Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 15 janvier 2013 à 14h30
Traité relatif à l'adhésion de la croatie à l'union européenne — Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien évidemment, nous nous associons nous aussi à l’hommage rendu en ce moment même au lieutenant Boiteux, et présentons nos sincères condoléances aux familles des victimes.

L’adhésion à l’Union européenne de la Croatie, qui en deviendra ainsi, le 1er juillet 2013, le vingt-huitième État membre, constitue une bouffée d’air frais pour notre continent, en ces temps de doutes quant à la construction d’un ensemble politique toujours plus cohérent.

Au sein des Balkans occidentaux, dont la « vocation européenne » a été affirmée dès le sommet de Zagreb –organisé sur l’initiative de la France –, en novembre 2000, la situation de la Croatie se distingue.

La mission effectuée à Zagreb, en mai 2011, par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a permis de délivrer un message très clair de soutien à la candidature croate à l’adhésion à l’Union européenne.

La Croatie n’a pas démérité et a fait énormément d’efforts, qu’il s’agisse du renforcement des institutions, notamment par l’augmentation des fonds alloués à la cour constitutionnelle, des réformes électorales, de l’intégration des réfugiés ou de l’amélioration des statuts des minorités.

Mes chers collègues, l’adhésion de la Croatie sur laquelle nous devons nous prononcer aujourd’hui souligne avec force la vocation première du projet de construction européenne : l’Europe, c’est la paix.

Hélas, la Croatie ne connaît que trop bien le prix de cette dernière, ayant payé un très lourd tribut lors de la violente dislocation de l’ensemble yougoslave, à la fin du siècle dernier.

Il est vrai que la guerre fut incomparablement plus longue et plus sanglante en Croatie qu’en Slovénie. Elle s’est déroulée sur une période de près de dix ans, depuis les premières altercations, en 1990, jusqu’à la reconquête totale du territoire, en 1998, par le gouvernement croate, avec son funeste lot de tueries, de déplacements de populations et d’emprisonnements.

Le conflit a été très dur : on a dénombré près de 16 000 tués et 40 000 disparus. Les dommages directs et indirects, pour l’économie, ont été évalués à quelque 37 milliards de dollars, soit presque deux fois le PIB de la Croatie.

Les sièges de Vukovar et de Dubrovnik, de sinistre mémoire, sont devenus les symboles de cette guerre atroce. Ces joyaux de l’architecture médiévale ont subi d’énormes destructions, certaines irrémédiables.

D’un point de vue environnemental, l’agriculture croate n’a pas encore retrouvé ses niveaux de production de 1990. Les conséquences du conflit sont encore importantes : près de 1 million d’hectares ne seraient pas exploités, soit l’équivalent de la surface agricole actuellement mise en valeur. Cette situation est liée, d’une part, à la présence de mines antipersonnel, et, d’autre part, à l’existence de problèmes de propriété foncière concernant des terres appartenant à des ressortissants de minorités qui ont fui vers d’autres régions et ne sont pas revenus jusqu’à présent. Le cheptel bovin a été décimé : en 2007, il restait encore inférieur à 60 % de son effectif d’avant-guerre.

Souvenons-nous, mes chers collègues, que ces tragiques événements ont eu lieu sur notre continent, à une époque relativement récente !

Ainsi, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne souligne la vocation universelle de cette dernière en matière de promotion de la paix et des droits de l’homme.

À ce titre, nous ne pouvons que nous réjouir que, en décembre dernier, nos collègues députés européens aient solennellement accueilli à Strasbourg la médaille symbolisant le prix Nobel de la paix attribué à l’Union européenne.

De même, l’optimisme des Croates à l’égard du projet européen contraste très singulièrement avec le climat eurosceptique ambiant, prospérant sur fond de défiance au sein de la zone euro.

Mes chers collègues, je n’ai pas besoin de vous rappeler quelle fut l’âpreté des débats, au sein de notre chambre, sur le Mécanisme européen de stabilité ou le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance…

Certes, l’enthousiasme pro-européen des Croates, partagé selon les sondages par plus de 80 % de la population en 2003, a pu s’éroder au fil des négociations, qui se sont prolongées de 2005 à 2011, en raison de la rigueur des critères fixés par Bruxelles et de la crise économique qui secoue l’Union européenne.

En outre, un vieux différend bancaire avec la Slovénie pourrait retarder l’adhésion de la Croatie si aucun accord entre les deux pays n’est conclu avant le 1er juillet 2013 : il s’agit de l’affaire de la banque slovène Ljubljanska Banka.

Lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, quelque 430 000 Croates avaient placé leurs économies dans cette banque, qui a fait faillite dans les années quatre-vingt-dix. Par la suite, la Croatie a dédommagé les deux tiers de ces épargnants, pour un montant d’environ 270 millions d’euros, et elle exige désormais que la Slovénie lui restitue ce montant.

Or, comme vous le savez, mes chers collègues, la ratification du traité par les vingt-sept pays actuellement membres de l’Union européenne est indispensable pour valider l’adhésion de la Croatie.

L’entrée de la Croatie dans l’Union européenne n’est donc pas une simple formalité : elle témoigne, au contraire, d’une démarche enthousiaste et déterminée de la part des Croates, en dépit des difficultés que j’ai énumérées.

Ainsi, le 22 janvier 2012, soit près de vingt ans après la déclaration d’indépendance de leur pays, et malgré un fort taux d’abstention, les Croates se sont exprimés par voie référendaire et ont voté, à 67 %, en faveur de l’adhésion de leur pays à l’Union européenne, lors d’un scrutin jugé crucial par les autorités de la jeune république.

Cette nation de 4, 2 millions d’habitants a donc décidé, en toute conscience, d’arrimer son destin à celui d’un projet toujours en mouvement – la construction d’un ensemble politique efficient à l’échelle de notre continent –, malgré les crises et les difficultés.

Dans cette optique, nous ne pouvons que nous féliciter de l’adhésion à l’Union européenne de ce nouveau membre.

En effet, approfondir l’intégration continentale est vital si nous voulons relever les immenses défis économiques, démographiques et environnementaux suscités par la globalisation et l’émergence de nouvelles puissances.

Enfin, en tant qu’européenne convaincue, je reste persuadée que l’agrandissement de la famille européenne représente plus que jamais une formidable chance pour notre pays. §

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