Intervention de Catherine Troendle

Réunion du 22 décembre 2004 à 10h15
Maîtres des établissements d'enseignement privés sous contrat — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Catherine TroendleCatherine Troendle, rapporteur de la commission des affaires culturelles :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui est aujourd'hui soumis à l'examen du Sénat est le fruit d'une initiative parlementaire qui a reçu un très large soutien.

En effet, ces derniers mois, deux propositions de loi visant à « améliorer les retraites des maîtres du privé » ont été déposées en termes identiques à l'Assemblée nationale et au Sénat, l'une par notre collègue Hubert Haenel, l'autre, cosignée par près de trois cents députés, par Yves Censi.

Cette dernière, sensiblement enrichie par rapport à sa rédaction initiale, a été adoptée le 8 décembre dernier à l'Assemblée nationale, sans opposition, à l'unanimité des députés présents en séance, sous réserve de trois abstentions.

Ce large consensus se justifie, d'abord, sur le fond. Ce texte répond, en effet, à des attentes fortes et légitimes de l'ensemble des personnels enseignants des établissements privés sous contrat. Il permet enfin de résoudre deux problèmes laissés bien trop souvent sans réponse, d'une part, en clarifiant le statut ambigu des maîtres contractuels des établissements privés et, d'autre part, en assurant un rapprochement des pensions de retraite qu'ils perçoivent par rapport à celles des enseignants du public, pour des carrières comparables et des services identiques.

Ensuite, la méthode retenue consolide et prolonge ce consensus. En effet, la proposition de loi s'inscrit dans le cadre d'une réforme plus large, dans laquelle le dialogue social et l'esprit de concertation avec l'ensemble des partenaires prennent toute leur place.

Ces négociations ont déjà abouti, dans un premier temps, à la signature, le 21 octobre dernier, par les quatre organisations syndicales représentatives des enseignants du privé, d'un relevé de conclusions fixant les grandes orientations retenues. Elles se prolongeront par la mise en place d'un groupe de travail chargé de suivre la mise en oeuvre de la réforme.

On soulignera que, si ces initiatives parlementaires ont contribué à accélérer ce processus, elles n'auraient toutefois pu aboutir sans le soutien et l'engagement du ministère. En effet, pour des raisons de recevabilité financière, la création d'un régime additionnel financé en partie par l'État et destiné à verser un supplément de retraite aux maîtres a été réintroduite dans le texte par un amendement du Gouvernement.

Au final, la présente proposition de loi constitue, comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, un dispositif juste et équilibré. Elle prolonge l'édifice législatif issu de la loi Debré de 1959, complétée par la loi Guermeur de 1977, et, pour l'enseignement agricole, de la loi Rocard de 1984.

Je vous rappelle que sont concernés plus de 140 000 maîtres des établissements privés sous contrat relevant de l'éducation nationale, ainsi que plus de 5 000 maîtres des établissements privés d'enseignement agricole.

La première avancée concerne le statut de ces maîtres contractuels.

Tout conduit à leur reconnaître le statut d'agent public de l'Etat. Celui-ci recrute et rémunère les maîtres contractuels dans les mêmes conditions que les enseignants titulaires du public et en leur appliquant les mêmes grilles indiciaires. Ces maîtres participent au service public d'éducation, en remplissant les mêmes services. En effet, aux termes de la loi Debré, ils dispensent l'enseignement « selon les règles et programmes de l'enseignement public ».

L'ambiguïté qu'il s'agit aujourd'hui de dissiper est née de l'interprétation de la Cour de cassation. Celle-ci considère, en effet, dans une jurisprudence constante, que les maîtres contractuels sont liés à leur établissement par un contrat de travail.

Ainsi, deux contrats se superposent, l'un de droit public avec l'Etat, l'autre de droit privé avec l'établissement.

Cette situation de dualité juridique, instable, conduit à brouiller les responsabilités.

Elle a attisé un contentieux important devant les conseils de prud'hommes, qui considèrent les établissements comme des employeurs de droit privé, au motif que le maître « se trouve placé sous la subordination et l'autorité du chef d'établissement qui le dirige et le contrôle ».

D'un côté, ces interprétations tendent à minimiser la portée du contrat passé entre le maître et l'Etat, lequel est leur véritable employeur. De l'autre, elles ont pour conséquence d'imposer des charges financières de plus en plus lourdes aux établissements, et donc aux familles.

En application de la législation du travail, il leur revient notamment de verser aux enseignants une indemnité de départ en retraite, ou de payer une indemnité de rupture de contrat aux maîtres suppléants dont les services ne sont pas renouvelés l'année suivante.

C'est pourquoi la proposition de loi apporte une clarification nécessaire. Elle ne marque aucune rupture avec l'édifice législatif existant.

Ainsi, elle ne fait que reconnaître la « qualité d'agent public » des maîtres, déjà explicitée par le Conseil d'Etat. De surcroît, elle vise à mettre un terme aux interprétations audacieuses du juge, en indiquant que le contrat d'enseignement passé avec l'Etat n'est pas un contrat de travail.

Dans un équilibre subtil, en totale adéquation avec l'esprit de la loi Debré, ces dispositions réaffirment la prééminence du lien qui rattache les maîtres à l'Etat, sans pour autant remettre en cause ce qui fait la force et la spécificité des établissements privés, à savoir le caractère propre des établissements - principe qui a été consacré par le Conseil constitutionnel -, la liberté de conscience des maîtres et, enfin, l'autorité du chef d'établissement chargé d'organiser leur service.

En outre, il est apparu fondamental à notre commission que l'exercice des droits syndicaux et sociaux dont bénéficient actuellement les maîtres soit maintenu et sécurisé, en réponse aux préoccupations légitimes de ces enseignants.

En effet, les sortir du droit du travail reviendrait à les exclure de la participation aux instances de représentation du personnel mises en place dans les établissements privés, auxquelles participent les autres personnels non enseignants. L'amendement adopté à l'Assemblée nationale permet de maintenir l'unité de cette communauté éducative de travail.

A cet égard, il est important, pour garantir un financement suffisant des activités sociales du comité d'entreprise, que la rémunération des maîtres reste prise en compte dans la masse salariale servant de base au calcul de la contribution versée par les établissements. Vous l'avez relevé à juste titre, monsieur le ministre.

Toutefois, il semble important à notre commission de souligner que le bon sens doit continuer de prévaloir pour que cette disposition n'induise pas de nouvelles charges injustifiées pour les établissements. Ces derniers nous ont fait part, en effet, de quelques inquiétudes, dans la mesure où les besoins de fonctionnement des comités d'entreprise sont faibles.

Un amendement déposé par le groupe de l'Union centriste soulèvera de nouveau cette question au cours du débat, sans apporter, selon notre commission, une réponse satisfaisante. Néanmoins, vous pourrez nous fournir à cette occasion, monsieur le ministre, des éclairages supplémentaires sur ce point.

Par ailleurs, nous souhaitons que le décret précisant les « garanties d'emploi » dont bénéficieront les lauréats de concours se destinant à enseigner dans les établissements agricoles privés prenne en compte la nécessité pour les chefs d'établissement de bénéficier de marges de souplesse. Ils doivent pouvoir s'adapter, en effet, à des demandes de formation en constante évolution, dans ces filières profondément ancrées dans le tissu économique local.

J'en viens à la seconde avancée que consacre la proposition de loi.

En assurant, après tant d'années, une harmonisation des niveaux de pensions par la création d'un régime public additionnel de retraite, elle répond - la commission tient à le saluer - à un objectif d'équité sociale.

Voilà plus de vingt-cinq ans, la loi Guermeur a affirmé le principe de parité entre les maîtres du privé et les enseignants du public, cela en matière de rémunération, de formation, de déroulement de carrière et de conditions de cessation d'activité. Toutefois, cette logique de convergence n'a pas concerné le niveau des prestations de retraite perçues : l'écart est actuellement de l'ordre de 20 % pour des carrières et des conditions de services identiques ; à terme, il devrait se stabiliser à 10 %.

Certes, la proposition de loi ne lève pas toutes les différences. Les maîtres du privé resteront affiliés au régime général de sécurité sociale et aux deux régimes complémentaires que sont l'ARRCO et l'AGIRC. Les cotisations dont ils s'acquittent sont plus élevées que celles des enseignants du public, qui relèvent du régime spécial des fonctionnaires.

Toutefois, l'affiliation à l'AGIRC leur permet de bénéficier d'une couverture de prévoyance supplémentaire par rapport à celle qui est servie par l'Etat ; elle ne doit pas être remise en cause, mais vous venez, monsieur le ministre, de nous apporter des assurances sur ce point. Ces avantages sont importants, puisque les maîtres du privé ne peuvent pas bénéficier, en cas de longue invalidité, des mêmes conditions de reclassement que les fonctionnaires. Des négociations seront ouvertes avec l'ensemble des partenaires concernés, conformément au souhait des représentants des établissements privés.

Cet esprit de dialogue social anime l'ensemble du texte.

Le principe de la création d'un régime additionnel de retraite, financé à parité par l'Etat et les personnels, a été acté au relevé de conclusions signé par l'ensemble des organisations syndicales, le 21 octobre dernier.

Il a été retenu un rythme de montée en charge progressive du régime permettant d'assurer une compensation qui sera de 5 % à compter du 1er septembre 2005 et qui atteindra, à terme, 10 %, avec une progression de un point par palier de cinq ans.

En parallèle, un amendement adopté à l'Assemblée nationale prévoit le maintien transitoire et dégressif du versement par les établissements de l'indemnité de départ en retraite, l'IDR. Cela constitue un compromis satisfaisant, qui permet de rétablir une situation de plus grande équité à l'égard des maîtres partant à la retraite dans les cinq prochaines années.

Ainsi, en marquant un pas supplémentaire dans la logique du traitement social équitable, cette proposition de loi redonne toute sa portée au principe constitutionnel de liberté d'enseignement. Le temps était venu pour l'Etat de réaffirmer ainsi sa responsabilité à l'égard de ceux qui font le choix d'enseigner dans les classes sous contrat.

Nous serons bien sûr attentifs, monsieur le ministre, au déroulement des négociations qui se poursuivront après l'entrée en vigueur de cette loi, notamment pour déterminer les modalités concrètes de mise en oeuvre de la réforme.

En conclusion, je vous indique que la commission des affaires culturelles, convaincue que ce texte très attendu apporte une réponse juste et équilibrée à un double problème, ne s'est pas démarquée de l'esprit de consensus qui a prévalu jusqu'à présent, en proposant l'adoption conforme de la présente proposition de loi.

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