Monsieur le sénateur, votre question est très importante, puisqu’elle pose à nouveau le problème, que nous avons tous à l’esprit, de l’équilibre à trouver entre le redressement des comptes publics et la croissance.
Si le redressement des comptes publics s’inscrit dans une logique exclusivement « austéritaire », l’austérité appelant l’austérité, la volonté de redresser les comptes publics conduira à une aggravation des déséquilibres de ces comptes et à une austérité plus grande encore. Elle provoquera surtout un divorce progressif entre les peuples et le projet européen, parce que les peuples paient la facture de l’austérité, c’est-à-dire la facture de la finance devenue démente, dont ils ne sont pas responsables. Une crise politique s’ajoutera alors à la crise économique et sociale.
Nous assisterons aussi à un triple phénomène qui commence à apparaître en Europe et constitue un sujet d’inquiétude profond pour tous ceux qui sont résolument européens.
Tout d’abord, le retour des nationalismes. Il n’est pas encore aussi manifeste qu’il l’a été avant que le projet européen existe et nous rassemble, mais nous voyons au moins poindre un des prolégomènes du nationalisme, l’égoïsme national – l’exercice budgétaire dans lequel nous sommes engagés collectivement nous en a donné quelques exemples.
Ensuite, une forme de séparatisme, que l’on voit poindre en Belgique, en Espagne, dans un certain nombre de pays où les difficultés économiques conduisent à des manifestations d’autonomisme qui posent question.
Enfin, le populisme, qui gagne, prospérant non pas sur le terreau de l’euroscepticisme, mais sur celui de l’eurohostilité, conjuguée à l’éloignement des valeurs démocratiques que défend l’Europe comme le creuset de son identité. Tout cela est préoccupant.
Il faut donc essayer de rééquilibrer les politiques de rigueur par des ambitions de croissance. Comment le faire ? Plusieurs pistes sont envisageables.
Premièrement, il convient de remettre en ordre la finance et, dès lors que celle-ci est remise en ordre, de faire en sorte que les fonds de solidarité puissent contribuer à recapitaliser les banques, parce que tout ce que les États paient sur les marchés pour recapitaliser leurs banques est répercuté sur les peuples. Casser le lien entre dettes souveraines et dettes bancaires est une manière d’épargner aux peuples une austérité à venir : il faut donc le faire !
Deuxièmement, les pays qui ne connaissent pas la difficulté du redressement doivent procéder, chez eux, à des relances économiques dont l’Europe, dans son ensemble, bénéficiera : c’est aussi cela, la solidarité européenne. Je ne dirai pas quels pays doivent agir ainsi, ni dans quelles proportions, car je risquerais de susciter des agacements, mais il faut aussi le faire !
Troisièmement, il faut également mettre en place des politiques de financement des investissements structurants dont l’Europe a besoin pour restaurer sa compétitivité, et le faire de manière contractuelle. L’extension du périmètre de la contractualisation peut nous aider à sortir des logiques récessives. Si nous menions le raisonnement à son terme, nous pourrions considérer que les investissements structurants que nous décidons de contractualiser entre États, avec la Commission, pour assurer notre compétitivité durable dans les domaines de l’énergie, des transports, de la numérisation des territoires, pourraient être déduits du déficit structurel. Le TSCG le permet, puisqu’il introduit précisément cette notion de déficit structurel.
Si nous parvenions à atteindre l’ensemble de ces objectifs, nous articulerions de façon équilibrée rétablissement des comptes et initiatives de croissance, répondant ainsi, monsieur le sénateur, à la préoccupation que vous avez formulée et que le gouvernement français partage également, rassurez-vous !