Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de la discussion d’un projet de loi qui répond à deux urgences : d’une part, mettre en conformité notre législation avec la jurisprudence française et européenne en matière de retenue des étrangers ; d’autre part, mettre notre législation en harmonie avec le principe du respect de la dignité de chacun en supprimant le délit de solidarité.
Confirmant une série de décisions judiciaires qui annonçaient ce verdict, la Cour de cassation, le 5 juillet 2012, a signifié qu’il n’était plus possible de placer en garde à vue un étranger sur le seul fondement de son séjour irrégulier. La Cour précise qu’un séjour irrégulier ne peut plus être puni d’une peine de prison.
Dès lors qu’il apparaissait que les quatre heures prévues pour une vérification d’identité classique pouvaient ne pas suffire pour effectuer l’ensemble des diligences nécessaires dans un tel contexte et que la garde à vue ne pouvait plus constituer une solution, il fallait mettre en place un système de retenue présentant toutes les garanties possibles pour la personne soumise à vérification administrative.
Une retenue de seize heures maximum est créée, durée pendant laquelle l’officier de police judiciaire peut procéder aux contrôles nécessaires.
Dès le début de la procédure, le procureur de la République est informé.
La personne dont la situation fait l’objet de vérifications peut demander l’assistance d’un interprète, d’un avocat, d’un médecin et peut prévenir les personnes de son choix.
Lors du débat parlementaire, nous avons été nombreux, monsieur le ministre, à comprendre la nécessité de cette durée de seize heures dans certains cas, tout en soulignant qu’elle ne devait pas devenir la norme, car le temps nécessaire moyen pour la vérification du droit au séjour devrait être bien inférieur.
À l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, nous constatons que les débats au Sénat puis à l’Assemblée nationale ont permis d’améliorer les droits et garanties des personnes retenues.
En outre, le champ des immunités au regard du délit institué par l’article L. 622-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile a été étendu, ce qui revient de facto à la suppression du délit de solidarité.
Nous avons d’ailleurs veillé à prendre scrupuleusement en compte les observations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en élargissant de manière significative les garanties offertes aux personnes retenues et pour les conditions de vérification des titres de séjour.
Certaines interrogations, par exemple sur le moyen d’éviter tout risque de contrôle au faciès ou sur les conditions requises pour établir un délit de maintien sur le territoire, ont trouvé des réponses plus affinées à la suite des lectures au Sénat puis à l’Assemblée nationale.
La commission mixte paritaire a constaté les avancées réalisées et est ainsi rapidement parvenue à un accord.
Je souhaiterais cependant revenir sur un point qui a fait l’objet d’un important débat en séance au Sénat et sur lequel nous resterons vigilants.
Selon l’étude d’impact, les fichiers qui pourront être consultés sont l’AGDREF, l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, et la base de données Eurodac, ce qui ne pose aucun problème, s’agissant d’une procédure administrative.
Toutefois, il est ajouté dans l’étude d’impact que le FAED, le fichier automatisé des empreintes digitales, pourra également être consulté, alors qu’il s’agit d’un fichier judiciaire.
Le décret de 1987 prévoit clairement que ce fichier ne peut être consulté que par les personnes habilitées et sous réserve, évidemment que l’on soit dans une procédure judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence puisqu’il s’agit d’une procédure administrative. Selon l’interprétation que nous en faisons, cette disposition ne permet pas la consultation du FAED sans modification des textes de référence.
Nous le savons bien, l’article L. 611-4 du CESEDA prévoit qu’ « en vue de l’identification d’un étranger qui n’a pas justifié des pièces ou documents visés à l’article L. 611-1 ou qui n’a pas présenté à l’autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l’exécution de l’une des mesures mentionnées au premier alinéa de l’article L. 624-1 ou qui, à défaut de ceux-ci, n’a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution, les données des fichiers automatisés des empreintes digitales gérés par le ministère de l’intérieur peuvent être consultées par les agents expressément habilités des services du ministère de l’intérieur ».
Ces dispositions législatives semblent autoriser la consultation du fichier automatisé d’empreintes digitales dans un cadre administratif, et pas seulement judiciaire, par des agents spécialement habilités, pour identifier un étranger qui n’a pas justifié de son droit au séjour mais pas pour vérifier son droit au séjour, qui est bien, lui, l’objet de cet article 2.
Rendre possible l’accès au FAED dans le cadre de la retenue change la nature de cette mesure et pose un problème juridique. En effet, le décret prévoyant l’accès au fichier, qui a été soumis à l’avis de la CNIL, ne permet pas en l’état un tel élargissement des possibilités d’accès. Deux délibérations de la CNIL ont expressément rappelé cette restriction. Il faut donc modifier le décret.
Par conséquent, à la suite du débat que nous avons eu lors de la lecture au Sénat au début du mois de novembre, nous attendons qu’un nouveau décret d’application soit prochainement publié par le ministre de l’intérieur, comme cela a été évoqué le 8 novembre dernier.
La suppression du délit de solidarité est un point extrêmement positif de ce projet de loi, tant les dispositions précédentes piétinaient la fraternité, pourtant l’une de nos valeurs. La rédaction de l’article 8, qui traite de cette question, a été affinée et rendue plus fluide. Seront ainsi protégées les personnes qui, au nom de la solidarité, aident les étrangers en situation irrégulière qui en ont besoin, tout en préservant la possibilité de poursuivre et de condamner les filières organisées d’immigration irrégulière.
Ce projet de loi démontre la volonté du Gouvernement d’être ferme sur l’immigration irrégulière, en redéfinissant des outils dont l’efficacité s’était comme effilochée au fil des ans. Les récentes circulaires sur la naturalisation et sur la régularisation des étrangers, comme sur la suppression du délit de solidarité, témoignent donc d’une nouvelle manière d’aborder les questions d’immigration, alliant fermeté et humanisme.
Conformément à ses engagements, le Gouvernement a rompu avec la politique du chiffre et a précisé aux préfectures des critères objectifs donnant droit au séjour.
Cette démarche est bienvenue, car il est difficile de déplorer les mauvais résultats de l’intégration, si beaucoup d’étrangers restent dans le sas de la clandestinité sans espoir de pouvoir en sortir. Une telle clandestinité fragilise les familles, limite les capacités de réussite scolaire, maintient les personnes dans une précarité empêchant toute intégration.
L’OCDE, dans les prévisions à long terme publiées le 20 novembre, indique que l’un des principaux facteurs qui pèseront sur la croissance des pays industrialisés dans les prochaines années sera le vieillissement de leur population, sans compensation par l’immigration. L’OCDE souligne cependant à cette occasion que la France est susceptible de connaître une croissance supérieure à celle de l’Allemagne ou de nombreux autres pays, grâce précisément à des paramètres démographiques plus favorables.
Nous pouvons ainsi dire avec force que la réussite de notre politique d’immigration et d’intégration est, à moyen et long terme, un facteur essentiel de la santé économique de notre pays et de son dynamisme.
La prochaine étape, attendue en 2013, sera la discussion du projet de loi réformant le CESEDA. Il s’agira notamment de mettre en place un titre de séjour pluriannuel pour ceux des étrangers qui ont vocation à s’installer durablement sur le territoire afin de leur offrir de meilleures capacités d’intégration.
À cette occasion, nous souhaitons pouvoir aborder la question du rôle du juge des libertés et de la détention dans la procédure de rétention des étrangers. Monsieur le ministre, cette question a occupé une place essentielle dans les débats qui ont accompagné les lois votées ces dernières années en matière d’immigration. Vous savez que, sur les travées de la majorité gouvernementale, nombreux sont ceux qui souhaitent l’intervention du juge des libertés et de la détention après quarante-huit heures, et non plus après jours de rétention.
Mais, qu’il s’agisse de la circulaire de régularisation ou du texte que nous nous apprêtons à voter, le plus difficile sera la mise en pratique. Les formulations que nous avons choisies pour respecter les jurisprudences française et européenne exigeront des forces de l’ordre une application qui ne sera pas toujours aisée.
Au-delà de cette mise en œuvre, il faudra également veiller à ce que la durée de seize heures de la retenue reste un plafond maximum et ne devienne pas la norme. Ce sera l’enjeu des prochains mois.
Pour affronter ces défis, monsieur le ministre, vous avez le soutien du groupe socialiste, qui votera les conclusions de cette commission mixte paritaire.