Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du 12 décembre 2012 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà deux ans que la commission des affaires européennes du Sénat m’a chargé de suivre l’évolution des pays affectés par la crise de la dette souveraine.

À ce titre, j’étais à Chypre il y a un mois et demi. Quelle n’a pas été ma stupéfaction d’y apprendre que le chef d’un État, qui exerce, pour quelques jours encore, jusqu’à la fin de cette année, la présidence de l’Union européenne, entendait se placer en tête d’éventuelles manifestations contre un plan d’ajustement de la troïka, si celui-ci se révélait trop rigoureux ! Un tel comportement s’explique, pour partie, par le coût social induit par les programmes d’assistance financière mis en place.

Je songe aussi au Portugal, qualifié de bon élève par la troïka parce que son gouvernement a mis en place 110 des 120 mesures qu’elle préconisait. Cette réussite doit cependant être tempérée : une majorité de familles vit avec moins de 900 euros par mois, 43 % de la population est exposée au risque de pauvreté, 20 % est d’ores et déjà considérée comme pauvre. Par ailleurs, 35 % des jeunes sont sans emploi, et 70 000 à 90 000 Portugais quittent le territoire chaque année.

Là se joue une partie du drame que représente la crise de la dette souveraine au sein de la zone euro. L’Union européenne, chargée d’apporter une solution aux difficultés de refinancement des États, difficultés qui, rappelons-le, peuvent placer tel ou tel pays en situation de défaut de paiement, et donc dans l’incapacité de verser les salaires publics et les pensions de retraite, apparaît comme un symbole du moins-disant social et de la remise en cause des droits acquis. Elle est vue comme l’incarnation d’une pression fiscale accrue, aux effets incertains sur la croissance.

La monnaie unique devait apporter une prospérité durable sur l’ensemble du continent. Dix ans après son introduction, pour des raisons qui lui sont en partie exogènes, l’euro est finalement devenu la devise de la précarité et de la reconfiguration à la hussarde de nos États-providences. L’avenir passe désormais, pour nombre de nos concitoyens européens, par un retour aux anciennes monnaies nationales, quand bien même une telle option ne ferait, en réalité, que rendre plus aiguë la crise économique et financière que traverse leur pays. La crise de la zone euro se mue en une crise de confiance à l’égard du projet européen.

Entendons-nous bien, je ne compte pas faire le procès de la monnaie unique à laquelle j’ai toujours été – je le suis encore ! – favorable. Je m’interroge simplement sur la qualité de la réponse que nous avons apportée aux difficultés qui se sont fait jour en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne et, aujourd’hui, à Chypre. En Grèce, nous avons compris la nécessité de mettre en œuvre, à côté de programmes d’ajustement indispensables, une task force chargée de mieux exploiter le potentiel de croissance du pays, en veillant, notamment, à une meilleure utilisation des fonds structurels. Cette initiative, même tardive, aurait dû être étendue aux autres pays placés sous assistance. La survie de ces pays ne doit pas uniquement passer par une réduction de tous les coûts et l’amélioration de leur compétitivité à l’extérieur.

Mais revenons un instant sur la gestion, depuis deux ans, de la crise et la modernisation de la gouvernance de la zone euro.

Nous avons institutionnalisé un pompier de service, le Mécanisme européen de stabilité. Plus récemment, nous avons tenté, au travers du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, de prévenir les comportements pyromanes. Les fameux two-pack et six-pack participent également à cet effort.

En revanche, nous n’avons pas assez réfléchi au stock de dette existant, susceptible de s’enflammer sur les marchés financiers. Il a fallu attendre juin dernier pour que, enfin, les chefs d’État et de gouvernement donnent mandat aux présidents du Conseil, de la Commission et du Parlement européen, ainsi qu’au gouverneur de la Banque centrale européenne, pour préparer un rapport sur le renforcement de l’Union économique et monétaire et présenter des pistes en ce sens.

Le rapport du président du Conseil Herman Van Rompuy, présenté en octobre dernier, prévoyait à cet égard la mise en place d’un fonds de rédemption permettant de mutualiser une partie de la dette souveraine existante. Je regrette que cette disposition ait in fine disparu du rapport qui sera présenté au Conseil. Si la Commission en a, de son côté, repris l’idée, elle ne l’envisage qu’à moyen terme, dans une période comprise entre 18 mois et 5 ans. Où en sera l’Espagne à cette date ? Où en sera l’Italie ? Et je ne parle même pas de nous : où en sera la France ?

La mutualisation fait peur aux pays les plus vertueux, je peux le concevoir, car ils empruntent à des taux très faibles sur les marchés. Pourtant, je doute qu’il y ait d’autres solutions. On salue, ici et là, la baisse historique des taux d’intérêts auxquels la France emprunte. Ces niveaux historiquement bas pourraient aussi nous conduire à rejeter la mutualisation. Ne nous leurrons pas : si nous empruntons à de tels taux, c’est uniquement parce que les marchés considèrent la situation de certains de nos partenaires européens comme plus grave que la nôtre. Ils ne saluent absolument pas une amélioration de l’état de notre économie. Je crains que notre tour ne vienne, comme les autres, quand bien même nous aurions enfin lancé de grandes réformes structurelles. Regardons le cas de l’Espagne, qui éprouve encore et toujours des difficultés à se refinancer sur les marchés, ceux-ci ne prenant pas en compte les plans d’ajustement que les gouvernements espagnols successifs mettent en place depuis trois ans et qui s’avèrent au final, avouons-le, plus ambitieux que les nôtres.

La Commission comme le Conseil ont compris qu’il fallait encourager les réformes structurelles via une forme de contractualisation : la mise en place de réformes d’envergure pourrait ainsi s’accompagner d’un soutien financier de l’Union européenne. Cette initiative est à saluer. Toutefois, elle restera incomplète si les taux d’intérêts des titres de dette des pays concernés demeurent les mêmes. Seule une mutualisation permettrait d’exercer une pression à la baisse sur ces derniers.

La mutualisation ne saurait être intégrale, bien évidemment : elle viserait une partie de la dette des États et serait, bien sûr, conditionnée. Une telle décision n’est pas en contradiction avec la discipline budgétaire. Il est hors de question de recréer des phénomènes de type « passager clandestin », que l’Union économique et monétaire n’a que trop connus au moment de son lancement.

J’ajouterai un dernier mot pour souligner la grande absence, dans le projet de la Commission, des parlements nationaux. C’est de nous-mêmes qu’il s’agit, mes chers collègues, nous qui sommes chargés du vote du budget, mais écartés du contrôle démocratique des décisions prises en matière de coordination des politiques économiques au sein de l’Union économique et monétaire. L’évolution se fait au profit du Parlement européen, dont la représentation dépasse largement la zone euro. Quel étrange paradoxe ! Je ne suis pas sûr que le Parlement européen dispose d’une légitimité démocratique supérieure à la nôtre dans ce domaine, comme l’indique la Commission dans son projet.

Le rapporteur général l’a rappelé, le Sénat a adopté, en début d’année, une résolution destinée à renforcer l’association des parlements nationaux aux décisions de l’Eurogroupe. Nous disposons, avec l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, ainsi qu’avec le protocole n° 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, des bases juridiques permettant de donner corps à nos propositions. Je note, d’ailleurs, que le projet du président du Conseil est plus favorable à une meilleure association des parlements nationaux au fonctionnement de l’Union économique et monétaire. Je souhaiterais, en tout état de cause, que le Gouvernement reprenne pleinement à son compte la résolution que nous avons votée. §

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