Intervention de Alain Vidalies

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 18 décembre 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Vidalies ministre délégué auprès du premier ministre chargé des relations avec le parlement et de M. Serge Lasvignes secrétaire général du gouvernement

Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement :

Le contrôle de l'application des lois est un sujet auquel le Sénat est particulièrement attentif, et la création de votre commission est une innovation que je tiens à saluer.

Dans les régimes parlementaires européens, le contrôle du Gouvernement est, avec l'exercice du pouvoir législatif, l'une des deux fonctions essentielles des assemblées. Le contrôle de l'application des lois y apparaît comme un prolongement naturel de l'activité législative. Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité un amendement de François Cornut-Gentille et Christian Eckert renforçant le pouvoir du contrôle du Parlement dans le cadre de la modernisation de l'action publique. Au Royaume-Uni, pays pionnier en la matière, le gouvernement a l'obligation de dresser un bilan de l'application effective des lois, sous le contrôle d'une commission mixte et paritaire, généralement présidée par un parlementaire de l'opposition.

A mon arrivée au ministère des Relations avec le Parlement, j'ai souhaité m'emparer de cette question et la traiter politiquement : en accord avec le cabinet du Premier ministre, nous avons constitué un Comité interministériel de l'application des lois (CIAL) que j'ai l'honneur de présider avec Serge Lasvignes. Mon parcours à l'Assemblée nationale m'avait montré l'importance de ce thème dans les relations entre les parlementaires et le Gouvernement ; en outre j'ai, comme la plupart d'entre vous, l'expérience d'un élu de terrain ; enfin, j'ai été convaincu de la pertinence de cette initiative en tant que professionnel du droit : ancien avocat, je connais les contraintes de l'action publique. En maintes occasions, j'ai pu vérifier que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires », et quoi de plus inutile qu'une loi inutilisée ? Le Gouvernement en a pleinement conscience. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a regretté ces « lois bâclées qui ne sont jamais appliquées ». Pour autant, l'exigence de changement n'implique pas l'adoption en cascade de textes mal rédigés et mal évalués. On ne combat pas l'inertie par l'agitation, surtout en matière législative.

Quelques précisions sur la prolixité du législateur. Contrairement à une idée reçue, il ne vote pas plus de lois que par le passé : une cinquantaine par an. En revanche, les nouvelles lois sont de plus en plus longues : elles comptaient 20 articles en moyenne dans les années 1990, le double depuis une décennie. Paradoxalement, elles ne sont pas plus précises, et ne limitent pas davantage la marge du Gouvernement dans l'exercice de son pouvoir d'application ou celle du juge dans l'exercice de son pouvoir d'interprétation.

Nous pourrions aussi évoquer la prolixité du législateur européen. Le Gouvernement s'est engagé à poursuivre l'intégration des systèmes normatifs, tout en restant attaché au principe de subsidiarité, et il est toujours bon de s'interroger sur le niveau pertinent d'édiction des normes. Le ministère des Affaires européennes, comme le secrétariat général du Gouvernement, mène avec le secrétariat général des affaires européennes une démarche parallèle à la nôtre, sur la transposition des directives. La France est en effet l'un des pays les plus en retard dans la transposition des textes européens, ce qui nous contraint à des transpositions massives par voie d'ordonnance. Des exercices intéressants ont été menés, lors de l'adoption récente de la loi DADUE (diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière).

La modernisation de l'action publique est essentielle à la construction d'un nouveau modèle français alliant solidarité et compétitivité, dans le respect de nos engagements en matière de finances publiques. Notre ambition est de bâtir l'action publique plus juste, plus efficace et plus simple dont la France a besoin. Ce matin, lors de la première réunion du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap), le Premier ministre a arrêté des mesures concrètes de simplification des normes et des démarches administratives. Leur mise en oeuvre sera effective dès le début de l'année 2013. Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault a initié une nouvelle méthode d'élaboration des politiques publiques et des textes législatifs, qu'ont illustrée par exemple la conférence sociale ou, à propos de la récidive pénale, la conférence de consensus.

Rien ne justifie le retard accumulé dans la mise en application des dispositions votées par le Parlement. Faire en sorte que la loi s'applique rapidement est une exigence démocratique. L'ignorer minerait la fiabilité et l'efficacité du Gouvernement, ainsi que le respect dû à la représentation nationale. Le Président de la République et le Premier ministre l'ont rappelé : le travail gouvernemental doit respecter votre pouvoir de contrôle de l'action du gouvernement. Le souci légitime de sécurité juridique impose que le délai inévitable entre l'adoption d'une loi et sa traduction réglementaire demeure limité. Dans l'intervalle, déterminer le droit applicable est un exercice incertain : il est en effet délicat de distinguer les dispositions suffisamment précises pour être applicables par elles-mêmes, de celles qui nécessitent des mesures réglementaires.

Le CIAL a vocation à réduire cette incertitude. Il est composé de représentants des cabinets ministériels et de l'ensemble des correspondants ministériels chargés de l'application des lois. Une circulaire interministérielle précise que toutes les mesures nécessaires à l'application d'une loi doivent être prises dans les six mois suivant sa publication. L'objectif est maintenu, et il sera respecté. A cette fin, le CIAL se réunit en deux formations. Le comité plénier, d'abord, coprésidé par le ministre et le Secrétaire général du Gouvernement, et composé des membres des cabinets ministériels et de l'ensemble des correspondants ministériels, se réunit trois à quatre fois par an - il a tenu ses premières réunions les 26 juillet et 19 novembre derniers - et fournit à l'ensemble des acteurs le moyen d'échanger sur d'éventuels blocages politiques ou retards avérés. Ensuite le comité opérationnel, sous l'autorité du Secrétaire général du Gouvernement, assure le suivi technique des décisions du comité plénier.

Pour ce qui concerne les statistiques d'application des lois, nous devons d'abord tenir compte des mesures à l'entrée en vigueur différée : 66 mesures entreront en vigueur en 2013, dont 37 au 1er janvier et 28 en septembre. Elles concernent essentiellement le ministère de l'Intérieur et celui de l'Ecologie. Le Sénat a été fortement mobilisé à ce propos, notamment avec l'adoption de la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur relative aux juridictions de proximité.

Par ailleurs, le Gouvernement n'entendant pas prendre les décrets d'application de certains dispositifs, une loi d'abrogation des lois, suivant une formule empruntée au droit nord-américain, pourra être envisagée le moment venu. Cette préoccupation fait écho à la décision n° 16 du Cimap, relative à la limitation de l'inflation normative, selon laquelle toute création de normes nouvelles doit s'accompagner de l'abrogation d'un volume de normes équivalent.

Le taux d'application des lois de la treizième législature, avoisine les 89 %. J'ai pris connaissance avec satisfaction des éléments d'appréciation de votre rapport sur la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle. Il est encore trop tôt pour évaluer l'application des lois sous la présente législature. Les premières lois, comme celle relative aux emplois d'avenir par exemple, trouveront toutefois une application rapide. Plus du tiers de ses décrets d'application est déjà entré en vigueur. Nous visons l'objectif de 100 % ; nous serons comptables des efforts effectués pour l'atteindre, et en tiendrons le Parlement régulièrement informé. La quatorzième législature enregistre pour l'heure un taux de 38 % d'application des lois, un chiffre purement indicatif puisque le délai de référence des six mois est à peine entamé.

Le CIAL a dégagé, en même temps que des pistes de réflexion, des éléments d'échange et de débat avec le Parlement. Tout d'abord, la gestion des procédures de rédaction puis de parution des décrets et des circulaires n'est pas le point fort des ministères, malgré l'action déterminante du secrétariat général du Gouvernement : l'aiguillon politique manque souvent. Pour les responsables politiques, l'adoption d'un texte compte davantage que son application pleine et entière. Les consultations posent en outre de nombreux problèmes : elles sont multiples, et leur intérêt n'est pas toujours clair. Un grand travail d'identification a été conduit, et des décisions prises, sur la base desquelles nous pourrons débattre, car il ne s'agit pas seulement d'assurer le service après vote. A titre prospectif, je trouverais utile, par exemple, d'engager une réflexion sur la formation des fonctionnaires d'État qui participent à la rédaction des textes d'application : tout autant que l'accélération des procédures de contreseing, j'y vois une piste d'amélioration de la qualité et de la célérité des entrées en vigueur.

Nous sommes les interlocuteurs naturels de votre commission et nous prendrons connaissance avec intérêt de votre prochain rapport annuel sur l'application des lois. La séance plénière du CIAL du mois de mai fournira l'occasion de dresser un premier bilan de la première année de la législature. Je souhaite que notre collaboration soit la plus fructueuse possible, au service de l'efficacité de la loi et de l'intérêt de nos concitoyens.

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