Intervention de Jacky Le Menn

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 janvier 2013 : 1ère réunion
Réforme de la biologie médicale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn, rapporteur :

Le système de contrôle antérieur à l'ordonnance comportait d'importantes limites. Un laboratoire ne faisait l'objet d'une visite d'inspection que tous les vingt ou quarante ans en moyenne selon les départements, ce qui ne garantissait pas aux patients la qualité des examens. Malgré le faible nombre d'inspections, dix à quinze laboratoires de biologie médicale privés sont fermés chaque année par les autorités sanitaires, sur un total d'environ 4 000 en France, si bien que l'on peut craindre que des laboratoires n'offrant pas toutes les garanties de qualité soient encore en activité.

Le renouvellement constant des technologies impose par ailleurs un effort continu de formation et d'adaptation de la part des laboratoires et des investissements lourds en capital. A ces éléments s'ajoute le fait que la biologie médicale est particulièrement présente sur notre territoire, qui compte près de 10 500 biologistes soit 16,5 pour 100 000 habitants, contre une moyenne communautaire de 5,8.

A la suite d'un rapport particulièrement sévère rendu par l'Igas en 2006, les pouvoirs publics ont confié à Michel Ballereau, conseiller général des établissements de santé, l'élaboration d'une réforme du secteur, sur laquelle nous l'avons longuement auditionné. Le droit européen de la concurrence ouvrait l'alternative suivante : soit considérer la biologie comme une prestation de service susceptible d'être conduite par tous les scientifiques (docteurs en biologie, vétérinaires, médecins, pharmaciens, informaticiens ou autres) ayant une formation en ce domaine, ainsi que le pratiquent le Royaume-Uni et la Belgique ; soit réserver les examens de biologie relatifs à la santé humaine aux seuls médecins et pharmaciens ayant acquis au cours de leurs études une spécialisation dans ce domaine.

L'ordonnance du 13 janvier 2010 a opté pour ce dernier choix. Il en découle la nécessité de maintenir les conditions qui s'imposent aux non-biologistes en matière de détention du capital et de liberté d'installation. La médicalisation de la biologie médicale suppose de garantir le plus haut niveau de qualité pour les examens, quelle que soit la structure publique ou privée qui les pratique, et de limiter la possibilité pour des investisseurs motivés au premier titre par le taux de retour sur leur capital de contrôler cette activité de plus en plus importante en volume.

Les limites à l'ouverture des cabinets de biologie médicale fixées par le législateur posent néanmoins un problème au regard des principes de liberté d'installation et de prestation qui sont au fondement du droit de l'Union européenne. La Commission européenne n'est pas habilitée à se prononcer sur l'opportunité du choix par un Etat membre de réserver l'exercice de certaines activités aux professions de santé. Elle peut en revanche exiger que cette restriction ne soit pas une entrave déguisée au droit de la concurrence. Si la France ne parvenait pas à justifier les restrictions à l'installation de laboratoires par des motifs de santé publique, le juge communautaire pourrait la contraindre à ouvrir la biologie médicale à la concurrence. La Commission lui a d'ailleurs adressé le 4 avril 2006 une mise en demeure, à la suite de laquelle la Cour de Justice de l'Union européenne l'a condamnée pour non-conformité partielle au traité de sa législation concernant la biologie médicale. Or aucune évolution de type commercial n'est acceptable en matière d'examens intégrés au parcours de soins.

L'ordonnance du 13 janvier 2010 s'applique depuis sa publication. Toutefois, tant qu'elle n'a pas été ratifiée, ses dispositions législatives sont susceptibles d'un recours devant le Conseil d'Etat. Cette possibilité a été saisie par l'ordre des médecins - également auditionné -, qui s'opposait à l'accréditation obligatoire. Le juge administratif n'ayant annulé qu'une de ses dispositions jugée inintelligible, la stabilité juridique du dispositif semble largement acquise. Cependant, conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat, une mesure réglementaire prise sur le fondement de l'ordonnance mais contraire au droit européen reste susceptible d'annulation par le juge administratif. La ratification explicite de l'ordonnance est vue par la profession unanime comme une garantie de l'engagement des pouvoirs publics dans la réforme. C'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi.

La qualité des soins, qui est l'objectif fondamental de la proposition de loi, dépend de l'accréditation. J'ai entendu les interprétations les plus diverses sur l'intérêt de l'accréditation et la nécessité d'atteindre ou non un taux de 100 % d'accréditation. La mise en place de paliers jusqu'à 100 % d'accréditation est nécessaire au changement des mentalités ainsi que des pratiques dans les laboratoires. Cela n'entravera nullement l'innovation comme certains interlocuteurs semblent le craindre. L'article 7 y pourvoit et je vous proposerai de le compléter par amendement.

Toute accréditation est conduite sous l'égide du Comité français d'accréditation (Cofrac), qui est chargé d'une mission de service public et dispose d'un monopole national pour son action. En pratique, ce sont les pairs qui conduisent les accréditations et contrôlent la conformité des équipements et des pratiques à la norme définie par l'Association française des normes. La fonction d'accréditeur étant exercée à temps partiel par des praticiens de terrain, on ne peut affirmer que le niveau de contrainte serait sans lien avec la pratique quotidienne et la réalité des procédures.

L'accréditation ne se substitue pas au contrôle des agences régionales de santé sur les laboratoires. Je demanderai d'ailleurs en séance des précisions au Gouvernement sur les moyens qui seront mis à leur disposition pour exercer cette mission. En outre, si l'accréditation des pratiques innovantes par la référence à des pratiques établies par la littérature médicale est impossible, d'autres modalités d'accréditation, telle la validation croisée entre laboratoires, sont admises par le Cofrac. Plus inquiétante est l'idée que l'accréditation imposerait une forme d'exercice particulière de la biologie médicale, avec une forte concentration autour d'appareils volumineux et particulièrement coûteux. Je ne pense pas que le choix du mode de garantie de la qualité des examens de biologie médicale recouvre une volonté de regroupement du secteur. Certes, comme pour toute profession de santé, un nombre d'actes insuffisant emporte un risque de moindre qualité, ce que l'accréditation prend en compte. Mais l'obligation de concentration imposée par les appareils et leurs coûts est contrebalancée par deux éléments : d'abord, la pratique ancienne des industriels du secteur est de prêter les appareils aux laboratoires afin de vendre les consommables ; surtout, rien n'empêche des biologistes d'ouvrir, dans le respect des règles d'implantation, de nouveaux laboratoires accrédités utilisant des technologies plus compactes.

Le coût de l'accréditation suscite néanmoins des questions. D'après la direction générale de la santé, celui-ci représenterait 1 % à 2 % du chiffre d'affaires, l'ordre des médecins l'évalue plutôt au double. Ce débat ainsi que celui relatif à la nature juridique du Cofrac, qui est une simple association loi 1901, me conduisent à demander à la commission des affaires sociales d'inscrire parmi les sujets qu'elle confie à la Cour des comptes celui de l'accréditation en santé humaine.

Le refus de la financiarisation de la profession constitue la deuxième priorité de cette proposition de loi. Sans porter de jugement sur l'éthique d'actionnaires de plusieurs laboratoires, l'indépendance des biologistes de laboratoire est mieux garantie par la possibilité pour eux d'acquérir une fraction voire la totalité de la structure dans laquelle ils travaillent. C'est le cas pour 85 % des laboratoires, proportion qui devrait rester stable ou augmenter, les articles 8 et 9 limitant les formes juridiques que sont susceptibles de prendre les laboratoires de biologie médicale.

Plusieurs professionnels libéraux s'inquiètent des possibilités de contournement des restrictions qui seraient imposées par le législateur. Il convient cependant de ne pas rendre trop complexes les normes applicables à l'exercice libéral de la profession sous peine d'augmenter le nombre de contentieux et, surtout, de risquer une condamnation sur le fondement du droit européen de la concurrence qui priverait les biologistes de toute protection. Je vous proposerai un amendement à l'article 8 rappelant le principe qui nous guide, et je sais que le débat se prolongera en séance.

De plus, conformément à la position constante du Sénat, l'article 5 interdit, en dehors du cadre des contrats de coopération passés entre laboratoires, de déroger au prix réglementé des actes, et donc de pratiquer des ristournes - l'interdiction porte également sur la pratique des dépassements d'honoraires.

Dernier point important : la réforme de 2010 impose les mêmes obligations aux secteurs public et privé. L'accréditation s'impose à tous et à tous les actes de biologie, ce qui signifie que les laboratoires hospitaliers ne disposent pas d'une présomption de conformité. En cours de restructuration rapide, les laboratoires des hôpitaux publics sont d'ailleurs pleinement engagés dans le processus d'accréditation. On peut néanmoins regretter que le dialogue entre secteurs public et privé reste difficile et marqué par la suspicion réciproque d'une volonté d'expansion.

Dans l'ensemble et malgré ses défauts, l'ordonnance de 2010, est porteuse d'un renouveau de la biologie médicale auquel nous pouvons tous adhérer et qui doit maintenant être consacré par la loi. Les modalités d'accès à la profession de biologiste et aux postes universitaires et hospitaliers, sans constituer le coeur de la proposition de loi, occuperont certainement nos débats ; le débat parlementaire va suivre son cours.

Je vous propose des amendements et je sais qu'ici comme à l'Assemblée nationale des modifications ne manqueront pas d'être apportées. Après trois ans de débats, la procédure accélérée me paraît prendre ici tout son sens, et je suis convaincu que nous arriverons, en commission mixte paritaire au plus tard, à un texte qui pourra être largement adopté.

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