Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’échec retentissant du Conseil européen du 5 décembre 2012 consacré au budget de l’Union, la réunion des chefs d’État et de gouvernement demain et après-demain à Bruxelles risque malheureusement, une fois encore, de ne pas démentir la réputation de ces sommets, perçus comme cacophoniques et ne débouchant pas sur des décisions claires.
Le point principal de l’ordre du jour porte sur les mesures à prendre en vue du renforcement de l’Union économique et monétaire, l’UEM.
Je ne voudrais pas faire un mauvais jeu de mots, mais la gravité de la situation de la zone euro et de celle dans laquelle se trouvent certains pays qui la composent, ainsi que la persistance de divergences profondes entre États membres, qui paralyse la prise de décision, pourraient justement contribuer à achever l’UEM.
Pourtant, la profondeur de la crise financière européenne se confirme chaque semaine. Ainsi, malgré le coup de pouce accordé à la Grèce par la chancelière allemande, qui n’exclut plus d’effacer, à terme, sa dette, force est de constater que ce pays n’en finit pas de s’enfoncer dans la spirale infernale d’une récession économique aux conséquences sociales dévastatrices.
Tout récemment encore, nous apprenions que le président du Conseil italien, M. Monti, l’homme lige de Goldman Sachs et des marchés financiers, jetait l’éponge et s’apprêtait à démissionner, faute d’obtenir un soutien clair de sa majorité concernant les mesures d’austérité budgétaire et de régression sociale sans précédent qu’il veut appliquer.
La suite ne s’est pas fait attendre. M. Berlusconi a annoncé son souhait de revenir aux affaires, et les marchés ont aussitôt repris la spéculation sur la dette italienne.
C’est donc dans ce contexte troublé et inquiétant que les dirigeants européens doivent se prononcer sur les derniers éléments de la feuille de route que le président du Conseil européen, M. Van Rompuy, a été chargé d’élaborer.
Pourtant, avant même d’être adoptée, cette nouvelle tentative de consolidation et de préservation de la zone euro risque d’être mise à mal par l’échec auquel l’Italie a dû faire face lorsqu’elle a voulu imposer des mesures d’austérité économique et sociale.
Ne nous y trompons pas, après ce pays, c’est la France qui pourrait être directement menacée par les marchés, et ce par un effet mécanique. En effet, les pays comme le nôtre sont des proies faciles quand leurs finances publiques, aveuglément soumises au dogme de la réduction effrénée de la dépense, asphyxient l’économie par manque de ressources, sans parvenir pour autant à relancer la croissance.
Je rappelle que notre groupe avait vivement critiqué la feuille de route confiée à M. Van Rompuy, lors du débat qui s’est tenu fin juin au Sénat et qui portait sur les conclusions du premier Conseil européen auquel participait le Président Hollande.
Nous avions auparavant déploré que le Président de la République ait accepté tel quel le traité budgétaire signé par son prédécesseur, et qu’il se soit contenté de quelques mesures sur la croissance, lesquelles, représentant un effort équivalent à seulement 1 % du PIB, ne pourront aucunement compenser les restrictions imposées.
Or la mission confiée au président Van Rompuy procède directement de ce traité. Concrètement, elle vise à renforcer les mécanismes des politiques d’austérité qui sont imposées aux économies et aux peuples par des gouvernements qui croient que le fait de céder aux marchés financiers et de gagner leur confiance permettrait de sortir de la crise.
Je suis au regret de vous le dire, monsieur le ministre, je crains que telle ne soit en effet l’attitude de votre gouvernement à leur égard.
Ces gouvernements sont les premiers responsables, car, pour eux, la bonne gestion d’un pays signifie rentabilité élevée et immédiate des capitaux privés investis, sans aucune considération pour les dégâts économiques et sociaux infligés.
C’est ce que vient de démontrer, de façon cruelle, la véritable humiliation subie par la France et ses sidérurgistes, infligée par un financier sans scrupule, qui impose ses propres règles économiques et ne respecte pas ses engagements.
Bien qu’elles ne soient vraisemblablement adoptées que de manière partielle, les mesures présentées par M. Van Rompuy alourdiront de façon significative le poids des institutions communautaires en matière de régulation bancaire, d’émission de dette, de surveillance de l’élaboration des budgets nationaux, de convergence des politiques économiques et de réformes structurelles.
Ainsi se précise, au fil de ces conseils, la mise en place d’un engrenage tendant vers une Union fédérale que, pour notre part, nous combattons fermement, du fait, en particulier, des abandons de souveraineté qu’elle implique.
Dans son rapport, le président du Conseil européen préconise, certes avec prudence, l’instauration progressive, d’ici à janvier 2014, d’un mécanisme unique de supervision intégrée des banques de la zone euro, sous l’égide de la Banque centrale européenne. Pour recapitaliser les banques, il estime que, d’ici là, le pare-feu de la zone euro, à savoir le Mécanisme européen de stabilité, sera suffisant.
Puisque nous savons que ce mécanisme ne répondait déjà plus aux exigences de la situation lors de sa mise en place, nous sommes assurés que les marchés ont de beaux jours devant eux, et qu’ils pourront continuer à jouer contre l’économie réelle.
M. Van Rompuy fait également preuve de prudence quand il évoque la possibilité de créer, dès l’année prochaine, un fonds et une autorité de résolution des crises bancaires, chargés de restructurer et de soutenir les établissements en difficulté. Et pour cause : l’Allemagne y est très hostile, tout comme elle reste opposée à la mise en place progressive d’une esquisse de budget de la zone euro, visant à absorber de façon plus rationnelle les chocs des crises financières à venir.
En effet, malgré son évolution pragmatique concernant la Grèce, elle rejette encore une mutualisation des dettes, qui s’apparenterait à une solidarité européenne fondée sur un partage des risques assumés par les États.
En revanche, conscient des réticences de certains gouvernements, dont le nôtre, monsieur le ministre, je le reconnais bien volontiers, à mettre en œuvre des réformes sous la seule dictée de Bruxelles, M. Van Rompuy propose globalement de le faire avec plus de souplesse, de manière contractuelle.
Mais je crains fortement qu’il ne s’agisse seulement d’une manière habile de faire passer auprès des peuples des réformes comme la libéralisation du marché du travail, une plus grande flexibilité ou la déréglementation des services.
Même si une telle perspective d’intégration apparaît encore comme une visée lointaine – pour la énième fois, l’objectif affiché par ce conseil sera de refonder la zone euro et de tenter de surmonter la crise des dettes de certains pays –, elle nous paraît dangereuse dans ces conditions.
Une fois encore, des positions apparemment inconciliables, principalement entre la France et l’Allemagne, sont dramatisées avant le conseil, afin de crédibiliser ensuite des compromis acceptés par tous.
Ces divergences, montées en épingle pour satisfaire les opinions publiques de chaque pays, ne sont en réalité que des différences d’appréciation sur les modalités d’application, destinées à dissimuler un accord de fond entre tous les gouvernants européens pour défendre sans conviction leurs économies face aux marchés.
Pourtant, contrairement à ce qui est promis, l’assemblage qui se met en place n’est pas la solution qui permettrait d’éviter à coup sûr l’éclatement de la zone euro et de faire face aux attaques spéculatives des marchés contre les économies des États européens.
Pour renverser la situation et rendre possible une maîtrise politique, par les États, de marchés financiers aveugles et irresponsables, il faudrait impérativement leur donner la possibilité de recourir directement aux crédits très « bon marché » de la Banque centrale européenne.
Certes, les missions de la BCE seraient en partie modifiées par les propositions de M. Van Rompuy, puisqu’elle pourrait devenir une vraie banque centrale, capable d’absorber de la dette quand les marchés n’y trouvent plus leur intérêt. Mais on lui refuse toujours la possibilité de prêter directement aux États, sans passer par l’étape de la recapitalisation des banques par le MES.
Pour sortir de cette crise, commençons par créer une vraie banque centrale européenne, capable de monétiser les dettes souveraines, au lieu de nous contenter d’un ersatz de fonds monétaire sans puissance. Les gouvernements d’Europe devront bien un jour se mettre d’accord pour que la BCE finisse par garantir la stabilité de leur système financier par la création monétaire.
Bien entendu, nous ne nous attendons pas à ce que le Président de la République fasse valoir ce point de vue lors du prochain sommet. Mais nous voulons simplement mettre en garde contre le danger à trop céder devant les marchés financiers sans vouloir se donner les moyens de leur résister.
Forts des déceptions qui ont été les nôtres et celles des Français lors des précédentes réunions du Conseil européen, nous craignons que, une fois encore, la voix de la France ne s’affirme pas et qu’elle ne soit diluée dans le discours ambiant.
Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations dont je souhaitais vous faire part au nom du groupe communiste, républicain et citoyen.