Intervention de Nicole Bonnefoy

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 janvier 2013 : 1ère réunion
Répertoire national des crédits aux particuliers — Examen du rapport d'information

Photo de Nicole BonnefoyNicole Bonnefoy, co-rapporteur :

Il me revient d'exposer les arguments qui militent contre la création d'un tel fichier positif.

Une première série d'arguments nous vient des associations de consommateurs, qui sont, dans leur grande majorité, hostiles à la création d'un tel fichier ; c'est notamment le cas des deux plus importantes d'entre elles - UFC-Que Choisir et CLCV. Ces associations estiment tout d'abord qu'il faut prendre le temps d'évaluer, dans le long terme, les effets de la « loi Lagarde ». Par ailleurs, elles font valoir que les sociétés de crédit n'évaluent pas suffisamment la solvabilité d'un emprunteur avant d'octroyer un crédit à la consommation, et que les contrôles de la DGCCRF et de l'Autorité de contrôle prudentiel sont insuffisants. En outre, elles s'inquiètent des éventuels usages détournés d'un fichier positif. L'essentiel du surendettement, soulignent-elles, ne résulte pas de l'excès de crédit mais des accidents de la vie. Pour elles, le problème de fond posé par le surendettement réside dans le développement d'une société d' « hyperconsommation », qui incite à consommer toujours plus et qui, pour cela, a besoin de développer et de faciliter le crédit. Or, le pouvoir d'achat stagne aujourd'hui, rendant l'achat à crédit plus attractif. C'est une augmentation des salaires, plutôt qu'un développement du crédit, dont notre société a besoin.

Je développerai une deuxième série d'arguments, qui a trait aux informations disponibles sur la solvabilité des emprunteurs. Les données qui figureraient dans un tel fichier positif ne sauraient suffire pour évaluer véritablement la capacité d'une personne à rembourser un crédit : en effet, pour apprécier de façon sérieuse la capacité de remboursement d'un emprunteur, il convient non seulement d'analyser ses revenus et son patrimoine, mais également ses autres charges - locatives, fiscales, dépenses contraintes, etc. - qu'il ne saurait être question d'intégrer dans un fichier positif. Aucune des personnes entendues par notre groupe de travail n'a d'ailleurs préconisé d'enregistrer de telles informations, alors même qu'elles sont nécessaires pour évaluer la réelle solvabilité de l'emprunteur.

La troisième série d'arguments est relative aux pratiques commerciales inadéquates que l'on peut observer chez certains prêteurs. Notre groupe de travail s'interroge en particulier sur le caractère sérieux d'opérations effectuées par certains prêteurs, en particulier dans le cadre de crédits souscrits sur le lieu de vente. De ce point de vue, il nous semble que la mise en oeuvre d'un fichier positif n'aurait guère d'impact sur les pratiques irresponsables de certains prêteurs. Il conviendrait plutôt de renforcer le contrôle des pratiques commerciales, ce qui suppose d'en donner les moyens à la DGCCRF, et de fournir un effort supplémentaire de formation des salariés concernés, dans les sociétés de crédit comme chez les commerçants. Est également mis en cause le mode de rémunération des vendeurs de certains magasins, intéressés à la vente d'un crédit autant qu'à la vente d'un bien de consommation... A l'évidence, la création d'un fichier positif ne saurait résoudre ces difficultés.

Quatrième série d'arguments : la réalité de l'impact du fichier positif sur le surendettement est très sujette à caution, en raison même de la multiplicité des causes du surendettement. Une large majorité des parcours d'endettement puis de surendettement s'expliquent par des aléas de la vie, qui se traduisent par une chute brutale des revenus et donc des capacités de remboursement, ainsi que par une progression insuffisante du pouvoir d'achat et des salaires, dans un contexte économique difficile, alors que la société de consommation incite à acquérir des produits de plus en plus coûteux. Selon les enquêtes menées par la Banque de France depuis dix ans, la part des dossiers de surendettement liés à un accident de la vie est en progression constante. Le nombre de dossiers dans lesquels le surendettement a pour seule et unique cause un recours excessif au crédit n'était que de 13 % en 2010. Et, de ce point de vue, force est d'admettre qu'un fichier positif n'aura jamais la réactivité suffisante pour empêcher un acheteur compulsif de souscrire plusieurs crédits dans la même journée.

Je souhaite également insister sur les risques d'utilisation détournée des données. Comme le montre l'exemple de la centrale belge des crédits, il est techniquement possible de procéder à des consultations du fichier à des fins autres que celles prévues par la loi, sans que cela soit repérable en cas de consultations isolées. Il n'est donc pas possible d'exclure toute utilisation détournée des données du fichier. Un prêteur pourra, par exemple, à des fins commerciales, chercher des personnes peu endettées, même si cette finalité est interdite par la loi. Par ailleurs, des bailleurs ou des créanciers divers pourraient être tentés de demander à une personne de fournir un état de son endettement tel qu'il figure dans le fichier afin d'apprécier sa solvabilité, alors même que la loi l'interdirait. Cette possible dérive n'est pas un cas d'école : elle a été observée en Belgique en matière d'accès à la location et au logement.

On ne peut pas non plus écarter les risques d'atteinte à la vie privée. C'est une question sensible dans l'opinion publique française. Enregistrer dans un fichier, même géré par la Banque de France ainsi que le préconise le rapport du comité Constans, des données sur les crédits de 25 millions de personnes pose une difficulté sérieuse, a fortiori si l'emprunteur ne dispose d'aucun droit d'opposition à l'enregistrement de ses données personnelles. Contraintes de figurer dans ce registre, la très grande majorité des personnes enregistrées ne présenteront sans doute jamais de difficulté de remboursement de crédit ou de situation de surendettement. Par exemple, les données d'une personne inscrite pour un seul crédit immobilier pourront être conservées pendant trente ans. L'atteinte à la vie privée dans cette hypothèse nous paraît manifeste.

Je terminerai en mettant en avant la question de la proportionnalité. La création d'un fichier positif soulève la question de la disproportion entre les moyens employés et l'utilité du dispositif : disproportion manifeste liée au coût et à la lourdeur technique d'un tel fichier ; disproportion manifeste, également, entre les moyens déployés et les atteintes à la vie privée, d'une part, et l'utilité réelle du fichier au regard de l'objectif poursuivi, à savoir la prévention du surendettement. Je souligne que cette question de la proportionnalité se pose également sur le terrain constitutionnel : dans sa décision de mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, le Conseil constitutionnel a censuré un traitement de données à caractère personnel destiné à recueillir et conserver les données requises pour la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport - autrement appelé « fichier d'identité biométrique » car il devait comporter, outre l'état-civil et le domicile du titulaire, sa taille, la couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et sa photographie. Le Conseil a rappelé sa jurisprudence en la matière : « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». En tout état de cause, c'est à l'aune de cette jurisprudence qu'il faut analyser la possible création du fichier positif, qui devrait être justifié « par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».

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