent en cause les fondements mêmes de l’APA.
Historiquement, les dispositifs de recours sur le patrimoine, tout comme l’obligation alimentaire, découlent du caractère subsidiaire des prestations d’aide sociale par rapport à l’exercice de la solidarité familiale.
Je pense ainsi à l’aide sociale à l’hébergement, l’ASH, dont l’objet est de couvrir une partie du tarif hébergement pour les personnes âgées dépendantes prises en charge en établissement, qui est soumise à la fois à l’obligation alimentaire et à la récupération sur succession dès le premier euro.
L’APA diverge cependant des dispositifs d’aide sociale classiques. Il s’agit, et il est bon de le rappeler, d’une prestation universelle destinée à la couverture d’un risque identifié : la dépendance. En ce sens, la couverture du risque dépendance par l’APA se rapproche de celle du risque maladie.
Dès lors que la perte d’autonomie, tout comme la maladie, constitue un risque auquel sont potentiellement confrontées l’ensemble des personnes en situation de vieillissement, introduire un dispositif de recours sur le patrimoine pour le seul risque dépendance revient à créer une iniquité entre les individus selon les pathologies dont ils souffriront à la fin de leur vie.
Personne ne songerait à prélever sur le patrimoine d’un patient les dépenses d’assurance maladie correspondant au traitement d’un cancer. Pourquoi envisager une telle solution pour la prise en charge spécifique de la situation de dépendance d’une personne confrontée à la maladie d’Alzheimer ?
En outre, si l’APA est une prestation universelle, les ressources de la personne dépendante, notamment son patrimoine dormant, sont d’ores et déjà prises en compte dans la définition des plans d’aide. Le dispositif est certainement perfectible. Mais une appréciation plus fine de la capacité contributive de chaque bénéficiaire doit avant tout passer par la révision des modes de calcul des tickets modérateurs plutôt que par la mise en place d’un recouvrement sur succession.
Il est parfois avancé que la récupération sur succession constitue un moyen de responsabiliser les familles, d’éviter une forme de désengagement qui devrait être ensuite supportée par la puissance publique. J’incline à penser tout le contraire. L’implication des aidants auprès des bénéficiaires de l’APA est aujourd’hui considérable et contribue pour beaucoup au maintien à domicile des personnes en perte d’autonomie. Réintroduire un mécanisme de recouvrement sur succession constituerait un très mauvais signal envoyé aux familles des bénéficiaires en faisant peser sur elles une charge démesurée.
En troisième lieu, instaurer le recouvrement sur succession risque d’évincer un nombre non négligeable de bénéficiaires potentiels de l’APA. En effet, plutôt que de prendre le risque de transmettre un patrimoine en partie amputé à leurs héritiers, certaines personnes choisiront de ne pas demander le bénéfice de la prestation.
Cet effet d’évincement, s’il est difficile à quantifier, se vérifie actuellement pour l’ASH, dont le nombre d’allocataires n’a quasiment pas augmenté au cours de la décennie passée.
Il s’est également manifesté au moment de la mise en œuvre de la PSD, à laquelle l’APA a succédé. Cette prestation était en effet soumise à un prélèvement effectué sur la part du patrimoine excédant un seuil de 300 000 francs et pour les dépenses supérieures à un plancher fixé à 5 000 francs.
Dans la rédaction initiale du projet de loi créant l’APA, le Gouvernement avait prévu un dispositif du même type applicable à partir d’un seuil d’un million de francs. Mes chers collègues, c’est l’intervention du Parlement qui a permis d’exonérer l’APA de toute forme de recouvrement sur succession.
Si l’on ne prend en compte que les Francis Giraud, 1 à 3, on s’aperçoit que 140 000 personnes bénéficiaient de la PSD à la fin de l’année 2001 tandis qu’elles étaient plus du double à percevoir l’APA un an plus tard.
De toute évidence, quelque chose s’est débloqué avec la mise en place de l’APA, ce qui a incité les personnes en perte d’autonomie à demander à bénéficier de la prestation : aujourd’hui, elles sont près de 1, 2 million à percevoir l’APA, soit quasiment deux fois plus nombreuses qu’en 2002.
Sans renoncer à la récupération sur succession, faudrait-il envisager de relever le seuil de recouvrement prévu par la proposition de loi, afin de ne toucher que les bénéficiaires de l’APA les plus aisés ? Une telle mesure ne serait que partiellement efficace, car l’expérience montre que l’effet psychologique sur les allocataires potentiels est sensiblement le même quel que soit le seuil choisi. C’est donc moins le niveau du seuil que son existence même qui conduit un individu à renoncer à demander le bénéfice de la prestation.