Je ne suis pas sûr d’être aussi optimiste que M. Jean-Vincent Placé…
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce matin, le commissaire aux transports de l’Union européenne, le très connu Siim Kallas, a tenu un point de presse.
Alors que, au cours des jours derniers, il semblait sensible aux arguments de la France et de l’Allemagne sur le quatrième paquet ferroviaire, il a réaffirmé aujourd’hui qu’il n’en était rien et que, en tout état de cause, le 30 janvier prochain, devant le collège des commissaires, il présenterait l’ensemble de ce qu’il appelle la concurrence, la séparation, qui porte le joli nom d’unbundling, nom tout à fait charmant, mais qui dit bien ce qu’il veut dire !
Vos arguments, comme ceux, d’ailleurs, de vos collègues allemands, ne semblent donc pas avoir beaucoup perturbé M. Kallas, qui reste sur la position qu’il avait définie voilà quelque temps ; il la fera sans doute adopter le 30 janvier prochain.
En réalité, soyons francs, la position de la Commission européenne n’a pas beaucoup changé, et ce quel que soit le gouvernement de la France. L’Europe souhaite ouvrir à la concurrence le marché européen des trains à grande vitesse, contrôlé à 47 % par la SNCF. Le paquet ferroviaire prévoit l’ouverture à la concurrence sans restriction, open access, des lignes nationales de TGV à partir du 1er janvier 2019 dans l’ensemble de l’Union européenne.
On pourrait alors voir la SNCF concurrencée par des opérateurs étrangers, notamment par ses deux principaux concurrents, à savoir Deutsche Bahn et Trenitalia.
Jusqu’à présent, la SNCF n’avait pas été trop menacée par les réformes de libéralisation du rail. Le fret a bien été ouvert à la concurrence en 2006 en France ; mais pour les passagers, seules les liaisons internationales ont été ouvertes en décembre 2009, ce qui ne représente finalement qu’environ 10 % du trafic de voyageurs en Europe.
Bruxelles prévoit donc d’aller plus loin dans la libéralisation du transport ferroviaire régional. Cette libéralisation est prévue de manière progressive, certes, mais elle n’en reste pas moins programmée. Elle figure, d’ailleurs, dans le quatrième paquet, qui imposera aux régions de lancer un appel d’offre pour tous les contrats à partir de 2019.
Le quatrième paquet prévoit également de renforcer la séparation entre le gestionnaire des infrastructures, RFF pour la France, et l’exploitant ferroviaire, ce qui posera évidemment un certain nombre de difficultés au regard des orientations du gouvernement français, orientations que nous avons approuvées pour l’essentiel ces dernières semaines. La position européenne n’étant pas identique à celle de la France, RFF cumulant de surcroît 32 milliards d’euros de dettes, comment réglera-t-on le problème ?
La difficulté ne se pose pas qu’à la France, nos amis Allemands se trouvant dans la même situation que nous puisque Deutsche Bahn contrôle également le gestionnaire du réseau. Comment les Allemands et les Français trouveront-ils une solution ?
Les Assises du ferroviaire, lancées par Nathalie Kosciusko-Morizet et par Jean-Louis Borloo, avaient conclu à la nécessité de réunifier la gestion de l’infrastructure ferroviaire, éclatée depuis 1997 entre RFF, gestionnaire d’infrastructures, et la SNCF, gestionnaire d’infrastructures délégué.
Le Gouvernement actuel a repris à son compte ce projet et a annoncé à la fin du mois d’octobre les grandes lignes de la réforme, qui devraient sans doute être précisées dans les semaines à venir, après la remise par Jacques Auxiette et Jean-Louis Bianco des conclusions de leurs missions respectives.
Cette réforme va dans le sens de ce que nous souhaitions. Il y a donc là, monsieur le ministre, bien plutôt une discussion franco-européenne qu’un affrontement politicien sur un sujet interne à l’ensemble de nos formations politiques, même si, je vais y revenir, nous n’avons pas, en la matière, exactement la même conception.
En effet, au-delà de la réforme consistant à réunifier la gestion de l’infrastructure, le futur projet de loi devrait également comporter un volet social important permettant de définir un cadre social harmonisé, sorte de convention collective de branche, qui s’appliquerait à l’ensemble des opérateurs du secteur, qu’ils soient publics ou privés. Ce cadre social harmonisé est, à nos yeux, une nécessité afin que nous puissions nous battre à armes égales avec nos concurrents, notamment Deutsche Bahn.
L’idée d’introduire de la concurrence dans le domaine du transport ferroviaire n’est pas nouvelle. À cet égard, ce qui a été dit précédemment est discutable car il faut savoir ce que l’on entend par « concurrence ». Dans le cadre de l’Union européenne, cette idée est évoquée depuis 1991. Donc, quelles que soient les majorités de Gouvernement et de Commission, cela fait tout de même maintenant vingt-deux ans que la Commission européenne souhaite introduire des problématiques de libéralisation ou de concurrence.
La concurrence est l’état dans lequel se trouvera prochainement le marché du transport ferroviaire régional de voyageurs. Cette situation, on peut l’encadrer, la préparer, l’organiser, mais c’est l’évolution du cadre européen et, quelles que soient les formules de retard, il est clair qu’il faut s’y préparer parce qu’on va y venir.
Nous devrons donc prendre en considération cette future concurrence et donner les moyens aux régions – et là je partage l’avis de Jean-Vincent Placé – de continuer à organiser les services de TER et de TET. Si, effectivement, dans le cadre des liaisons ferroviaires internationales de voyageurs, le modèle mis en place correspond à la concurrence sur le marché, il est tout à fait possible d’y déroger et de recourir à des contrats de service public faisant ainsi place à la concurrence pour le marché.
Il est bien sûr envisageable que les autorités publiques se désinvestissent complètement d’un secteur d’activité. Cependant, on voit mal nos régions se désengager au niveau des transports. Comme cela a été dit tout à l’heure, que ce soit en Île-de-France ou ailleurs, les exécutifs sont très souvent jugés sur leur action en matière de transport public, qui est l’élément déterminant de l’appréciation portée sur l’ensemble de leur activité.
Dès lors, l’ouverture à la concurrence, qu’elle soit ou non expérimentale, autorise nécessairement le maintien du service public, ce qui appelle en conséquence l’intervention des collectivités publiques.
Le service public du transport ferroviaire de voyageurs n’est pas le premier service public à devoir être géré par les collectivités locales. Ces dernières se chargent de bien d’autres activités représentant des marchés tout aussi importants. Que les conséquences soient importantes pour la SNCF en cas d’échec lors de la procédure d’attribution du service public, nul ne peut en douter, mais n’est-ce pas l’objectif de l’introduction de la concurrence que l’opérateur historique ne détienne plus le monopole ?
Enfin, tout nouvel entrant aura, certes, d’importants moyens à mobiliser mais les concurrents de la SNCF sont aussi des opérateurs ferroviaires qui, pour l’emporter, devront être particulièrement solides.
L’ouverture à la concurrence et la préservation des intérêts de l’opérateur national historique sont les deux objectifs que nous devons concilier.
Par conséquent, monsieur le ministre, l’évolution européenne est bien visible ; on peut la ralentir, mais, je l’ai dit, elle est là.
Vous avez rencontré les responsables européens ; on a probablement cru que le duo franco-allemand allait pour une fois l’emporter ou, en tout cas, obtenir des assouplissements. Visiblement, les propos de ce matin ne semblent pas aller dans ce sens. Si, le 30 janvier, l’ensemble des commissaires européens maintiennent leur position sur la concurrence et sur la séparation, quelle sera alors la position du gouvernement français ? Comment envisagez-vous de réagir par rapport à cette directive européenne qui pourrait être à terme extrêmement contraignante pour nous, pour les régions et pour l’ensemble du service public de voyageurs ?
Voilà pour ma première véritable interrogation.
J’en viens à la seconde partie de mon intervention, qui prendra aussi la forme d’une interrogation.
Monsieur le ministre, ce matin, alors même qu’intervenait le commissaire M. Kallas, la SNCF annonçait que l’augmentation moyenne des tarifs serait de 2, 3 % à compter de ce jour et probablement, si j’ai bien compris, de 3 % au 1er janvier 2014 afin de faire face à un programme d’investissement d’un peu plus de 2, 5 milliards d’euros.
La SNCF a besoin d’investir, personne ne le nie. Mais là encore, alors que les régions, l’ensemble des collectivités sont de plus en plus sollicitées, avons-nous réellement un équilibre dans l’offre ? Je voudrais, pour faire écho à l’intervention de Jean-Vincent Placé, dire ce que je pense vraiment du service public ferroviaire en Île-de-France.