Intervention de Catherine Procaccia

Commission des affaires économiques — Réunion du 23 janvier 2013 : 1ère réunion
Enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne — Présentation du rapport d'information établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Nous avons souhaité mettre l'accent sur un enjeu trop méconnu : la durabilité des activités spatiales, aujourd'hui menacée par la multiplication des débris.

Le nombre d'objets de plus de 10 centimètres en orbite autour de la Terre est estimé à 20 000. Ce nombre s'accroît naturellement en conséquence de réactions en chaîne, ce que les scientifiques désignent sous le nom de syndrome de Kessler.

Le risque de collision n'est pas que théorique. La première collision répertoriée a eu lieu en 1996. Elle a affecté un satellite militaire français. En 2007, les Chinois ont détruit à l'aide d'un missile l'un de leurs satellites météorologiques, ce qui a engendré environ 2 500 débris de taille supérieur à 10 centimètres. Enfin, en 2009, la collision entre un satellite Iridium et un satellite inactif Kosmos a généré lui aussi de l'ordre de 2 000 gros débris.

La Station spatiale internationale (ISS) procède par exemple environ une fois par an à des réajustements de sa trajectoire pour éviter des collisions.

Par ailleurs, il existe aussi un risque de dommages au sol lors des rentrées atmosphériques. On estime à une tonne les retombées quotidiennes des débris, qui s'évaporent ou non dans l'atmosphère. Le risque est minoré du fait que 70 % de la surface de la Terre est océanique. Mais le risque de dommage voire de victimes au sol n'est pas négligeable.

Nous avons identifié trois types d'actions pour faire face aux risques que constituent les débris spatiaux :

- en premier lieu, il s'agit de promouvoir des règles de conduite renforcées. Il existe des règles au niveau international et en France, depuis la loi de 2008 relative aux opérations spatiales. Il existe également une proposition de code de conduite, émise par l'Union européenne, actuellement en cours de négociation sur le plan international. Des désaccords subsistent entre pays sur la forme - contraignante ou non - que devrait revêtir ce code de conduite. Il serait dommage d'attendre qu'un accident majeur se produise pour accélérer les négociations.

Pour l'Europe, l'arrivée d'un lanceur à étage supérieur réallumable sera une avancée, car cela permettra de désorbiter l'étage supérieur après réalisation de la mission. Ariane 5 est actuellement le seul lanceur commercial qui ne le permet pas ;

- en deuxième lieu, il est indispensable de mettre en place un système européen complet de surveillance de l'espace, fédérant et complétant les moyens existants. L'Europe dépend actuellement des États-Unis, qui possèdent le réseau de surveillance le plus vaste et le mieux distribué au monde. La coopération avec ce pays permet d'éviter un certain nombre de collisions - en déplaçant le véhicule concerné par une alerte, du moins lorsque c'est possible, c'est-à-dire lorsque ce véhicule est encore actif. Mais cette coopération ne garantit pas l'indépendance de l'Europe.

Pour garantir cette indépendance, il faut traiter les obsolescences prévisibles du radar français GRAVES et mettre en place des capteurs supplémentaires, afin d'améliorer l'identification de la nature des objectifs et de leur trajectoire.

L'ESA a lancé un programme de surveillance dit SSA (Space situational awareness), mais qui n'est pas pour le moment réellement opérationnel.

Par ailleurs, la surveillance de l'espace a une composante relative à l'espace lointain (objectifs géocroiseurs, « météorologie spatiale ») ;

- en troisième lieu, il faut développer des solutions technologiques innovantes pour le nettoyage des débris. D'après les modèles existants, il suffirait de retirer chaque année de l'ordre de 5 à 10 gros débris pour stabiliser le nombre de débris en orbite basse.

Nous nous sommes également intéressés à « l'espace pour la Terre » : la politique spatiale doit en effet être tournée en priorité vers les services aux citoyens et privilégier les retombées concrètes. Notre rapport évoque en particulier l'observation, en vue de la compréhension des mécanismes du fonctionnement terrestre, qui est aujourd'hui devenue un enjeu scientifique et économique majeur.

L'Europe doit se donner pour priorité de demeurer précurseur dans ce domaine, dans le prolongement de missions déjà réalisées par le CNES et par l'ESA, parfois en coopération avec d'autres pays.

L'Europe dispose d'une compétence reconnue dans ce que l'ESA nomme les « explorateurs de la Terre », c'est-à-dire les satellites d'observation dédiés à l'étude de domaines précis tels que l'océanographie, l'étude des sols, de l'eau, de la glace, de l'atmosphère ou encore du champ magnétique.

L'observation spatiale présente l'avantage d'offrir une vision globale et continue dans le temps, qui permet des progrès considérables de la recherche sur l'environnement et le climat. Elle sera un instrument essentiel à l'évaluation du changement global et de l'impact des activités humaines sur le fonctionnement du système terrestre. Pour l'avenir, la surveillance des émissions de gaz à effet de serre deviendra notamment un enjeu international majeur, et les moyens de mesure seront un atout important pour ceux qui les maîtriseront.

Mais pour que l'observation spatiale soit efficace, encore faut-il qu'elle soit continue et produise des données homogènes. Or le mode de fonctionnement des agences, dont la vocation est d'innover, et non d'assurer la continuité de l'existant, n'est pas forcément propice à la poursuite de missions non pas en vue d'innover mais de prolonger en optimisant les coûts. Il faudrait, pour cette raison, garantir la continuité des missions dès leur conception.

Afin que l'Europe demeure une référence dans le domaine de l'observation de la Terre, et devienne incontournable dans l'évaluation du changement global, nous préconisons tout d'abord de poursuivre activement la mise en place des infrastructures du programme GMES de surveillance globale pour l'environnement et la sécurité.

Nous suggérons aussi de mettre en place le financement (dans le cadre financier pluriannuel de l'UE) et le pilotage nécessaire à l'entrée en phase opérationnelle des services de ce programme. Lors de notre déplacement à Bruxelles, nos interlocuteurs de la Commission nous ont en effet confié être « très en amont » de la réflexion à ce sujet...

Enfin, il nous semble nécessaire de réfléchir, plus largement, aux moyens à mettre en oeuvre pour que l'Europe soit indépendante pour procéder à la mesure des effets et des causes du changement climatique.

Notre rapport examine enfin la question de l'exploration spatiale.

Il nous paraît nécessaire de continuer à participer à la Station spatiale internationale jusqu'en 2020.

L'Europe doit apporter une contribution sur le plan technologique, comme elle le fait actuellement en fournissant le véhicule de ravitaillement de la Station, l'ATV. Cette contribution pourrait d'ailleurs participer plus tard au démantèlement de l'ISS, c'est-à-dire sa désorbitation. Ce démantèlement doit d'ores et déjà être envisagé. Ses modalités ne sont pas encore fixées. Son coût est évalué à 2 milliards de dollars - ce qui représente moins de 2 %, à vrai dire, du coût exorbitant de cette Station.

Pour l'avenir, l'Europe doit par ailleurs privilégier les missions robotiques remplissant des objectifs d'innovation scientifique, à coûts maîtrisés et autant que possible dans le cadre de coopérations internationales. C'est le cas par exemple du projet ExoMars : lancé dans un premier temps par l'ESA en partenariat avec la NASA, il est aujourd'hui envisagé avec l'agence russe Roskosmos, suite à la défection de la NASA.

Si l'exploration de Mars est prioritaire, c'est parce qu'on estime que cette planète a pu abriter la vie, et qu'une meilleure connaissance de son histoire pourrait être utile à la compréhension de l'évolution de notre propre planète.

Quant à l'exploration habitée de Mars, elle nécessiterait des ruptures technologiques et la fixation d'objectifs intermédiaires. Elle requerrait, surtout, un investissement massif puisque son coût est estimé à 600 voire 800 milliards d'euros. A contrario, le coût de la mission ExoMars est estimé à 1,2 milliard d'euros ; celui d'une mission de retour d'échantillons martiens, entre 3 et 5,3 milliards d'euros.

Par le passé, l'exploration habitée a toujours répondu à des objectifs d'abord politiques, plutôt que scientifiques. Si des objectifs politiques devaient réapparaître, à l'avenir, ce pourrait être pour répondre aux ambitions de la Chine. Dans l'immédiat, nos auditions nous conduisent toutefois à penser que ce pays s'intéresse à l'espace d'abord pour ses retombées socio-économiques.

Les conditions ne nous paraissant pas réunies pour le moment, et les montants financiers en jeu étant exorbitants, nous n'avons pas souhaité formuler de préconisations sur la question du vol habité, au-delà de l'orbite basse.

Nous vous renvoyons au rapport pour ce qui est d'autres questions - par exemple l'espace de défense, qui nous paraît exiger une relance de la coopération entre pays européens.

Pour terminer, quelques mots sur la récente réunion ministérielle des pays de l'ESA à Naples.

Cette réunion a acté plus de 10 milliards d'euros de souscriptions. L'Allemagne est le premier contributeur (pour la deuxième fois de l'histoire de l'ESA), avec 2,5 milliards d'euros et la France deuxième avec 2,2 milliards d'euros. Au troisième rang, le Royaume-Uni a devancé l'Italie, grâce à une progression très nette de sa souscription, notamment dans les programmes de télécommunications. Cette évolution aura des conséquences sur notre industrie puisqu'elle permettra probablement une montée en puissance de la branche britannique d'Astrium, au détriment du franco-italien Thalès Alenia Space pour qui la fragilisation de la contribution italienne constitue un handicap.

Concernant les lanceurs, la Ministérielle a ouvert la voie au développement des deux lanceurs Ariane 5 ME et Ariane 6, étant entendu qu'Ariane 5 ME devra être « adaptée », en synergie avec le lanceur de nouvelle génération.

L'idée est de développer un étage supérieur commun aux deux lanceurs. Le moteur de cet étage supérieur est déjà commun puisqu'il s'agit de Vinci, moteur développé par Safran depuis 2008. Au cours des prochains mois, les autres caractéristiques de cet étage supérieur commun doivent être définies.

Par ailleurs, l'option retenue pour Ariane 6 est celle préconisée par notre rapport, c'est-à-dire l'option « PPH » (comportant des étages à poudre et un étage supérieur à propulsion liquide hydrogène/oxygène). Les étages à poudre seront dérivés de l'étage P80 de Vega et bénéficieront de gains découlant de leur production à la chaîne (3 à 4 étages à poudre par lanceur).

La France, qui est le principal contributeur à ce nouveau lanceur, se donne trois objectifs, déclinés sous la forme d'un « triple 7 » : 7 ans de développement (2014-2021), 7 tonnes de performance en orbite de transfert géostationnaire et un coût de 70 millions d'euros par lanceur.

Pour parvenir à ce coût de 70 millions d'euros, un défi majeur reste à relever : celui de la réorganisation de la production industrielle du lanceur, actuellement trop éparpillée.

La décision définitive de développement d'Ariane 6 doit être prise lors d'une nouvelle Ministérielle en 2014.

Il nous semble que la représentation nationale devrait d'ici là rester vigilante quant aux conditions dans lesquelles seront développés parallèlement deux lanceurs, fussent-ils complémentaires, car de nombreux paramètres industriels et financiers restent à préciser.

Enfin, le plus gros programme souscrit lors de cette Ministérielle concerne la Station spatiale internationale. La France s'est engagée à financer 20 % de la contribution européenne de la Station. Après 2017, cette contribution européenne consistera à produire un module de service pour la capsule habitée Orion de la NASA, destinée à voler au-delà de l'orbite basse, mais sans objectif clairement fixé à ce jour. Là encore, il faudra rester attentif au réexamen de cette décision, prévu aussi en 2014.

Pour le reste, les décisions prises par la Ministérielle sont en ligne avec les préconisations de notre rapport : soutien à la compétitivité industrielle, notamment dans le secteur des télécommunications (avec le programme de plateforme de nouvelle génération NeoSat), poursuite des programmes de météorologie et d'observation de la terre, et réorganisation en cours des liens avec l'Union européenne.

Il nous semble toutefois que l'effort fait dans le domaine de la surveillance de l'espace demeure insuffisant, les pays membres de l'ESA ayant quelque peu laissé de côté le programme qu'ils avaient engagé en 2008, dit SSA.

Reste enfin la question du financement du programme GMES qui n'est pour le moment pas assuré. Cette question doit être traitée par les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, auxquelles il conviendra de rester attentif.

Voilà un bilan de cette Ministérielle à la lumière de notre rapport. Un tournant a été accompli, avec la décision de démarrer Ariane 6, mais de nombreux motifs de vigilance demeurent.

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