Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites au sujet de l’allocation personnalisée d’autonomie et de son poids dans les budgets des départements, dont les capacités financières ne sont sans doute pas encore suffisamment prises en compte.
Pour ma part, je voudrais évoquer le cas d’un département moyen, celui de la Marne, qui se trouve actuellement dans une impasse budgétaire au regard du financement des différentes allocations de solidarité, notamment l’APA.
Mon département compte 107 000 personnes âgées de plus de 60 ans, dont 8 500 bénéficiaires de l’APA. Le versement de cette prestation lui coûtera plus de 33 millions d’euros en 2012, alors que la compensation apportée par l’État est inférieure à 10 millions d’euros, soit un déficit de 23 millions d’euros pour la seule APA.
En outre, nous devons faire face à la montée en charge de la prestation de compensation du handicap. Dans la Marne, 13 000 personnes la perçoivent, pour un coût total de plus de 15 millions d’euros par an, la compensation ne s’élevant qu’à 5 millions d’euros.
Enfin, quand on sait que le nombre des bénéficiaires du RSA augmente chaque mois de 1 %, on comprend que l’équation est bien difficile à résoudre…
Au total, le département doit dégager 40 millions d’euros, sur un budget de 484 millions d’euros, pour financer les dépenses de solidarité non compensées. Cela nous impose d’effectuer des coupes franches, au détriment de nos concitoyens et du soutien au tissu associatif, lequel a pourtant un rôle important à jouer en matière de cohésion sociale et de lutte contre la pauvreté.
Les départements voudraient donc pouvoir retrouver des marges de manœuvre, afin d’être en mesure de remplir leur mission de solidarité envers les personnes, bien entendu, mais aussi les territoires. En effet, le département est la collectivité de proximité la plus à même d’agir rapidement sur le terrain, au service de la croissance.
Il me semblait important de rappeler, en préambule, les difficultés que rencontrent les départements. Je voudrais maintenant formuler quelques remarques, notamment pour faire suite aux propos tenus par M. Kerdraon, dont j’ai lu avec attention le rapport.
Premièrement, la position de l’Assemblée des départements de France n’est pas aussi tranchée qu’on veut bien le dire. Les présidents de conseil général expriment différents points de vue, qui transcendent d’ailleurs les clivages politiques.
Les départements ne peuvent plus se satisfaire de promesses. Un certain nombre de points devront être clarifiés au plus vite : il y va de l’équilibre de leurs budgets. Certains départements votent le leur au mois de décembre, d’autres en janvier, mais on sait pertinemment, les orientations budgétaires ayant déjà été arrêtées, qu’ils seront tous confrontés à d’immenses difficultés financières. À cet égard, l'annonce hier de l'augmentation prochaine du RSA n’est pas de nature à nous rassurer…
C’est la raison pour laquelle un certain nombre de présidents de conseil général pensent que mettre en place un recours sur succession n’est pas une hypothèse à écarter d’emblée, compte tenu du contexte.
Deuxièmement, les conseils généraux disposent déjà d'un savoir-faire en matière de pratique du recours sur succession, puisque celui-ci existe pour l’aide sociale à l'hébergement. S’il devait être instauré pour l’APA, nous pourrions nous appuyer sur des équipes spécialisées déjà bien rodées. Dans ces conditions, les coûts de gestion ne seraient pas exorbitants.
Troisièmement, la comparaison entre la prise en charge de la maladie et celle de la dépendance est un exercice intellectuel tout à fait intéressant. Elle mérite d’être établie, même si elle a ses limites, d’autant que la distinction entre maladie et dépendance est le problème non pas de la personne concernée, qui subit la double peine, mais des financeurs du secteur sanitaire et de ceux du champ médicosocial, les politiques suivies dans ces deux domaines étant bien souvent étroitement imbriquées. Si l'on veut que la réponse apportée à la personne soit cohérente, il faut définir une articulation complémentaire.
Le système de protection de santé ne fait pas appel au recours sur succession, mais c’est un système assurantiel, assorti de diverses possibilités d’assurance complémentaire. On peut donc légitimement envisager, me semble-t-il, sur le même modèle, que le risque dépendance soit couvert par une prestation universelle, associée à un système d’assurance complémentaire. Le reste à charge devra être supportable pour la personne en situation de dépendance et acceptable pour le contribuable.
En tout état de cause, cette prestation universelle devrait être financée par un impôt national, et non par une contribution départementale.
Quatrièmement, sont actuellement pris en compte, pour la fixation du montant de l’APA, qui est une allocation différentielle, les ressources de la personne dépendante, ainsi que les revenus de son patrimoine ou de ses placements. En revanche, la valeur du patrimoine en tant que tel n’est pas intégrée dans le calcul. On pourrait donc imaginer, plutôt que d’instaurer un recours sur succession, de tenir compte de la valeur estimative du patrimoine.
Cinquièmement, il serait aussi intéressant d’envisager, dans l’attente de la discussion de la grande loi sur l’autonomie, la mise en place d’un recours sur succession pour les personnes volontaires.
J'ai déjà eu l’occasion de rencontrer un certain nombre de personnes âgées dépendantes qui, peut-être parce qu’elles n’ont pas de descendants, seraient prêtes à accepter que la collectivité récupère les sommes versées au titre de l’APA sur leur succession, plutôt que par le biais d’un prélèvement direct sur les ressources qu’elles perçoivent.
En tout état de cause, l’APA a véritablement démontré son efficacité en termes de prise en charge de la dépendance, ce qui est bien l'essentiel, mais ses limites sont clairement apparues en termes de financement.
En attendant 2014, échéance envisagée pour l’élaboration de la loi sur l’autonomie, les conseils généraux assument une responsabilité essentielle, en particulier sur le plan financier, dans la prise en charge de la dépendance. C’est la raison pour laquelle il convient de trouver des solutions pour le financement de l’APA. À cet égard, ce ne sont pas les 170 millions d’euros prélevés sur la CNSA qui suffiront à compenser, pour les départements, le déficit de 6 milliards d’euros qu’ils doivent supporter au titre des prestations de solidarité.
Madame la ministre, prenez en compte les difficultés que rencontrent les départements ! Vous avez déclaré qu’un pacte de confiance devait s’établir entre l’État et les collectivités locales, mais comprenez notre inquiétude devant les conséquences financières des récentes annonces du Gouvernement.