L’un des apports majeurs de la construction européenne est qu’elle nous permet de transcender les vieux antagonismes que je viens d’évoquer. Depuis la cessation des conflits qui ont embrasé les Balkans à la fin du siècle dernier, l’Union européenne, notamment au travers des processus d’adhésion, joue le rôle de vecteur de stabilisation d’une région qui était, il y a peu, considérée comme une poudrière.
L’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, après celle de la Slovénie, en 2004, marquera une nouvelle étape de l’élargissement en direction des Balkans occidentaux. Elle s’opère en tirant les enseignements de la précédente vague d’adhésions, qui, entre 2004 et 2007, a vu une partie des pays de l’Europe centrale et orientale rejoindre l’Union européenne.
En effet, l’adhésion de ces douze pays était aussi motivée par la promesse de réconciliation d’une Europe qui, pendant plus de quarante années, fut coupée en deux par le rideau de fer. La dimension symbolique de cette réunification des « deux Europe » a sans doute éclipsé le respect d’une partie des critères habituellement pris en compte lors des négociations. En d’autres termes, l’engagement moral a parfois occulté les difficultés des États candidats à remplir les conditions requises, tant politiques qu’économiques, ou à reprendre l’acquis communautaire.
À la suite de l’élargissement à l’Est, les institutions européennes ont renforcé les exigences envers les États candidats en matière de reprise de l’acquis communautaire ou de garanties de l’État de droit, ce qui était nécessaire, et ont introduit un dispositif de suivi des réformes engagées entre la signature du traité d’adhésion et l’adhésion elle-même.
De plus, la Commission européenne semble avoir fait du cas croate un modèle, en termes de négociations, pour les autres pays des Balkans occidentaux, qui sont tous engagés dans un processus de rapprochement avec l’Union européenne, à des degrés et selon des rythmes divers.
Néanmoins, en ce qui concerne la Croatie, plusieurs questions soulevées demeurent encore sans réponses. Elles concernent les efforts à accomplir en matière de réforme judiciaire, de lutte contre la corruption et le crime organisé. De même, dans ses relations avec ses voisins, les motifs de crispation ne manquent pas : participation au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, question du retour des réfugiés, notamment de la minorité serbe…
Par ailleurs, le différend frontalier et le conflit bancaire avec la Slovénie, s’ils ne trouvaient de solution, pourraient retarder la ratification du traité d’adhésion par les autorités de Ljubljana.
Cependant, en dépit de ces écueils, il nous faut souligner les efforts réels et les réformes entrepris par la Croatie pour se conformer aux « standards européens ».
Il est aussi utile de noter que, tout au long du processus de négociation, les gouvernements croates successifs ont partagé le même objectif de mener ce pays vers l’adhésion à l’Union européenne.
Les auteurs du rapport d’information intitulé « La Croatie, 28ème État membre de l’Union européenne » et publié en juin 2011, à savoir nos anciens collègues Jacques Blanc et Didier Boulaud, ne disaient pas autre chose : « Toutes tendances politiques confondues, les responsables croates ont souligné qu’une telle perspective viendrait couronner les efforts considérables de réformes déployés par le pays ces dernières années. »
Certes, au sein de la population, l’enthousiasme initial suscité par la perspective de rejoindre l’Union s’est sensiblement érodé, au bénéfice d’une lassitude née de la longueur des négociations et de la crise économique et institutionnelle que traverse l’Europe depuis plusieurs années. En effet, lors du référendum sur l’adhésion, si la victoire du « oui » fut nette, avec plus de 66 % des suffrages, le taux de participation ne s’éleva qu’à 43, 5 %.
La ratification de ce traité portera donc à vingt-huit le nombre des États membres de l’Union européenne. Bien sûr, d’autres pays seront amenés à les rejoindre dans les prochaines années : l’Islande, mais aussi le Monténégro, la Macédoine, la Serbie et la Turquie, que nous devrions cesser de stigmatiser, sans parler des « candidats potentiels » que sont l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine.
S’il sera moins considérable que le précédent, ce nouvel élargissement ne pourra se faire sans une réforme de la gouvernance européenne. Mes chers collègues, vous le savez, les radicaux sont historiquement favorables à une évolution fédéraliste de l’Union. À plus de trente membres, comment mener cet approfondissement de la construction européenne ?
En marge du sommet des 18 et 19 octobre dernier, le Président de la République a précisé les grandes lignes de sa politique européenne, au cours d’une interview accordée à six journaux européens : « En changeant de dimension, l’Europe a changé de modèle. Ma démarche, c’est une Europe qui avance à plusieurs vitesses, avec des cercles différents. » Nous ne pouvons que partager cette vision. Dans le même entretien, François Hollande a déclaré, à propos de l’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne : « L’hommage, il est adressé aux pères fondateurs de l’Europe, capables d’avoir réussi la paix au lendemain d’un carnage. L’appel, il est lancé aux gouvernants de l’Europe d’aujourd’hui, pour qu’ils soient conscients qu’un sursaut est impérieux. »
C’est donc en se plaçant dans cette double perspective historique et prospective que les radicaux de gauche, ainsi que la grande majorité des sénateurs du groupe RDSE, voteront pour la ratification du traité d’adhésion, pour une Europe réconciliée, pour une Europe puissante, pour une Europe de l’avenir. §