Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le collectif budgétaire de fin d’année civile dont nous entamons la discussion revêtait un aspect relativement anodin lors de sa présentation initiale : il s’agissait d’enregistrer un constat, celui de l’exécution du budget de 2012. Peu de sujets étaient donc susceptibles de susciter des divergences ou des controverses.
La première partie se limitait aux ajustements terminaux des prélèvements sur recettes de l’État en direction des collectivités territoriales.
Dans la seconde partie, une importante série de propositions destinées à lutter contre la fraude fiscale pouvait recueillir l’assentiment de la majorité, dans la mesure où l’excellent travail de la commission d’enquête constituée sur l’initiative de notre groupe, et dont le rapport a été adopté à l’unanimité, commençait à être pris en compte.
Toutefois, l’introduction de plus de cinquante amendements d’origine gouvernementale qui inscrivent dans ce projet de loi une partie des recommandations du rapport Gallois, intitulée par le Gouvernement Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, a changé la nature du texte que nous devons examiner.
Plusieurs mesures sont proposées : l’instauration d’un crédit d’impôt de 20 milliards d’euros, fondé sur la prise en compte de la masse salariale des entreprises, une hausse du taux réduit et du taux normal de la TVA, ainsi qu’un taux réduit au plancher « européen », le tout pour permettre aux entreprises de financer, comme le dispose l’article 24 bis du collectif, leurs « efforts en matière d’investissement, de recherche, d’innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés et de reconstitution de leur fonds de roulement ».
Quelle incidence ce dispositif aura-t-il sur le débat parlementaire relatif aux deux ou trois prochaines lois de finances ? Le rapporteur général a tenté de nous l’expliquer en commission des finances.
On pouvait lire dans la loi de programmation des finances publiques : « L’effort en recette est égal à l’impact estimé des mesures fiscales et sociales nouvelles sur les prélèvements obligatoires affectées aux administrations centrales. Il est concentré en 2013 en début de période pour contribuer au retour du déficit sous 3 %. En 2016 et 2017, l’effort en recette serait négatif, reflet des baisses de prélèvements obligatoires. » Or nous constatons aujourd’hui qu’une part de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu concernant les revenus d’activité non salariée sera remplacée par un produit de TVA. La nouveauté consiste à privilégier la fiscalité indirecte, en lieu et place de la fiscalité directe. Ce choix est contradictoire avec la justice fiscale et sociale !
Vous proposez de mettre en place un crédit d’impôt, en vue de dégager 20 milliards d’euros pour les entreprises. Nous relevons au passage que le MEDEF, par la voix de Laurence Parisot, a manifesté une certaine insatisfaction, souhaitant qu’on aille plus loin, jusqu’à 50 milliards d’euros, afin de créer un « choc de compétitivité ».
Ces 20 milliards d’euros représentent pourtant un bon tiers du déficit budgétaire prévu dans le projet de loi de finances pour 2013, et plus que les crédits ouverts pour la plupart des missions budgétaires. Il me semble que seuls les crédits de la défense, de l’enseignement ou de la mission « Remboursements et dégrèvements » dépassent ce montant. Cela équivaut pratiquement à la charge financière de la ristourne dégressive sur les bas salaires, mais représente seulement 1 % du produit intérieur brut marchand.
Pour gagner en compétitivité, nous dit-on, il faut que les entreprises reconstituent leurs marges.
Certes, la marge opérationnelle de nos entreprises baisse. Nous observons néanmoins que, selon le rapport sur les comptes de la nation de 2011, les sociétés présentent un taux de marge de 28, 6 %, soit 287 milliards d’euros. En 1985, première année où fut enregistrée une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, ce taux était de 26, 4 %.
Je ne me souviens plus du nombre exact de chômeurs à la fin de 1985, mais je ne crois pas qu’il atteignait 3, 5 millions. Il est vrai que, depuis quelque temps, les entreprises s’étaient habituées à atteindre les 30 % de marge ; il est donc normal que cette diminution les préoccupe. Est-ce la faute aux salaires et aux cotisations sociales ?
En 1982, salaires et traitements bruts mobilisaient 55, 5 % de la valeur ajoutée produite et les cotisations sociales en retenaient 19, 4 %. En 2000, après la mise en œuvre de la loi sur les 35 heures, si souvent critiquée dans cet hémicycle, la part des salaires est passée à 48, 5 % de la valeur ajoutée et celle des cotisations sociales à 16, 5 %. En dix-huit ans, nous avons donc vu le bloc « salaires et cotisations » passer de 74, 9 % de la valeur ajoutée produite par le travail à 65 %.
En 2011, les salaires sont légèrement remontés, atteignant 51, 1 % de la valeur ajoutée, et les cotisations sociales 16, 6 %, soit en tout 67, 7 %.
Malgré une hausse relative des coûts salariaux, sur laquelle doivent sans doute s’interroger les smicards de notre pays, la part de la valeur ajoutée préemptée par les salaires et les cotisations sociales demeure donc plus faible qu’il y a trente ans.
Regardons maintenant les dividendes et revenus de la propriété.
En 1982, les sociétés distribuaient 16, 5 % de la valeur ajoutée pour de tels revenus. En 2000, ce taux atteignait 24, 8 %. En 2011, il s’est établi à 31, 7 %. Ainsi, le montant des dividendes et revenus distribués dépasse, précisément depuis l’an 2000, celui des cotisations sociales. Aujourd’hui, le volume des prélèvements pour versement des dividendes et des intérêts est largement supérieur à l’excédent brut d’exploitation, ce qui signifie que la financiarisation de l’économie est désormais maximale.
Il est rarement fait état de ces observations dans les analyses de la situation économique.
Par ailleurs, la valeur de la production intérieure au prix de marché est quasiment stable depuis 2008, avec une hausse de 1, 4 % entre 2008 et 2011, mais la part de la valeur ajoutée stagne autour de 39, 5 % de cette production.
Nous ne croyons donc aucunement qu’il soit nécessaire de recourir au crédit d’impôt pour venir au secours des entreprises et les rendre plus compétitives.