Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 12 décembre 2012 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 13 et 14 décembre 2012

Bernard Cazeneuve :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à l’ensemble des intervenants dans l’ordre inverse de leur passage, en commençant donc par M. Jean-Marie Bockel.

Monsieur le sénateur, vous regrettez que les questions de défense européenne ne soient pas inscrites à l’ordre du jour des réflexions du Conseil européen. Je ne sais pas quels sont les canaux d’information dont vous disposez, mais je ne suis pas sûr qu’ils soient tout à fait fiables.

La question de l’Europe de la défense sera évoquée, vendredi, par le Conseil européen. C’est une question extrêmement importante, dont l’inscription se justifie précisément par les nombreux travaux intervenus au cours des derniers mois, qui ont contribué à relancer ce qui était en panne.

J’évoquerai quelques éléments concrets, afin de répondre très précisément à votre question.

À l’occasion des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale comme au Sénat, au moment de l’intégration de la France dans le commandement de l’OTAN, le précédent gouvernement, dans lequel vous avez notamment exercé les fonctions de secrétaire d’État à la défense, avait indiqué que cette intégration serait l’occasion de relancer l’Europe de la défense.

Selon le gouvernement de l’époque, la singularité de la France en Europe, qui aurait préoccupé nos partenaires, était de nature à bloquer la construction de l’Europe de la défense. La fin de cette singularité devait créer des conditions de confiance permettant d’accélérer une telle construction.

Que s’est-il passé ? Rien du tout ! Si les Accords de Lancaster, traités conclus entre la France et la Grande-Bretagne dans le domaine de la coopération nucléaire et relatifs à plusieurs autres sujets, qui, sans être négligeables, ne sont pas d’une importance stratégique majeure – je pense notamment à la question des drones –, ont permis d’avancer un peu, pour le reste, il n’y a eu aucun progrès.

Or plusieurs événements sont intervenus, notamment la réunion du Triangle de Weimar, le 15 novembre dernier, qui a fait l’objet d’une préparation très importante de la part des gouvernements de l’Union européenne. Weimar, c’est la Pologne, la France et l’Allemagne. En formation Weimar Plus sont associées Italie et l’Espagne. Ces pays ont pris, concernant la construction de l’Europe de la défense, des décisions qui vont bien au-delà de la demande que vous venez de formuler.

D’abord, il a été décidé de coordonner nos actions, ce qui n’avait pu être fait de façon systématique, afin de mener des opérations concrètes à caractère militaire nous engageant collectivement, à l’instar de ce que nous avions commencé à faire dans la corne de l’Afrique avec l’opération Atalanta.

Vous avez également exprimé votre préoccupation de ne pas voir l’Europe intervenir suffisamment au Mali.

Or c'est précisément l’un des sujets sur lesquels elle a choisi d'intervenir. Lors du conseil Affaires étrangères de lundi dernier, l'Europe a décidé de coordonner ses efforts pour permettre une opération conjointe des forces de l'Union européenne au Mali, en formation de l'armée malienne. Les objectifs sont, d’une part, de permettre à cette dernière d'intervenir pour reconstituer l'intégrité territoriale du pays et, d’autre part, de donner au gouvernement malien et à ses forces armées les moyens de juguler le risque de terrorisme au Nord-Mali.

Vous n'êtes pas non plus sans savoir qu'il a été décidé de confier à Mme Ashton et à l'Agence européenne de défense une réflexion sur la définition des orientations durables permettant la constitution d'une Europe de la défense. Ce travail fera l’objet d’un rapport qui sera présenté par le Service européen d'action extérieure et l'Agence européenne de défense devant le Conseil européen en septembre 2013.

Sachez-le, mesdames, messieurs les sénateurs, la stratégie de l'Union européenne est très claire. Elle consiste d'abord à intervenir là où elle a légitimité à le faire, tout en étant efficace – je pense au Mali ou à l’opération Atalanta – ; ensuite, dans le cadre de ce que l'on appelle le pooling and sharing, à mutualiser les moyens pour améliorer l'efficacité de l'intervention de l'Union européenne en matière de défense ; enfin, jusqu'à la restructuration de nos industries de défense, à intervenir de façon plus efficace en termes capacitaires, pour permettre une meilleure intégration de l’industrie européenne de défense. Cet objectif est d'autant plus urgent que, depuis plus de sept ans, aucune restructuration n’a été conduite pour conforter cette industrie.

Voilà, monsieur Bockel, les éléments de réponse que je souhaitais vous apporter à la suite de votre intervention.

Je voudrais remercier les orateurs qui se sont exprimés aujourd'hui et noter qu’ils ont été nombreux – c'est le cas de MM. Humbert, Billout, Gattolin et Ries, sans même parler de MM. Sutour et Marc – à m’interroger sur nos objectifs en matière de renforcement de l'Union économique et monétaire et de solidarité. Certains l'ont fait en mesurant les progrès accomplis ; d'autres, à l'instar de M. Billout, pour regretter ce qui n'a pas été fait et qui aurait dû, selon lui, l’être ; et d'autres encore pour souhaiter, comme M. Humbert, que l'Europe évolue conformément à nos souhaits.

Monsieur Humbert, j’ai été agréablement surpris par la position que vous avez défendue ; j'ai cherché, en vain, des points de divergence entre vos propos et ce que nous pourrions souhaiter en matière de mutualisation de la dette, de renforcement des solidarités et de multiplication des logiques disciplinaires ! J’évoquerai tous ces sujets le plus précisément possible.

D'abord, je voudrais insister, répondant en cela à Michel Billout, sur le fait que, même si la route est encore longue, il faut bien mesurer le chemin qui a déjà été parcouru. Je pense notamment au renforcement des outils dont s'est dotée l'Union européenne pour lutter contre la spéculation et tenter d'affirmer une forme de souveraineté à l'égard des marchés, qui est l'exact contraire de la soumission que vous regrettiez, monsieur Billout.

Je citerai des exemples concrets. Lors du Conseil européen de juin dernier, il a été décidé de permettre la recapitalisation directe des banques par le Mécanisme européen de stabilité au terme de la mise en place de la supervision bancaire, qui est le premier pilier de l'Union bancaire. L’objectif était d’éviter que les États qui souhaitent recapitaliser leurs banques n'aient à le faire en se refinançant à des taux très élevés sur les marchés.

Ces taux ruinent les efforts que les États accomplissent pour rétablir leurs comptes publics, efforts qui sollicitent très largement les peuples, comme vous l’avez déploré.

Je le redis, en demandant au MES d’intervenir après la mise en œuvre de la supervision bancaire pour recapitaliser les banques, nous évitons que les États n'aient à le faire en se finançant sur les marchés. En agissant de la sorte, nous rompons le lien funeste qui existe entre dettes bancaires et dettes souveraines. Ce lien est un facteur de déclin qui nous empêche d'agir rapidement pour remettre en ordre le système bancaire. Notre démarche a conduit la Banque centrale européenne à prendre la décision, par le truchement de son président, Mario Draghi, d'intervenir sur le marché secondaire des dettes à court terme pour lutter contre les spéculateurs, jusqu'à ce que ces derniers rendent gorge.

Vous l’avez constaté, les fameux spreads de taux d'intérêt, qui n’avaient cessé d’augmenter, ont plutôt globalement diminué dans les pays qui accomplissent des efforts. Je partage votre sentiment, la situation de la France au regard de l'évolution des taux doit être évaluée à l’aune de celle des autres pays. Vous avez raison de dire, avec Jean-François Humbert, que, si nos taux sont faibles, ce n'est pas parce que nous avons redressé la situation, mais parce que nous tirons bénéfice de la situation dégradée des autres pays. Tout cela est très relatif et fragile, ce qui ne signifie pas que notre situation n'est pas en train de s'améliorer ! Nous devons aussi tenir compte de votre raisonnement. C'est la raison pour laquelle nous poursuivons nos efforts de redressement de nos comptes publics et de la compétitivité.

Si tout cela n'avait pas été fait, si ces outils n’avaient pas été mis en œuvre, la spéculation serait bien moins contenue qu’elle ne l’est aujourd'hui.

Je souhaite, ensuite, apporter des éléments de réponse sur la contractualisation et le budget de la zone euro. Certains d’entre vous ont insisté sur le fait qu’il n’était pas possible d’accepter une contractualisation dissimulant un renforcement de la discipline. Permettez-moi de répondre à la question de François Marc sur les modalités de contractualisation et d'alimentation du budget de la zone euro. Il est, selon moi, tout à fait normal que des pays veuillent contractualiser pour conduire les réformes structurelles qu’ils estiment nécessaires pour l’économie de leur pays. La contractualisation, en effet, leur permettra de bénéficier d’un concours.

En revanche, il n’est pas normal que cette contractualisation soit imposée aux pays en déficit excessif, comme le propose la Commission au travers de son blueprint, ou qu’elle soit réservée, dans une logique extrêmement contraignante, à l’accompagnement des réformes structurelles, sans servir à aucun moment à la mise en œuvre de véritables politiques d'investissement et de croissance.

Si nous n’étions pas capables de faire de la contractualisation un outil global, nous raterions le coche ! À terme, l'Union européenne ne serait alors perçue que comme une maison de redressement. Au contraire, nous avons également besoin de solidarité et de croissance.

Nous ne sommes pas contre la contractualisation et nous ne contestons pas qu'elle puisse permettre d'accompagner des réformes structurelles, mais nous la concevons, monsieur le rapporteur général, comme un contrat liant les États entre eux et les États à la Commission. Puisque ce processus engage les parties concernées, il doit faire l'objet d'évaluations permanentes.

Dans le même temps, il n’est pas question de traiter l'un des aspects de la convergence des politiques économiques en oubliant les autres. S'il doit y avoir contractualisation, elle doit aussi porter sur les réformes structurelles, la croissance, la compétitivité et l'emploi.

Si, dans ce cadre, un budget de la zone euro est prévu, il doit être abondé par des ressources propres témoignant de l'engagement de la zone euro de se doter d'un outil pour mener à terme des politiques contracycliques. Ce budget, destiné à cette seule zone, ne peut donc pas être alimenté par ceux qui n'y appartiennent pas. En concevant le modèle de cette manière, tout ce que nous entreprendrions pour améliorer la gouvernance et l’efficacité de la zone euro se ferait au détriment du marché intérieur des Vingt-sept. Il est très important, par conséquent, de bien réfléchir à la manière dont le budget de la zone euro sera organisé.

Pour ma part, je suis très favorable à l'amélioration de la gouvernance de la zone euro et à la mise en place d’outils de coordination et d'intégration pour renforcer son efficience. C'est dans l'intérêt du marché intérieur. On voit bien à quelles difficultés celui-ci est soumis lorsqu’une crise économique touche la zone euro. Si l'amélioration de la gouvernance de cette zone conduit à casser le marché intérieur en deux, nous perdrons en dynamique de croissance dans le marché intérieur ce que nous gagnerons en amélioration de la gouvernance de la zone euro. Il faut donc trouver une articulation intelligente entre ces deux aspects.

C'est précisément parce que toutes ces propositions appellent des expertises techniques poussées et une réflexion collective aboutie que, hormis ce qui concerne l'Union bancaire, le Conseil européen n’abordera vraisemblablement que des questions de méthode s’agissant de l'avenir de l'Union économique et monétaire. Le sujet n'est pas mûr et il nécessite, je le répète, une réflexion plus approfondie pour définir les modalités de la contractualisation, l'alimentation d'un budget de la zone euro et les conditions d’accompagnement des politiques contracycliques. Toutes ces questions vont conduire l’Union européenne à nourrir sa réflexion au moins jusqu'aux prochaines élections européennes, voire même au-delà.

Je terminerai mon propos en abordant la question de l'Union bancaire. Plusieurs orateurs, notamment Mme Morin-Desailly, m’ont interrogé sur ce qu’il restait à faire et sur les modalités d’organisation des étapes suivantes.

Je le rappelle, en juin dernier, nous avons décidé du principe d’une supervision bancaire et nous avons subordonné la recapitalisation des banques à la mise en œuvre de celle-ci. C’est le premier volet de l'union bancaire, qui en appelle deux autres : un système de résolution des crises bancaires et un dispositif de garantie des dépôts. Au mois d'octobre, nous avons approfondi la question en définissant le périmètre et le calendrier de la supervision bancaire.

S’agissant du périmètre, toutes les banques sont visées. Quant au calendrier, il est le suivant : au premier semestre de 2013, la supervision des banques des pays bénéficiant d'une assistance sera mise en place ; au second semestre, ce sera le cas pour les banques systémiques ; enfin, au 1er janvier 2014, toutes les banques seront supervisées. Ce dispositif est le fruit d’un compromis avec l'Allemagne. Nous avons obtenu, comme nous le souhaitions, que toutes les banques soient concernées, ce que ne voulait pas l’Allemagne ; à l’inverse, comme elle le désirait, la supervision bancaire sera pleinement effective le 1er janvier 2014, alors que nous aurions préféré une date plus rapprochée.

Ainsi, la concession de l'Allemagne a porté sur le domaine d’intervention et celle de la France sur le calendrier. Voilà comment l'on bâtit des compromis. L'Allemagne a gagné en temps ce que nous avons obtenu en termes de périmètre ! J’estime que nous avons trouvé là une façon intelligente d’équilibrer les choses.

Il nous reste maintenant un dernier sujet à traiter : il s’agit des modalités d’organisation permettant à la Banque centrale européenne de mettre en œuvre la supervision bancaire. À lui seul, le superviseur unique ne peut superviser immédiatement 6 000 banques. Par conséquent, comment articuler sa supervision avec celle des banques centrales pour faire en sorte que, au final, il puisse superviser toutes les banques ?

L'articulation sera vraisemblablement trouvée avec un partage entre la Banque centrale européenne et les banques centrales des États. Un pouvoir d'évocation de la supervision de toutes les banques devrait cependant être donné à la Banque centrale européenne, ce qui donnera force à la supervision unique intégrée.

Voilà les réponses précises que je souhaitais apporter aux différents intervenants. Je tiens à remercier les orateurs, toutes tendances politiques confondues, pour la qualité de leurs interventions.

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