Monsieur le président, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, l’État est le garant de la sécurité sur l’ensemble du territoire. Le maire, quant à lui, est chargé de la police municipale, qui a pour objet d’assurer, aux termes de l’article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales, premier alinéa, « le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Cet article de code, bien écrit, fait également référence, en son alinéa 2°, à la « tranquillité publique ».
Certes, le cadre général des missions de toutes les polices municipales est posé par différents textes législatifs : la loi du 15 avril 1999, qui a étendu les missions et compétences des agents, les lois du 15 novembre 2001, du 5 mars 2007 et du 5 mars 2011. Ainsi, tout semble avoir été dit.
Pour autant, il existe, sur le terrain, une grande diversité des pratiques, la physionomie de chaque police municipale dépendant des décisions prises par le maire.
Quant aux compétences, elles paraissent beaucoup plus floues. Des dérives sont apparues, découlant sans doute d’un désengagement des forces régaliennes. Les effectifs de la police nationale et de la gendarmerie, comme le nombre de leurs implantations, ont effectivement diminué ces dernières années.
Selon le rapport de la Cour des comptes, pour la période triennale d’application du principe de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit de 2008 à 2011, les effectifs de la gendarmerie ont été amputés de 3 717 personnes sur un total de 101 136, et ceux de la police ont perdu 1 322 agents sur un total de 148 563.
En conséquence, les maires doivent bien souvent, sous la pression de leurs concitoyens, pallier le manque en étoffant leurs services de police.
Il en résulte une situation confuse, brouillée. À force de voir leurs pouvoirs augmentés, les polices municipales connaissent actuellement une crise d’identité conjuguée à une crise de croissance.
Ainsi la France comptait-elle 5 600 agents municipaux en 1984. Elle en recense désormais plus de 18 000. Les gardes champêtres sont les grands perdants de l’explosion des effectifs : 20 000 en 1950, ils ne sont plus que 1 450 aujourd’hui.
Tous statuts confondus, les polices des maires constituent un effectif global de près de 27 260 agents, soit plus de 10 % des effectifs cumulés de la police et de la gendarmerie nationales.
De nombreuses questions se posent sur le statut des personnels, les modes opératoires, la coopération entre les différents intervenants et l’augmentation progressive des pouvoirs judiciaires des polices municipales.
L’ensemble de ces considérations a conduit le Sénat à s’interroger sur l’équilibre général des dispositions législatives et réglementaires en vigueur.
C’est pourquoi mon collègue René Vandierendonck et moi-même avons été missionnés par la commission des lois pour dresser un état des lieux des polices municipales et de leur cadre juridique, ce qui nous a conduits à émettre un certain nombre de propositions susceptibles de résoudre la crise que traversent nos policiers municipaux.
D’emblée, je tiens à souligner que René Vandierendonck et moi avons été en accord complet sur les méthodes, le constat et les objectifs. Si le rapport d’information que nous avons rédigé jouit d’une fiabilité certaine, c’est avant tout grâce à la méthode employée : nous nous sommes en effet attachés à donner la parole, en premier lieu, à tous les maires concernés.
Il existe non pas une police, mais des polices municipales, chaque maire ayant le pouvoir de décider du format de la police et des missions menées par les agents. En effet, qu’y a-t-il de commun entre une petite police municipale dotée de quelques agents et une police forte d’un personnel nombreux, d’un système de vidéosurveillance voire d’un centre de supervision urbain ? Pas grand-chose !
C’est pourquoi nous avons adressé un questionnaire aux 3 935 maires qui se sont dotés d’un tel outil, pouvant se réduire à un garde champêtre ou compter, comme c’est le cas de Nice, jusqu’à 578 policiers municipaux, dont 353 policiers municipaux, 126 ASVP, ou agents de surveillance de la voie publique, 22 techniciens et 75 agents administratifs.
Près de la moitié des maires, soit 1 849, nous ont répondu, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. Je tiens d’ailleurs à saluer ici le travail effectué par les collaborateurs de la commission des lois, qui ont envoyé ce questionnaire puis effectué le fastidieux travail d’analyse des retours.
Les maires ont démontré, par leurs réponses de qualité, leurs observations et commentaires nombreux, l’importance du sujet à traiter. Ils ont forcément orienté les propositions que nous faisons et que développera mon collègue René Vandierendonck.
Le retrait des forces régaliennes du territoire, qu’il s’agisse de la gendarmerie ou de la police, a été, par exemple, majoritairement dénoncé. La judiciarisation a été mise en exergue par la majeure partie des maires, certains déclarant même que, « dans le domaine judiciaire, l’évolution a été exponentielle ces dernières années ».
Par ailleurs, tous les acteurs concernés ont été auditionnés. Je n’en dresserai pas ici la liste, qui serait trop longue, puisque cinquante-quatre personnes ont été auditionnées au Sénat. Il s’agit de représentants de l’Association des maires ou des communautés de France, du Centre national de la fonction publique territoriale, du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, des ministères de l’intérieur et de la justice, de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires, de la Conférence nationale des procureurs de la République, ainsi que de membres d’associations de policiers municipaux ou d’organismes syndicaux de la profession, y compris des gardes champêtres.
En tant qu’élus de collectivités territoriales disposant d’une police municipale mais sociologiquement très différentes, René Vandierendonck et moi-même avons des connaissances complémentaires des terrains et des enjeux.
Enfin, nous avons effectué huit déplacements, qui ont enrichi notre travail.
Nous nous sommes rendus dans les villes de Nice et d’Évry, dont les maires, malgré des appartenances politiques différentes, ont voulu une police municipale réactive, disposant d’équipements modernes et menant des missions proches de celles de la police nationale, notamment en matière de répression.
Nous nous sommes également déplacés dans des villes moyennes devant faire face à une délinquance importante, dotées d’un nombre de policiers municipaux non négligeable mais ne disposant pas des moyens nécessaires pour augmenter les effectifs, les équipements ou étendre les missions de leur police à mesure que la police nationale diminue son engagement.
Ce sont des communes qui vivent ou qui ont vécu la judiciarisation de façon subie. Ainsi, la ville de Colombes, dans laquelle nous nous sommes rendus, a dû s’adapter à cette situation en créant une police municipale travaillant de jour et de nuit et en installant un système de vidéosurveillance. La ville a pu revenir sur une partie des évolutions citées lors d’un changement de majorité municipale, la nouvelle équipe ayant notamment supprimé l’armement de 4e catégorie au profit des tonfas et de lanceurs Flash-Ball.
Nous avons pu constater en revanche que la communauté d’agglomération de la Vallée de Montmorency dispose, elle, d’effectifs étatiques adaptés à ses besoins. La gendarmerie nationale et la police municipale y font bon ménage ! Leurs responsables respectifs se réunissent périodiquement pour échanger des informations relatives à l’ordre public, à la sécurité et à la tranquillité sur le territoire, et ce en vue de l’organisation matérielle des missions qui leur ont été confiées, partageant même, ce qui est assez original, une cartographie de la délinquance.
À Roissy, on nous a expliqué la convention de coordination signée entre la police municipale de la communauté de communes et la gendarmerie nationale. Les missions dévolues aux agents municipaux sont clairement définies : ils peuvent intervenir en tout lieu et à tout moment sur appel téléphonique d’un tiers, à la demande des forces de l’État, sachant que des missions de maintien de l’ordre ne peuvent en aucun cas leur être confiées.
À Amiens, nous nous sommes rendu compte que la vidéosurveillance peut constituer un axe structurant de la coopération entre la police municipale et la police nationale. L’implantation d’un centre de supervision urbain a permis que le dialogue se noue. Les partenaires deviennent complémentaires, les relations verticales disparaissent du même fait, les interventions sont coordonnées.
Nous avons pu noter que Dijon, comme Amiens, a axé son dispositif sur la prévention. Les agents municipaux, qui sont au nombre de 92 tous statuts confondus, ne sont pas armés et la vidéosurveillance reste un outil parmi d’autres.
Maintenon, commune d’environ 4 500 habitants, illustre pour nous le cas où un agent unique doit déployer une large palette de compétences pour assurer la tranquillité publique.
Évoquons maintenant la montée en puissance de la judiciarisation des polices municipales.
Traditionnellement, la police municipale est par excellence la police de proximité, celle qui met en œuvre les pouvoirs de police administrative du maire, essentiellement tournée vers la prévention des troubles à l’ordre public, à seule fin d’assurer la préservation du « bien-vivre ensemble » dans la commune.
Il s’agit de régler des conflits sociaux par la médiation, la persuasion, la dissuasion, en s’appuyant sur le sens civique des citoyens. Cette pratique domine encore dans de nombreuses communes, en particulier les plus petites. Les gardes champêtres sont davantage voués à régler les problèmes ruraux.
Si l’activité traditionnelle de la police municipale est ainsi à dominante préventive, les règles du bien-vivre ensemble impliquent une part de répression sous forme de contraventions, prévues par la loi ou par des arrêtés municipaux.
Les agents des polices municipales verbalisent principalement les contraventions aux arrêtés de police du maire, au code de la route, ainsi que les infractions à un certain nombre d’arrêtés pris en vertu de pouvoirs de police spéciale.
La diversité des compétences de la police municipale pose la question de l’unité du corps chargé d’assumer la diversité des missions. Il lui est en effet possible de verbaliser des infractions au code de la santé publique, mais aussi au code rural, au code de la voirie routière, au code des débits de boissons et des mesures contre l’alcoolisme ou encore au code de l’urbanisme.
Force est de constater que, depuis une dizaine d’années, la notion de tranquillité publique s’est largement durcie. Face à un sentiment d’insécurité, les maires, quelle que soit leur tendance politique, choisissent de répondre aux sollicitations de leurs administrés, qui supportent de moins en moins les actes d’incivilité ou la délinquance, en progression.
Ainsi de nombreux arrêtés municipaux sont pris contre les rassemblements nocturnes, la consommation d’alcool sur la voie publique, et certains instituent des couvre-feux.
Parallèlement à cette évolution, les polices municipales les plus importantes, en nombre d’agents et pour l’étendue de leurs fonctions, tendent à mettre l’accent moins sur l’îlotage et la présence sur la voie publique que sur la rapidité d’intervention.
L’exemple emblématique est naturellement celui de la ville de Nice dont les agents, qui disposent par ailleurs d’équipements extrêmement modernes, ont des missions si larges, placées sous le signe de la réactivité et du professionnalisme, qu’elles se rapprochent de celles des forces nationales
Le maire d’Évry illustre bien cette évolution, considérant même que « la police municipale est le premier niveau de la sécurité, pas de la tranquillité ».
Au-delà du renforcement des actions de « tranquillité publique », nous avons pu noter que, de manière croissante, les agents de police municipale se sont vu confier des missions de police judiciaire se rapprochant de celles des forces nationales.
Cette transformation accompagne un infléchissement des missions vers davantage d’interventions, de répression et de travail judiciaire. Au sein de certaines polices municipales, l’accent est ainsi mis de manière croissante sur la verbalisation, les flagrants délits, les interpellations suivies de mises à disposition de la police ou de la gendarmerie nationales. Il s’agit avant tout de faire appliquer les lois et de combattre vigoureusement la délinquance de voie publique.
En matière d’infractions routières, les policiers municipaux ont progressivement acquis une palette très large de prérogatives.
Dans le cadre des conventions de coordination, certaines polices municipales interviennent fréquemment en soutien des forces de sécurité nationale. La vidéosurveillance, devenue un passage quasi obligé pour une politique de sécurité locale qui se veut dynamique, peut constituer un élément structurant de la coopération entre ces deux corps, surtout dans les zones urbaines connaissant un taux élevé de délinquance.
Cette évolution n’est pas toujours voulue. D’après de nombreux maires, elle semble plutôt résulter d’une volonté des forces nationales de se décharger de leur rôle immédiat.
De nombreux maires ont toutefois mis en garde contre une extension des pouvoirs des policiers municipaux, qu’ils jugent périlleuse. Le rapprochement entre les missions de ces agents et celles des agents des forces nationales comporte en effet plusieurs inconvénients.
En premier lieu, outre le rapprochement des missions, une certaine confusion dans l’esprit des citoyens peut être entretenue par la similarité des uniformes. Cette confusion peut être dommageable dans la mesure où les habitants n’admettent pas que les policiers municipaux verbalisent le stationnement irrégulier plutôt que de chasser les délinquants, d’enregistrer leurs plaintes ou de retenir une personne suspecte.
En second lieu, de nombreux maires ayant répondu au questionnaire craignent qu’un renforcement supplémentaire des missions répressives et des pouvoirs de police judiciaire des policiers municipaux ne les éloigne de la population.
L’augmentation du niveau de formation des policiers nationaux, alliée à l’accroissement du nombre d’officiers de police judiciaire, a eu ces dernières années pour effet d’éloigner la police nationale du terrain, créant un vide qui a été partiellement comblé par la progression des effectifs de policiers municipaux.
L’exemple des sorties d’école illustre bien ce phénomène de délégation en chaîne. Cette tâche, naguère dévolue aux forces de sécurité nationales, a progressivement été prise en charge par les policiers municipaux qui, dans de nombreuses communes, l’ont déléguée aux agents de surveillance de la voie publique. À l’heure actuelle, elle est assurée par ceux que l’on appelle les « papys et mamies trafic ».
Cette évolution a pour effet de diminuer la fréquence des contacts de la police municipale avec le terrain, donc la qualité de la relation avec les citoyens, gage d’efficacité de la prévention.
Enfin, la judiciarisation tend à rendre les policiers municipaux plus indépendants des maires en les rattachant davantage à la chaîne pénale. Si cette évolution est souhaitée par certains syndicats, elle ne recueille en revanche pas notre assentiment dans la mesure où nous considérons que la police municipale doit rester la police du maire.
L’intercommunalité est dans ce domaine une expérience intéressante. Cet aspect sera développé dans un instant par M. René Vandierendonck, et je me limiterai donc à indiquer que nous avons effectué des visites riches d’enseignements et observé des expériences encourageantes et très positives.
Je terminerai cette intervention par la question de l’armement des policiers municipaux qui a suscité de très nombreux commentaires de la part des maires et des organismes syndicaux.
Qu’en est-il vraiment ? Force est de constater que la situation est très hétérogène sur le terrain, l’armement dépendant des missions qui sont confiées aux polices municipales. En définitive, l’armement dépend plus de la doctrine d’emploi arrêtée par le maire qu’il n’est lié à la population ou aux réalités sociologiques de cette dernière.
À titre d’illustration, je citerai une nouvelle fois Nice et Évry, deux villes dans lesquelles la police municipale dispose d’armes de 4e catégorie alors que les agents dijonnais sont équipés de bâtons et de bombes lacrymogènes, que, à Amiens, les agents ont des armes de 6e catégorie pour certaines missions, et que, à Roissy, ils ont à leur disposition, en plus de l’armement, une brigade canine.
Le port d’armes de 4e catégorie est une revendication récurrente.
Comme je l’ai mentionné précédemment, police et gendarmerie se sont parfois délestées de certaines de leurs fonctions, et il est arrivé que des agents municipaux aient été réquisitionnés par le procureur de la République pour mener des opérations proches de celles qui relèvent des forces régaliennes.
Le renforcement des pouvoirs exercés et l’absence de moyens juridiques ont notamment pour conséquence que le port d’armes de 4e catégorie est revendiqué par les syndicats de policiers municipaux.
Si de nombreux maires y sont favorables, il en est également qui craignent certaines dérives.
La commission considère que l’armement ne doit pas être une question idéologique. L’armement n’est pas une prérogative attachée à l’exercice des missions de police municipale, il doit rester fonction de la réalité du terrain, des missions attribuées aux agents, de la volonté du maire, et faire l’objet de dispositions plus précises dans les conventions de coordination, comme le précisera mon collègue René Vandierendonck. En un mot la question de l’armement doit être posée non avant, mais seulement après celle des missions. §