Intervention de René Teulade

Réunion du 15 janvier 2013 à 14h30
Traité relatif à l'adhésion de la croatie à l'union européenne — Article unique

Photo de René TeuladeRené Teulade :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je salue moi aussi la présence dans notre tribune d’honneur de M. l’ambassadeur de Croatie.

Au moment du déclenchement et de l’enlisement de la troisième guerre balkanique, en 1991, l’Europe était, selon les mots de Paul Garde, universitaire slavisant émérite, « en retard sur l’événement » ; vingt ans plus tard, sur la voie de l’intégration des pays de l’ex-Yougoslavie, l’Union européenne est à l’heure. En effet, au 1er juillet 2013, la Croatie deviendra le vingt-huitième État de l’Union européenne, sous réserve de la ratification du traité d’adhésion par l’ensemble des États membres.

Cette dernière couronne les nombreux efforts et progrès réalisés par l’État croate depuis son accession à l’indépendance à l’été 1991.

En deux décennies, la Croatie a effectué d’importantes réformes, notamment en matière de justice et de respect des droits fondamentaux, afin d’être en conformité avec les principes constitutifs de l’Union européenne.

Le travail réalisé par les gouvernements croates successifs doit être d’autant plus salué que le processus d’adhésion s’est déroulé dans le cadre du consensus renouvelé sur l’élargissement, adopté par le Conseil européen de décembre 2006, qui prévoit l’application d’une stricte conditionnalité et met l’accent sur les questions relatives à l’État de droit.

Ainsi, bien que certaines problématiques restent d’actualité, telles que la restructuration des chantiers navals, la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts, l’organisation du système judiciaire, le plan d’action révisé adopté par le gouvernement croate le 31 octobre dernier est de nature à satisfaire les dernières exigences communautaires.

Par ailleurs, l’entrée de la Croatie dans le sérail européen est l’opportunité de rappeler la « vocation européenne » des Balkans occidentaux, reconnue par le Conseil européen de Zagreb en 2000, et réaffirmée par celui de Thessalonique en 2003. Sans brûler les étapes, les institutions et États européens doivent se fixer l’objectif d’intégrer au plus tôt la Serbie, le Monténégro, la Macédoine, la Bosnie-Herzégovine, l’Albanie et le Kosovo, dès lors qu’il sera reconnu par l’ensemble des pays de l’Union européenne et par la Serbie.

Le traumatisme de la guerre est encore vivace dans cette région, comme dans nos mémoires, confuses devant le souvenir des exactions commises, les charniers humains non pas aux portes de l’Europe – abus de langage que certains employaient –, mais en son cœur, à la lisière du berceau de la civilisation européenne : la Grèce ; confuses aussi devant notre impuissance, dont la réminiscence prend la forme d’une interrogation : où étions-nous ? Ni à Vukovar, ni à Srebrenica, ni à Bihać, ni dans toutes les provinces qui portent, encore aujourd’hui, les stigmates de la guerre. Et permettez-moi une brève observation : où sommes-nous aujourd’hui en Syrie ? Peut-être partout, mais probablement nulle part ; l’histoire jugera !

L’Union européenne doit donc continuer à promouvoir, avec vigueur, la réconciliation et l’unité des États de l’ex-Yougoslavie, dans le respect des différences de chacun, en soutenant ardemment les initiatives qui donnent corps à l’esprit de rassemblement et de tolérance, à l’instar du dialogue nourri entre Ivo Josipović et le précédent Président serbe, Boris Tadić, dont je tiens à mettre en exergue le courage politique dont il fit preuve lorsque, en 2010, il reconnut officiellement – ce n’était pas facile – le massacre de Srebrenica.

Afin de lutter contre le nationalisme exalté qui gangrène toujours cette région, l’Union européenne doit demeurer un idéal tangible, accessible, et ne doit pas se muer en un idéal lointain que les États des Balkans occidentaux n’apercevraient que d’une infime lucarne donnant sur un mur politique. Ce mur politique, c’est le risque d’affadissement des valeurs consubstantielles à l’Union européenne, pourtant fondatrices de la politique d’élargissement définie par l’article 49 du traité sur l’Union européenne et réclamées aux États souhaitant faire partie du projet européen ; c’est le risque aussi de voir la tolérance et la solidarité, valeurs éminentes posées par l’article 2 du traité sur l’Union européenne, s’évaporer dans un contexte de crise et de défiance généralisée au profit d’un individualisme d’État que l’on retrouve, malheureusement, dans les discussions actuelles portant sur le budget communautaire.

Au sortir de la tragédie des deux guerres mondiales, Jean Monnet avait fait de la méthode des « petits pas » le moyen de rassembler les États européens autour d’intérêts communs, à travers une gestion collective et, par là même, avait créé une solidarité de fait. Aujourd’hui, cette solidarité ne doit plus seulement être la résultante de petits pas, elle doit être l’expression de grandes consciences européennes qui permettent d’approfondir et d’élargir le projet européen à tous ceux qui adhèrent à son esprit, à sa vocation et à sa vision, qui est sans doute une des rares et une des seules visions d’avenir. Telle est la signification du traité qui est aujourd’hui soumis à notre approbation, et j’espère qu’il sera adopté à l’unanimité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion