Mais admettez qu’il est difficile pour le Parlement d’avoir une juste vision de l’équilibre du dispositif sans connaître toutes les dispositions qui figureront dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances et en ignorant la teneur exacte de la future loi portant réforme des retraites. Nous vous faisons a priori confiance, mais nous devons également faire confiance à la majorité des deux assemblées, en espérant qu’elles suivront le Gouvernement et que le projet ne sera pas déséquilibré par le coup de canif porté par un amendement parlementaire !
La reprise de dette pourrait atteindre 130 milliards d’euros. Cela équivaut au montant de la dette transférée, depuis sa création, à la CADES, qui doit encore amortir près de 90 milliards d’euros. Ces 130 milliards d’euros comprennent le déficit du régime général, celui du FSV pour 2009 et 2010, le déficit prévisionnel de l’assurance maladie pour 2011 et les déficits prévisionnels de l’assurance vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse jusqu’en 2018.
Le Gouvernement considère que cette dette comporte trois parties : la dette de crise, évaluée à 34 milliards d’euros ; la dette structurelle, également évaluée à 34 milliards d’euros pour les exercices 2009, 2010 et 2011 ; enfin, les déficits de l’assurance vieillesse de 2011 à 2018, soit 62 milliards d’euros.
C’est sur la base de cette répartition que vous nous présentez, monsieur le ministre, le plan de financement du Gouvernement.
Tout d’abord, vous jouez sur la durée de vie de la CADES. Le Sénat s’est toujours opposé à un allongement de la durée de vie de la CADES, qui reviendrait à reporter le poids de la dette sur les générations futures. Vous proposez un allongement de quatre ans, limitant en quelque sorte les dégâts, si je puis m’exprimer ainsi, ce qui nous amène à 2025.
Ensuite, pour financer la dette structurelle de 34 milliards d’euros, vous affectez à la CADES 3, 2 milliards d’euros de recettes nouvelles. Il ne s’agit donc pas de recettes de poche. Elles seront issues d’un prélèvement sur les assurances qui ne nous paraît pas satisfaisant : j’y reviendrai dans quelques instants.
Enfin, pour financer les déficits de l’assurance vieillesse, vous mobilisez dès à présent les actifs du FRR, soit une trentaine de milliards d’euros, ainsi que la recette qui l’alimente, à hauteur de 1, 5 milliard d’euros.
Monsieur le ministre, permettez-moi de réitérer la question que je vous avais posée en commission des affaires sociales, car vous ne disposiez pas alors de tous les éléments pour me répondre. Comment expliquez-vous qu’il faille prélever chaque année 2 milliards d’euros sur les actifs du FRR pour financer la moitié des 62 milliards d’euros qui seront transférés à la CADES jusqu’en 2024 et qu’il suffise de prélever chaque année 1, 5 milliard d’euros sur les recettes du Fonds pour financer les 31 milliards d’euros restants ? L’explication est sans doute très technique et j’espère que vous nous la donnerez sinon aujourd’hui, du moins avant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le présent projet de loi organique est nécessaire pour une question de principe. Il s’agit en effet de lever le verrou posé par le législateur dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
En 2005, M. Warsmann, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a fait adopter un amendement disposant que toute nouvelle dette transférée à la CADES devrait être accompagnée des recettes équivalentes. Cela rendait impossible tout allongement de la durée de vie de la CADES, et ce afin d’empêcher un report de la dette sur les générations futures.
Le présent projet de loi ne remet fort heureusement pas en cause ce principe. Nous ne l’aurions d’ailleurs pas accepté. Nous devons plus que jamais cesser de reporter nos déficits sur nos enfants et petits-enfants. J’ai la faiblesse de penser que l’unanimité de la commission sur ce sujet a contraint le Gouvernement à limiter la remise en cause de cette règle et je m’en félicite.
L’article 1er du présent texte prévoit donc une dérogation au principe mais, vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, limitée à la seule loi de financement pour 2011. En outre, cette dérogation ne devra pas entraîner un allongement de plus de quatre ans de la durée de vie de la CADES. Il s’agit d’atténuer par ce biais le coût de la reprise de la dette accumulée de 80 milliards d’ici à la fin de 2011. Sans un allongement de la durée de vie de la caisse, il aurait au moins fallu doubler les recettes qu’il est aujourd’hui prévu d’affecter à la CADES.
Outre cette dérogation, l’article 1er permet le transfert d’actifs du FRR, sur lequel je ne reviens pas. La précision apportée dans le texte ne semble pas vraiment utile même s’il n’est pas interdit de penser que, dans certaines circonstances, un tel transfert pourrait se révéler nécessaire. À ce titre, il doit donc être prévu dans le présent texte.
L’article 2, quant à lui, vise à améliorer l’information du Parlement, en prévoyant que ce dernier approuve chaque année la situation patrimoniale de l’ensemble des organismes entrant dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale, y compris la CADES ou le FRR.
L’article 2 permet aussi au Gouvernement de lever une réserve récurrente de la Cour des comptes sur le positionnement ambigu de la CADES entre la sphère sociale et celle de l’État. Un amendement du Gouvernement sur la composition du conseil d’administration de la CADES, adopté en commission, vient renforcer encore l’ancrage de la CADES dans le périmètre des finances sociales. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et remercier le Gouvernement de cette initiative.
Sur ces deux articles, comme sur le reste du projet de loi organique, la commission n’a pas relevé de difficulté technique particulière. Néanmoins, et vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, elle a adopté deux amendements dont l’objet est de prendre en compte deux des propositions du rapport du groupe de travail sur le pilotage des dépenses de l’ONDAM, présidé par Raoul Briet, et dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Ces propositions, qui ont fait l’unanimité lors de la présentation du rapport devant la Conférence des finances publiques, présidée par Nicolas Sarkozy, en juin dernier, visent à compléter le texte organique sur la présentation et le contenu des lois de financement de la sécurité sociale.
Le premier amendement prévoit que l’annexe B du PLFSS devra contenir les prévisions quadriennales à même de fournir une information plus précise sur les perspectives d’évolution de l’ONDAM et sur les hypothèses retenues pour établir sa progression.
Le second amendement tend à renforcer l’annexe 7, consacrée à l’ONDAM, qui se révèle toujours insuffisante, et souvent indigente, nous n’avons eu de cesse de le dénoncer au cours des dernières années. Il nous paraît donc impératif qu’elle contienne désormais des éléments précis sur l’exécution de l’ONDAM pour l’exercice clos et pour l’exercice en cours, et qu’elle justifie les modalités d’élaboration de l’objectif pour l’année à venir.
J’en viens maintenant à l’interrogation majeure soulevée par ce projet de loi, liée au plan de financement proposé par le Gouvernement.
Il est clair, M. le ministre l’a lui-même reconnu, que les trois recettes portant sur le secteur des assurances, censées rapporter 3, 2 milliards d’euros en 2011, n’offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires. La taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance est une « mesure à un coup », même si le Gouvernement envisage de répartir son produit sur les exercices 2011 et 2012.
L’anticipation des prélèvements sociaux sur les compartiments euros des contrats d’assurance vie rapportera 1, 4 milliard d’euros en 2011, mais beaucoup moins ensuite, car la recette va naturellement s’effriter, sans compter les éventuels arbitrages auxquels procéderont nos concitoyens. Seule la taxation des contrats d’assurance santé responsables aura une certaine pérennité, mais cette mesure soulève d’autres questions, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant la commission des affaires sociales, et sur laquelle nous reviendrons lors de la discussion du PLFSS.
Ce constat, auquel j’ajoute les propos des différentes personnalités que notre commission a entendues voilà quelques jours, nous a conduits à décider d’inscrire une clause de garantie dans la loi organique.
Cette clause signifie que les lois de financement devront, quoi qu’il arrive, assurer le respect de la règle organique d’affectation des recettes nécessaires au remboursement des dettes sociales reprises. Si les recettes affectées par le Gouvernement ne permettent pas le respect de cette règle, la loi de financement devra prévoir le moyen de combler la différence, par exemple par une augmentation automatique de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, à défaut d’autres recettes. Si l’on décidait par exemple de rogner sur d’autres niches fiscales, le recours à la CRDS deviendrait inutile.
La commission des affaires sociales considère qu’il est impératif que la loi de financement pour 2011 garantisse le niveau de recettes nécessaire à la reprise des dettes qu’elle prévoira, et que cette garantie s’étende à toute la durée d’amortissement de la dette ainsi reprise. Chaque année, ensuite, les lois de financement successives vérifieront et assureront la réalité de cette garantie. Cette clause est pour nous essentielle, et je remercie le Gouvernement de l’avoir acceptée.
M. le ministre a par ailleurs indiqué qu’il ne remettrait pas en cause le second amendement que j’ai proposé, qui prévoit une clause de retour à bonne fortune. En effet, si la situation économique s’améliore, il nous appartiendra de nous imposer une plus grande rigueur en anticipant la date de fin de vie de la CADES. Je n’ai de cesse de l’affirmer devant la commission de la dette sociale : il me paraît impératif de nous engager, auprès de nos concitoyens, à nous désendetter le plus rapidement possible.
Mes chers collègues, si nous n’y prenons garde, la dette sociale pourrait devenir une « drogue dure ». Nous devons tout faire pour rompre cette dépendance au déficit, que la commission des affaires sociales du Sénat a toujours déplorée. Nous luttons contre toutes les formes de dépendances dans le cadre de l’assurance maladie, faisons de même pour la dette !