Madame la ministre, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, dans son article 52, a signé la programmation de l’arrêt de mort de nombreux laboratoires publics départementaux au profit du développement croissant de véritables monopoles privés.
Certains établissements publics résistent encore, comme dans le département d’Indre-et-Loire, mais souffrent du contenu de ce texte, qui impose la passation de marchés pour la réalisation des contrôles obligatoires. C’est là, au nom de la concurrence dite « libre et non faussée », la conséquence directe d’une transposition abusive d’une directive européenne.
De nombreux pays européens ont fait le choix de ne pas livrer aux laboratoires privés un secteur aussi sensible, lié à la protection de la santé de leurs citoyens. La France est le seul pays à procéder de la sorte en Europe pour le contrôle de la qualité des eaux fournies aux consommateurs.
Ainsi, en instaurant via cet article l’agrément automatisé des laboratoires, la porte a été ouverte pour que puissent s’engouffrer deux laboratoires privés, qui font actuellement la loi sur le marché.
Les laboratoires publics ont pour mission d’assurer un service de proximité et de qualité. La loi sur l’eau, en prônant la concurrence, a imposé d’autres critères relevant des recettes de l’entreprise privée, comme la rationalisation, la compression des coûts ou la compétitivité. La course au profit et à la productivité remplace ainsi l’objectif essentiel de santé publique, fondé sur un travail scientifique de qualité. À mes yeux, ces méthodes sont aux antipodes de l’exigence d’esprit critique que doivent observer les analystes.
Le dumping devient une méthode utilisée couramment. Dans notre département d’Indre-et-Loire, les concurrents privés baissent volontairement les prix du marché pour mettre en difficulté les laboratoires publics jusqu’à un effondrement des tarifs : par rapport au tarif historiquement fixé par le ministère de la santé, cet effondrement s’établit, pour le premier des deux laboratoires concernés, CARSO, à 75 %, et pour le second, Eurofins, à 81 %. Ces derniers souhaiteraient voir disparaître le laboratoire de Touraine, qui résiste encore grâce à la volonté politique du conseil général et maintient un outil performant et indépendant capable d’assurer le contrôle de la salubrité des eaux.
La situation créée au niveau national est inquiétante, puisque de nombreux laboratoires publics disparaissent et que d’autres sont exposés à des difficultés financières les mettant en position de fragilité, au profit des deux grands laboratoires que je viens de citer.
Les salariés sont inquiets, et leurs représentants m’ont alertée. Des associations qui regroupent les directeurs et cadres des laboratoires publics départementaux lancent un véritable cri d’alarme quant aux contrôles de la qualité de l’eau.
Il est inacceptable que les laboratoires privés bénéficient, parallèlement, d’argent public et mettent ainsi en difficulté les laboratoires publics en les contraignant à aligner leurs tarifs. La société CARSO, acteur majeur de ce dumping commercial, a obtenu en 2010, pour financer son développement, 20 millions d’euros au titre du Fonds stratégique d’investissement, détenu à 51 % par la Caisse des dépôts et consignations et à 49 % par l’État. Il faut mettre un terme à ces pratiques !
À cette fin, madame la ministre, je vous propose que soit amendée la loi sur l’eau, tout particulièrement l’article L. 1321-5 du code de la santé publique, où il est fait mention du processus de choix des laboratoires.
À l’heure actuelle, aux termes de cet article, l’État « est chargé de l’organisation du contrôle sanitaire des eaux. » On pourrait ajouter : « Il conclut à cet effet, avec un ou des laboratoires agréés, le marché nécessaire. Il est la personne responsable du marché. »
Je vous propose également d’abroger, dans les plus brefs délais, l’arrêté du 9 novembre 2011 portant modalités d’agrément des laboratoires effectuant des analyses dans le domaine de l’eau et des milieux aquatiques au titre du code de l’environnement.
En effet, il est urgent de confier aux seuls laboratoires publics départementaux agréés et accrédités par le COFRAC les analyses relatives aux contrôles officiels d’alimentation – pour les eaux brutes comme pour les eaux traitées – et des eaux de loisirs dans le cadre d’un service public.
De surcroît, en inscrivant les missions assurées par les laboratoires départementaux, qui pourraient se coordonner à l’échelle régionale, dans les compétences des conseils généraux, il serait possible de consolider le maillage territorial sanitaire français.