Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, d’Ivo Goldstein, nouvel ambassadeur de Croatie, avec lequel je tisserai certainement, en ma qualité de présidente du groupe France-Croatie, les mêmes liens d’amitié que ceux qui m’ont unie à Mirko Galić.
C’est la dernière fois que nous sommes amenés à nous prononcer, dans le cadre de la procédure législative ordinaire, sur l’adhésion d’un nouvel État à l’Union européenne. En effet, les révisions constitutionnelles de 2005 puis de 2008 disposent que toute nouvelle adhésion devra être approuvée par référendum ou par le Parlement réuni en Congrès, ce qui risque de présenter quelques inconvénients, comme l’avait indiqué, à l’époque, la commission des lois du Sénat. Notre crainte se vérifiera sans doute, c’est du moins ce que je redoute, même si, pour ce qui concerne la Croatie, le recours à l’une ou l’autre de ces procédures n’aurait pas posé de difficulté. Je suis donc satisfaite que le Sénat se prononce sur l’adhésion de ce pays, grand ami de la France.
Je tiens avant tout à saluer les efforts que la Croatie a su déployer depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005.
D’abord, de nombreux orateurs l’ont souligné, le processus de négociation a été plus exigeant que celui qui avait été appliqué lors des élargissements précédents et l’acquis communautaire qu’elle a dû assimiler n’a pas eu d’équivalent. La Croatie a démontré sa capacité à mettre en œuvre des réformes de grande envergure dans tous les domaines de la société.
Ensuite, elle a surmonté le différend territorial qui l’opposait à sa voisine, la Slovénie, en acceptant le recours à l’arbitrage, et je me réjouis du rôle qu’a pu jouer la France dans ce dénouement.
En outre, elle a su vaincre les démons du passé en acceptant une plus grande collaboration avec le Tribunal pénal international de La Haye pour l’inculpation de Croates coupables de crimes de guerre.
Dès le 24 juin 2011, le Conseil européen a appelé à une conclusion rapide des négociations, position qui a été suivie par la Conférence intergouvernementale du 30 juin 2011, après un processus qui aura duré près de six ans.
Le 9 décembre 2011, le traité d’adhésion a enfin été signé à Bruxelles.
Après l’approbation par référendum du peuple croate, c’est au tour des États membres de ratifier cette adhésion. Mon seul regret est que la France ne s’y soit pas attelée plus tôt.
Aussi, monsieur le ministre, je veux remercier le Gouvernement, qui a accepté, en relation avec le président du Sénat, Jean-Pierre Bel, que soit examiné dès le début du mois de janvier ce projet de loi de ratification. Il était utile et important que la France soit le premier des grands pays à approuver cette adhésion.
Il s’agit aujourd’hui d’applaudir la Croatie, un État responsable, développé et moderne ayant pleinement fait siens les valeurs européennes et ses standards démocratiques.
Le comité Nobel norvégien vient d’attribuer à l’Union européenne le prix Nobel de la paix pour avoir « contribué pendant plus de six décennies à promouvoir la paix et la réconciliation, la démocratie et les droits de l’homme en Europe ». Si la construction européenne, débutée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sur l’idée du « plus jamais ça », a permis l’intégration des anciennes dictatures du Sud et, surtout après 1989, des ex-démocraties populaires, elle n’a pas su empêcher, en Croatie, puis en Bosnie, que se déroule, dans des conditions tragiques, la première guerre sur le territoire européen depuis 1945.
L’attribution du prix Nobel de la paix à l’Union européenne, en plein aboutissement de l’adhésion de la Croatie, vingt ans après le conflit des Balkans, ne constitue pas une simple coïncidence ; j’y vois un symbole. Au-delà de l’espoir donné aux autres pays des Balkans occidentaux, c’est la réaffirmation des idéaux de paix, d’amitié et de progrès que véhicule l’Union européenne.
Ce rappel du fondement originel de l’Union est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Dans la période difficile que nous traversons, faite de doutes et de crispations nationales, l’entrée de la Croatie est un espoir pour elle.
Le peuple croate s’est prononcé le 22 janvier 2012 à une très large majorité en faveur d’une adhésion de son pays à l’Union européenne.
Cette volonté, si clairement exprimée, même si le peuple croate s’était quelque peu lassé d’attendre l’issue de ce long processus de négociation, sonne comme un rappel pour les Européens de leur chance de vivre en paix depuis six décennies et comme la promesse que cet idéal n’est pas cassé.
C’est aussi une chance pour la France. Les liens d’amitié qui nous unissent sont anciens et profonds, comme l’ont rappelé les intervenants au colloque que le groupe d’amitié que je préside a organisé, de concert avec l’ambassade de Croatie, en octobre dernier. D’ailleurs, la plus belle avenue de Split, l’équivalent de notre avenue des Champs-Élysées, porte le nom du général Marmont, en mémoire de celui qui administra les provinces illyriennes sous Napoléon. Voilà un lieu où ce dernier aura laissé un bon souvenir…
Le festival « Croatie, la voici », qui s’est déroulé tout au long de l’automne en France, a permis aux Français d’approfondir leur connaissance des richesses culturelles qu’offre la Croatie. Comment ne pas évoquer le talent d’Ivan Meštrović et la beauté des klapas, que nous redécouvrons ?
En outre, l’adhésion de la Croatie va renforcer la place du français dans l’Union européenne, car plus de 6 % des Croates sont francophones et la Croatie est État observateur au sein de l’Organisation internationale de la francophonie depuis 2004. J’ai plaisir à côtoyer nos collègues croates lors des rencontres qui ont lieu dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de la francophonie.
L’appui sincère et continu de la France à la Croatie, tout au long du processus d’adhésion, a resserré ces liens d’amitié et nous savons que nous pourrons compter l’un sur l’autre pour défendre nos idéaux communs et œuvrer pour une Europe toujours plus solidaire.
Mes chers collègues, les hasards de ma vie professionnelle m’ont fait découvrir la Croatie voilà plus de trente-cinq ans. De Zagreb à Vukovar, de Šibenik aux lacs de Plitvice, en temps de paix comme en tant de guerre, comme l’a indiqué André Gattolin se référant à sa propre expérience, j’ai eu l’occasion de parcourir ce pays, autrefois Yougoslavie, aujourd’hui Croatie. J’ai toujours cru en sa destinée européenne, et je suis fière aujourd’hui de défendre devant vous son adhésion officielle à l’Union européenne.
Je remercie la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, la commission des affaires européennes, son président, Simon Sutour, auteur, avec moi-même, d’une proposition de résolution sur l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne, devenue résolution du Sénat en novembre 2011. Je remercie également André Gattolin, qui a nous a fait part avec talent de son amour pour la Croatie.
Pour conclure, j’aurai une pensée pour celui qui m’a fait connaître ce pays, un immense professeur d’université, Petar Guberina, grand linguiste polyglotte originaire de Dalmatie, porteur des valeurs de liberté, ancien étudiant à la Sorbonne, ami de l’université, de Césaire, de Senghor. Cet homme a ouvert les chemins de la connaissance, de la tolérance, de l’intelligence qui lient les peuples. Aujourd’hui, dans cet hémicycle, j’ai simplement voulu faire vivre sa mémoire.