Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, de M. l’ambassadeur de Croatie.
Notre assemblée se réunit aujourd’hui pour approuver le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne. C’est un beau symbole que cette nouvelle adhésion, car elle témoigne que le projet européen n’est pas mort, qu’il garde toute sa force, alors que l’Union européenne traverse une période de crise et de doute. C’est le témoignage que celle-ci réunit autour de valeurs qui sont toujours actuelles, qui ont une signification à ses frontières, particulièrement pour les Balkans occidentaux, qui furent, voilà peu de temps, le théâtre de tant de tragédies.
Avec cette adhésion, comme nous le rappelle également le cinquantième anniversaire du traité de l’Élysée, on en revient aux fondements de la construction européenne : la construction de la paix, qui demeure une exigence forte, essentielle et fondatrice. Il est important d’en avoir pleinement conscience à un moment où l’Europe fait face à de nombreuses difficultés qui ne doivent en rien nous conduire à tout remettre en cause ou à croire que les acquis de la construction européenne sont éternels.
N’imaginons pas que, pour la Croatie, cette adhésion n’a pas signifié de nombreux efforts, voire des sacrifices. Il a fallu, bien sûr, transposer en droit interne les acquis communautaires, mais c’est aussi dans son activité, dans la structure de son économie et de son agriculture que la Croatie a dû accepter de nouvelles règles. Je pense aux chantiers navals, où cela a été particulièrement douloureux, ou à son économie, qui était fortement intégrée à celle de la Bosnie-Herzégovine.
L’entrée dans l’Union européenne modifie profondément les habitudes, oblige à réorienter des coopérations commerciales et industrielles, rend moins facile pour la Croatie son commerce avec la Bosnie-Herzégovine ou la Serbie. Pourtant, la Croatie a voulu cette adhésion, qui est le symbole de son retour dans la famille européenne. Mais cela crée pour nous une obligation : poursuivre la démarche, ne pas laisser de côté les autres États des Balkans occidentaux, qui doivent pouvoir adhérer à leur rythme et quand ils le pourront. Il en va non seulement de la crédibilité du projet européen, du sens que nous donnons à nos valeurs communes, mais aussi de la stabilité de la région.
Malheureusement, dans les Balkans du sud-ouest, il n’y a à ce jour de négociation ouverte qu’avec le Monténégro, et ce depuis peu. Faudra-t-il attendre au-delà de 2020 pour que l’Union européenne atteigne une intégrité territoriale dans cette région, au risque d’engendrer d’ici là de nouvelles instabilités ?
Reprenons tout d’abord le processus de négociation tel qu’il a été conduit avec la Croatie. Il a su tirer les leçons de la vague précédente de négociations avec la Bulgarie et la Roumanie, ce qui explique qu’il ait été plus âpre, plus exigeant.
Les accents portés sur l’indépendance de la justice et sur la lutte contre la corruption ont permis de tester la stabilité des institutions croates, notamment lorsqu’il s’est agi de poursuivre de très hauts dignitaires du pouvoir en place.
De même, l’arrestation de personnes supposées coupables de crimes de guerre dans le cadre de la coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie n’a pas entraîné l’exacerbation de tensions nationalistes pourtant coutumières à Zagreb dans les années quatre-vingt-dix.
Enfin, le compromis passé au début des années deux mille entre les forces politiques croates sur le bien-fondé de l’adhésion a permis au pays de procéder à une profonde remise en cause de son modèle politique, que nous pouvons aujourd’hui considérer comme exemplaire. Les alternances politiques se sont déroulées sereinement, les minorités nationales sont associées aux prises de décision, les forces syndicales sont parties prenantes à tous les sujets concernant le modèle social ou la restructuration du tissu économique. Nous pensons en particulier aux difficiles négociations sur la réforme du système de retraite ou à la privatisation des chantiers navals.
Néanmoins, l’expérience de certaines adhésions – je pense notamment à celles de la Hongrie et de la Roumanie – souligne que, si nous savons être exigeants sur l’appropriation de notre système de valeurs et l’intégration des acquis communautaires durant les périodes de négociation, il y a ensuite un réel relâchement quand ces nouveaux membres deviennent acteurs de nos institutions.
À ce jour, seul le Parlement européen dispose d’une réelle capacité de mobilisation de l’opinion publique européenne dès qu’un État membre s’écarte de l’esprit de nos traités fondateurs. Pourtant, les instances de contrôle existent, mais elles semblent totalement anesthésiées par la place trop importante laissée à l’Europe intergouvernementale, au détriment d’une Europe plus intégrée institutionnellement.
Nul doute qu’il y a, là aussi, un débat à mener de façon urgente, car ce qui pèche aujourd’hui, ce n’est pas l’élargissement, mais ce sont les retards pris dans l’approfondissement.
À l’heure où l’on disserte sur une prétendue « fatigue de l’élargissement », il est urgent de montrer combien ce processus contribue au renforcement de l’État de droit sur notre continent, au renforcement du poids de l’Europe et de ses valeurs dans le monde.
La réussite de l’adhésion croate est donc vitale non seulement pour la relance de cette politique, mais aussi pour notre capacité à approfondir notre modèle politique, les deux étant intimement liées. Mais, ne vous en déplaise, monsieur Arthuis, la causalité n’est pas celle que l’on croit : ce sont les difficultés de l’approfondissement qui freinent l’élargissement, et non l’inverse !
Un nouveau membre, c’est une nouvelle jeunesse pour nos valeurs, car il en rappelle l’actualité. Les drames vécus voilà vingt ans par la Croatie et le chemin qu’elle a parcouru depuis lors en témoignent.
C’est un beau symbole d’ouvrir les travaux du Sénat français en 2013 avec ce projet de loi de ratification. Dans l’intérêt de l’Union européenne tout entière et de l’ensemble du continent européen, il serait judicieux que l’agenda d’une adhésion au 1er juillet 2013 soit respecté. Là où il pourrait exister des différends bilatéraux ou des difficultés liées à l’agenda politique interne de pays membres de l’Union européenne, aucun de ceux-ci ne devrait interférer avec la finalisation du processus d’adhésion et sa ratification par les parlements nationaux.
J’ai confiance en la bonne volonté de toutes les parties et de tous les États membres pour que nous puissions ensemble accueillir notre vingt-huitième membre le 1er juillet prochain.
Vive la Croatie dans l’Union européenne !