Intervention de Michèle Delaunay

Réunion du 13 décembre 2012 à 15h00
Recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie — Rejet d'une proposition de loi

Michèle Delaunay :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’ai dit lors de nos débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et sur la proposition de loi présentée par M. Roche, les relations entre l’État et les départements doivent être fondées sur la confiance, le partenariat et la complémentarité : c’est la condition d’une alliance entre proximité et égalité territoriale, et, si l’on va plus au fond, entre démocratie et République.

Cela répond plus que jamais à la volonté du Gouvernement et du ministère qui m’a été confié, s’agissant en particulier du projet qui est le nôtre d’élaborer une loi à la mesure du défi que constitue la révolution de l’âge.

C'est la raison pour laquelle je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi, qui représente un premier pas vers ce « travailler ensemble » dans un esprit de confiance auquel nous aspirons.

Le Gouvernement a pleinement conscience des difficultés des conseils généraux, que nous sommes nombreux à avoir partagées ou à partager encore. Le Président de la République l’a lui-même exprimé de manière très concrète, à l’Élysée, aux représentants des conseils généraux, toutes tendances confondues, en prenant dix engagements élaborés, dont celui de mobiliser un fonds d’urgence de 170 millions d’euros au profit des départements les plus en difficulté.

Le premier de ces dix engagements est de définir ensemble, à l’horizon 2014, des ressources pérennes qui permettront à tous de mieux financer les allocations de solidarité. Dans ces conditions, la présente proposition de loi perd déjà de son acuité.

Cependant, au-delà de ce contexte que je tenais à rappeler, ce sont des raisons liées à la justice sociale, à l’éthique, à l’emploi sur nos territoires et à la nécessaire prévention de la perte d’autonomie qui m’amènent à être défavorable à cette proposition de loi.

L’APA, instaurée par la loi du 20 juillet 2001, sous le gouvernement de Lionel Jospin et grâce à l’impulsion de Mme Paulette Guinchard-Kunstler, se distingue de la prestation spécifique dépendance, la PSD, instituée par Alain Juppé en 1997, notamment par la suppression de tout recours sur succession.

L’APA, qui a permis à nombre d’âgés de rester plus longtemps à domicile, est aujourd’hui perçue par plus de 1, 2 million d’allocataires, alors que le nombre des allocataires de la PSD plafonnait à 148 000. Dès 2002, le passage de la PSD à l’APA s’est accompagné d’une forte progression du nombre des bénéficiaires, passé de 145 000 en 2001, au titre du premier dispositif, à 357 000 en 2002, soit plus du double, pour le second.

D’après l’Inspection générale des affaires sociales, 110 000 ayants droit n’auraient pas demandé la PSD en raison du recours sur succession. Instaurer celui-ci risquerait donc, nous le savons, de dénaturer gravement l’APA et, ce qui est pis, de constituer un frein psychologique, voire psychique et affectif.

Dans cette période d’inquiétude et de fragilité qu’est le grand âge, chacun s’interroge sur la trace qu’il laissera derrière lui et sur les biens qui reviendront à ceux qui lui sont chers : faut-il ajouter à ces tourments la crainte de voir ces biens réduits et leur répartition compromise ?

Il suffit d’ailleurs d’observer le fonctionnement d’autres dispositifs, tels que l’aide sociale à l’hébergement, pour constater les mêmes effets.

Par ailleurs, tout recours sur succession, que le gage ait un caractère volontaire, comme le proposait Mme Rosso-Debord dans son rapport en 2010, ou pas, constitue une rupture d’universalité de l’aide personnalisée à l’autonomie. Or l’APA a été écartée en 2001 du régime de l’aide sociale : il s’agissait d’en faire une prestation de « solidarité nationale », notion centrale de la campagne de François Hollande.

Instaurer le recours sur succession pour l’APA créerait de facto deux catégories de bénéficiaires. Nous ne souhaitons pas, ni vous non plus, je le crois, opposer les Français les uns aux autres, surtout sur une question existentielle comme celle de l’âge.

Le niveau de seuil que vous proposez est également problématique, car s’il était retenu, le recours sur succession concernerait très directement les propriétaires de leur résidence principale, et pas uniquement ceux de la commune de M. Kerdraon ! On sait que 75 % des retraités sont propriétaires de leur logement et que, en 2010, le patrimoine médian était de 220 000 euros pour les 60-69 ans et de 159 000 euros pour les plus de 70 ans. La croissance de la valeur des patrimoines pourrait faire tripler ce montant à l’horizon de 2040.

Le nombre d’ayants droit renonçant à demander l’APA est donc susceptible d’augmenter très fortement, en raison de l’obstacle que créerait la mise en place d’un recours sur succession. Mesdames, messieurs les sénateurs, non seulement cette mesure toucherait de très nombreuses personnes, mais en outre elle ne constituerait en aucun cas une mesure de justice sociale : bien au contraire, elle renforcerait les inégalités entre ceux pour qui le gage représenterait un fort pourcentage de leur patrimoine et ceux pour lesquels il n’en constituerait qu’une infime partie.

Avec un seuil fixé à 150 000 euros, le recours sur succession frapperait pleinement les classes moyennes. On ne peut, comme certains d’entre vous l’ont fait, reprocher au Gouvernement de mettre en place une contribution additionnelle de solidarité pour les retraités imposables – qui, par définition, exempte les moins aisés – et, parallèlement, …

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