Monsieur le ministre, au cours des trois dernières années, j'ai rapporté, au nom de la commission des affaires sociales, l'ensemble des textes consacrés aux retraites. J'ai soutenu la loi du 21 août 2003, à laquelle votre nom restera attaché et qui constitue la plus importante réforme de l'assurance vieillesse réalisée depuis la Libération.
Je souhaite donc m'exprimer sur le volet retraite de la proposition de loi de M. Yves Censi, cosignée par 300 députés, qui avait été déposée en termes identiques sur le bureau de notre assemblée par notre collègue Hubert Haenel.
Je suis en effet bien placé pour savoir que, depuis 2002, ce gouvernement et sa majorité n'ont pas hésité à légiférer dans ces domaines difficiles. Deux principes ont constamment guidé notre action : d'une part, le souci de la rigueur et, d'autre part, l'impératif d'équité entre tous les assurés sociaux. Nous retrouvons, aujourd'hui, dans cette proposition de loi, la même inspiration.
Ce texte tend, par ailleurs, à remédier à une véritable injustice. En effet, malgré la proclamation ancienne du principe de parité entre les maîtres du public et ceux du privé, ces derniers bénéficient d'une retraite dont le montant est inférieur de 20 % à celle de leurs collègues. Grâce à la création d'un régime de retraite additionnel, cet écart devrait être réduit de moitié d'ici à 2030, ce qui constitue, dans un premier temps, un progrès appréciable.
Le volet retraite de la présente proposition de loi - c'est le premier point que je souhaite aborder - représente une importante avancée sociale, pour une population de 140 000 personnes.
En effet, après la loi Debré du 31 décembre 1959, la loi Guermeur du 25 novembre 1977 avait notamment pour objet de remédier à la différence de situation en matière de retraite entre les enseignants. Mais, comme l'a rappelé notre collègue Jean Boyer, le décret d'application qui était prévu n'a malheureusement jamais été publié. Cette situation injuste perdure donc aujourd'hui.
Pourtant, les maîtres de l'enseignement privé sous contrat sont rémunérés par l'Etat sur la base d'une grille indiciaire calculée sur celle des maîtres de l'enseignement public. Tout au long de leur vie professionnelle, la situation des uns et des autres est très proche : les épreuves des concours auxquels ils se présentent sont identiques, leur carrière au sein de l'enseignement privé est organisée sur le modèle de la carrière des fonctionnaires de l'éducation nationale et les programmes scolaires qu'ils enseignent sont les mêmes.
Or ces similitudes prennent fin brutalement le jour où cesse leur activité. La proposition de loi d'Yves Censi tend donc à remédier à cette injustice, en instituant un régime de retraite additionnel qui comblera de moitié l'écart existant.
Je tiens à souligner que l'on retrouve dans ce texte l'inspiration de la réforme des retraites de 2003, dont on ne dira jamais assez la générosité. A ce titre, je souhaite rappeler l'apport du dispositif pour les « carrières longues », qui permet aux personnes ayant commencé à travailler à 14 ans, 15 ans ou 16 ans de partir à la retraite dès 56 ans, 57 ans ou 58 ans ; la revalorisation du minimum contributif ; les mesures en faveur des pluripensionnés ; et, enfin, la création, au 1er janvier 2005, du régime de retraite complémentaire dans la fonction publique.
Je me félicite enfin que cette proposition de loi constitue aussi la transcription législative du résultat de la négociation conclue le 21 octobre dernier avec les trois principales organisations syndicales de la profession.
Ce texte constitue également, pour nous, l'occasion d'évaluer in concreto les différences objectives entre les retraites du secteur privé et celles du secteur public : c'est le second point que je souhaite aborder.
La réalité des faits nous conduit à constater qu'un professeur certifié de l'enseignement privé sous contrat cotise annuellement quelque 1 400 euros de plus que son homologue du public, alors qu'il percevra une retraite dont le montant sera inférieur de plus de 800 euros par mois.
Cette réalité n'est d'ailleurs contestée par personne. A l'Assemblée nationale, notre collègue député Maxime Gremetz a reconnu lui aussi, et je reprends les termes exacts de son intervention, que « le taux de cotisation excède de 3, 7 points celui d'un enseignant du public » et que « les retraites du privé sont en moyenne inférieures de 20 % à celles du public. »
Il s'agit donc d'une illustration saisissante de la constitution des inégalités, en matière de retraite, entre les assurés sociaux, en défaveur des salariés du secteur privé. Pourtant, cette réalité est méconnue et souvent contestée, avec une certaine dose de mauvaise foi, y compris, d'ailleurs, de la part des membres du Conseil d'orientation des retraites.
Ce texte me permet d'en faire la démonstration, car « les faits sont têtus ». Il me donne aussi l'opportunité de rappeler quelques données que l'on veut, généralement, ignorer.
D'abord, l'âge moyen pour la liquidation de la pension, dans le secteur public, est inférieur de quatre ans à celui du régime général.
Ensuite, par le bais des mécanismes de droit à pension, dès 55 ans pour les fonctionnaires classés en « services actifs », voire dès 50 ans pour ceux qui bénéficient de la « bonification du cinquième », et grâce aux nombreux systèmes de cessation précoce d'activité, seule une personne sur quatre, dans la fonction publique, part en retraite à 60 ans.
Par ailleurs, le mode de calcul de la pension est plus avantageux dans le public : ainsi, par exemple, si l'on retient les vingt-cinq meilleures années pour calculer le salaire de référence dans le secteur privé, on se réfère, vous le savez bien, aux six derniers mois de traitement dans les trois fonctions publiques.
En outre, la majoration de pension, pour trois enfants, est plafonnée à 10 % dans le régime général, alors que, au-delà de ce seuil, les fonctionnaires disposent d'une majoration de 5 % par enfant supplémentaire.
De plus, la fonction publique autorise largement le cumul d'une pension avec un revenu d'activité, alors que ce cumul est davantage limité dans le cadre de la Caisse nationale d'assurance vieillesse et des régimes complémentaires.
Enfin, les règles applicables en ce qui concerne les pensions de faible montant sont plus favorables dans les trois fonctions publiques, sans même parler des régimes spéciaux des grandes entreprises publiques.
S'agissant du délai de montée en charge du nouveau régime de retraite additionnel des maîtres des établissements privés ainsi créé, je me prononce naturellement en faveur d'un processus aussi rapide que possible.
Ce régime permettra d'apporter de façon progressive une correction forfaitaire de l'écart moyen constaté entre les niveaux de pension de retraite. Il est vrai que le calendrier envisagé peut paraître long aux intéressés, puisqu'il repose sur une progression en deux temps, à savoir une impulsion initiale de 5 % dès le 1er septembre 2005, suivie d'une augmentation d'un point supplémentaire par paliers de cinq ans jusqu'en 2030.
Pour autant, je ne suis pas de ceux qui jugent que la réforme proposée est modeste. En effet, elle correspond, pour l'Etat, à une dépense supplémentaire de 30 millions d'euros par an. Il s'agit donc, à mes yeux, d'un premier pas très important, dans le cadre d'une démarche qui devra être reprise à l'avenir pour parvenir, à terme, à une parité totale avec les maîtres de l'enseignement public.
En qualité de rapporteur de la commission des affaires sociales pour la branche vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je partage, bien évidemment, le souci de l'équilibre des comptes publics et sociaux. Je sais également que le processus de vieillissement de la population, conjugué à la spécificité française en matière de cessation précoce d'activité, représente un défi majeur auquel nous devons faire face avec courage.
Tout n'est donc pas possible tout de suite. Nous pourrions toutefois dégager des marges de manoeuvre dans d'autres domaines, pour accélérer la mise en oeuvre du principe de parité entre les maîtres du privé et ceux du public. S'agissant des retraites de la fonction publique, la Cour des comptes a appelé à la suppression de dispositions injustifiées et coûteuses pour les finances publiques. Des sources d'économies existent donc.
Je pense, en particulier, à l'« indemnité temporaire » majorant la pension des fonctionnaires qui résident outre-mer. Elle peut atteindre jusqu'à 75 % en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. En outre, elle n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu ni aux retenues au titre de la CSG ou de la CRDS. Ce dispositif bénéficie à 20 000 personnes - leur nombre augmente rapidement - pour un coût annuel de plus de 200 millions d'euros.
La commission des finances a d'ailleurs établi le même diagnostic. Cette année - et l'an dernier déjà - son président, Jean Arthuis, et son rapporteur général, Philippe Marini, ont voulu remettre à plat ce dispositif que nous jugeons également injustifié. Nous regrettons à cet égard que l'amendement déposé en ce sens par M. About, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, n'ait pas été adopté.
Au terme de mon propos, je me réjouis que le Gouvernement ait dégagé les moyens financiers permettant de donner vie à cette initiative parlementaire importante et attendue.
Il est vrai que l'inégalité des situations, au regard de la retraite, entre les maîtres des établissements d'enseignement privé et ceux du public apparaît choquante. Même si ce texte ne permet pas encore d'atteindre la parité et ne répond pas à toutes les attentes, l'action engagée par l'Etat est néanmoins réelle et positive, surtout dans un contexte budgétaire que chacun sait difficile.
Mais, au-delà de la question des personnels enseignants, je souhaite souligner que cette proposition de loi rejoint la logique de la réforme des retraites de 2003, qui n'est qu'accessoirement comptable et financière. Son ambition était - et demeure - d'éviter l'apparition de conflits de générations ou l'opposition entre ressortissants du régime général et de la fonction publique. Je suis heureux de soutenir ce choix de solidarité et d'équité fait par le Gouvernement et sa majorité parlementaire.