Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 13 et 14 décembre prochains pourrait bien marquer une date importante dans le développement de la zone euro tel que le prévoit la Commission européenne dans une communication de cinquante-cinq pages diffusée fin novembre aux États membres.
Ce document, particulièrement ambitieux, tranche avec l’habituelle prudence de José Manuel Barroso, dans la mesure où le président de l’exécutif européen y dessine les grands contours d’une future fédération de la zone euro.
En fait, cette feuille de route a pour objectif premier de lister les grandes étapes menant à une union politique de la zone euro, à une forme d’intégration présentée comme la seule manière de s’opposer à une spéculation effrénée et à la dure loi des marchés, qui ne cessent de s’attaquer à l’existence même de la monnaie unique européenne. Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, soutient ce document de la Commission européenne en le qualifiant de particulièrement ambitieux, mais nécessaire et tout à fait compatible avec la feuille de route qu’il présente lui-même pour la réunion de demain et d’après-demain.
Cette dernière, séquencée selon trois étapes, détaille différents volets sur lesquels l’Union européenne est en train d’avancer ou devra le faire : l’Union bancaire, l’Union budgétaire, l’Union économique et l’Union démocratique. Notons, cependant, que la question du changement de traité, qu’exige à moyen terme le plan de M. Barroso et qui est demandée par certains États membres, est ignorée dans ce document.
Le président du Conseil européen propose une première étape courant jusqu’à la fin de 2013 et visant deux objectifs : une discipline budgétaire accrue et la création d’une Union bancaire afin de briser le lien entre problèmes bancaires et crise de la dette souveraine.
La deuxième étape prévue par M. Van Rompuy, qui se déroulerait de 2013 à 2014, a pour objectif d’achever la mise en œuvre d’un cadre financier intégré et la promotion de politiques structurelles dites « saines ». Plusieurs orateurs et vous-même, monsieur le ministre, se sont déjà exprimés sur ce point, je n’y reviens pas.
Enfin, la troisième et dernière étape voulue par M. Van Rompuy, qui aurait lieu à partir de 2014, vise à améliorer la résistance de l’Union économique et monétaire face aux chocs économiques. À cet égard, il distingue deux points.
Le premier est la mise en place d’une capacité budgétaire spécifique au niveau européen pouvant servir à faciliter la résistance à ces chocs. Cela pourrait revêtir la forme d’un mécanisme de type assurantiel auquel les pays concernés contribueraient en fonction de leur situation par rapport au cycle économique. La mise en œuvre de cette proposition devrait peut-être nécessiter un changement de traité.
Le second point est l’augmentation des prises de décisions communes sur les budgets nationaux et une coordination encore plus poussée des politiques économiques, en particulier dans les domaines fiscaux et de l’emploi.
Cette feuille de route a en tout cas le mérite de mettre le cap sur l’objectif ultime de l’Union monétaire : un budget commun et une gestion économique concertée.
C’est sur ce dernier point que la feuille de route de M. Van Rompuy rejoint les orientations à moyen terme proposées par M. Barroso. L’idée centrale de l’exécutif européen est d’aboutir dans cinq ans à la mise en place d’un « budget central important » de la zone euro, qui permettrait de faire face à des « chocs asymétriques » ou à des « chocs communs à la zone euro ».
La Commission estime même que ce budget pourrait servir à mettre en œuvre des politiques contracycliques à court terme, « comme par exemple dans le système américain d’allocations de chômage où un fonds fédéral rembourse 50 % des allocations excédant la durée standard à concurrence d’un maximum donné, sous réserve que le chômage ait atteint un certain niveau et continue d’augmenter ». Il ne s’agit donc pas de prévoir des « transferts permanents », car encourager l’irresponsabilité des gouvernements aurait des effets pervers.
Ce budget serait alimenté par des ressources propres ne dépendant pas des États, comme la taxe sur les transactions financières, dont vous avez parlé, monsieur le ministre, ou la taxe carbone, toujours en gestation. Mieux : il pourrait avoir recours à l’emprunt, ce qui passerait par la mise en place d’une sorte de « Trésor européen ».
Pour la Commission, seule cette dette fédérale serait politiquement acceptable, l’Allemagne ne voulant pas d’une mutualisation des dettes nationales.
En bref, la zone euro pourrait, dans cette perspective, ressembler aux États-Unis. C’est à vrai dire un « saut » dans le fédéralisme qui est ainsi proposé. On savait, en effet, dès 1991, au moment de la négociation du traité de Maastricht, qu’il y avait une sorte d’incompatibilité entre une monnaie unique et des politiques économiques et budgétaires souveraines.
Mais comme il était sans doute trop tôt pour proposer à cette époque un vrai saut fédéral, les négociateurs ont laissé à leurs successeurs le soin de parachever l’Union économique et monétaire, en pariant sur le fait que l’entrée en vigueur de l’euro constituerait un choc suffisant pour les pousser à consentir les partages de souveraineté nécessaires.
C’est en réalité exactement le contraire qui s’est produit : protégé par le parapluie de l’euro, qui semblait en béton armé, le chacun pour soi est devenu la règle, jusqu’à l’éclatement de la crise de la dette publique en 2010.
C’est donc aujourd’hui dans l’urgence qu’il faut avancer vers une meilleure intégration politique des pays de la zone euro, pour développer ensemble des politiques économiques et financières convergentes.
La directrice générale du Fonds monétaire international, Mme Lagarde, le dit à sa manière lorsqu’elle critique le morcellement du calendrier proposé par M. Van Rompuy. Selon elle, cette démarche fragmentaire ne permettra pas « d’aboutir à [une] clarification du paysage qui, seule, est de nature à restaurer la confiance ». Elle ajoute qu’il faut avant tout « manifester cette solidarité sans laquelle il n’est guère de projet européen ». La réponse à la crise ne sera efficace que si elle est exhaustive et la question de la solidarité entre les États doit être rapidement réglée en avançant sur le chemin d’une plus forte intégration politique à l’intérieur de la zone euro.
Je rappellerai ici ce que défend le Président de la République, François Hollande, depuis juin dernier à chaque négociation : « l’intégration, dit-il, est nécessaire à condition que la solidarité soit possible, c’est-à-dire qu’à chaque étape d’intégration doit correspondre un instrument de solidarité ».
Alors, monsieur le ministre, quelle sera, lors du prochain conseil européen, votre position sur cette orientation vers une meilleure intégration politique de l’eurozone pour, in fine, faciliter la sortie de la crise de l’euro et éviter qu’elle ne se reproduise à l’avenir ?
Enfin, je rejoins les eurodéputés dans leur critique : il faut que l’Union économique et monétaire comporte un volet social. Le Parlement européen l’a indiqué le 20 novembre dernier, il est important d’élaborer un pacte social parallèlement au renforcement de l’Union économique et monétaire, afin de contrebalancer les effets de la surveillance plus stricte des politiques budgétaires et économiques.
Le pacte social que les députés de Strasbourg appellent de leurs vœux pourrait et devrait inclure des mesures, me semble-il, importantes, à savoir : la création d’un fonds de garantie pour l’emploi des jeunes, des services publics de qualité, un revenu minimum décent, un accès au logement social à un prix abordable, la garantie de l’accès à des services de santé essentiels sans conditions de ressources, un protocole social protégeant les droits sociaux fondamentaux et du travail, un encadrement européen pour une gestion socialement responsable des restructurations, une nouvelle stratégie pour la santé et la sécurité au travail, et l’égalité salariale.
J’ajouterai que ce volet social donnerait une nouvelle confiance dans l’euro et une légitimité à une Union économique, qui, pour l’instant, n’est essentiellement que contraintes pour les citoyens européens.
Monsieur le ministre, vous êtes favorable, avez-vous dit, à l’existence d’un volet social au sein de l’Union économique et monétaire. Je pense qu’il serait très utile, lors de ce conseil européen, de réaffirmer fortement l’attachement de la France à cette idée. §