Intervention de Jean-Jacques Filleul

Réunion du 24 janvier 2013 à 15h00
Débat sur l'avenir du service public ferroviaire

Photo de Jean-Jacques FilleulJean-Jacques Filleul :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un bien bel exercice d’exprimer devant vous, et dans cet hémicycle, notre vision du service public ferroviaire. Pour ma part, j’y porte un attachement profond, depuis longtemps. Le rail est l’une des grandes aventures contemporaines et technologiques de notre pays. Au plus profond d’eux-mêmes, les Français y sont sensibles.

De mon point de vue, la SNCF est puissamment attachée à notre histoire : le plus grand réseau ferroviaire d’Europe, le TGV, le monde des cheminots, la Résistance. Plus proche de nous, en 1982, ce fut la LOTI, texte fondamental d’orientation des transports intérieurs.

L’ambition du législateur fut de mettre en place un « système de transports intérieurs qui satisfasse les besoins des usagers dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses pour la collectivité ». Il est même évoqué, dans l’article 2 de ce texte, « un droit aux transports [permettant] aux usagers de se déplacer dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coût pour la collectivité, notamment par l’utilisation d’un moyen de transport ouvert au public ».

La LOTI a sorti la SNCF de l’ancien syndicat mixte qui prévalait alors, pour en faire un établissement public à caractère industriel et commercial, et elle a consacré la SNCF comme opérateur unique. Cette dimension me convenait très bien.

Mais voilà, la Commission européenne existe et, en matière de transports, je la trouve très impérative. Elle s’est chargée, avec les différents paquets ferroviaires, livres blancs et directives, de modifier tout ce bel équilibre. La libéralisation, telle que l’Europe l’a portée jusqu’à présent, complique à mon avis les grandes problématiques des transports.

Par exemple, la seule contrainte posée par la directive européenne 91/440 du 29 juillet 1991 est la séparation, sur le plan comptable, des activités de gestion des infrastructures de transport et de l’exploitation. La séparation organique ou institutionnelle est facultative, laissant aux États la liberté de choisir leur modèle d’organisation. Les autres paquets ferroviaires qui ont suivi n’ont pas remis en cause cette liberté.

Cela n’a pas empêché, en 1997, le gouvernement de droite de l’époque d’ouvrir une faille dans le service public ferroviaire français en séparant l’infrastructure et l’exploitation, par la création de « Réseau ferré de France » par la loi du 13 février 1997, juste avant la fameuse dissolution.

C’est notre histoire, c’est vrai. Mais il y a eu, de la part du pouvoir de l’époque, un excès de zèle idéologique qui n’a en rien résolu les difficultés du secteur ferroviaire, en particulier l’assainissement de la situation financière.

Nos amis allemands ont suivi une tout autre démarche : assainissement de la dette et création d’une holding avec le succès que l’on connaît. Nous savons, monsieur le ministre, combien vous vous êtes engagé dans une orientation qui nous permettra de revenir à une vision plus propre à nous satisfaire, et surtout à satisfaire les besoins du service public ferroviaire.

La création d’un groupement d’infrastructure unique, qui assurera toutes les fonctions ayant trait à la gestion et à la maintenance du réseau, c’est la nouvelle gouvernance que vous proposez. Nous attendons avec impatience le texte à venir, mais vos propos et vos engagements à Bruxelles portent beaucoup d’espoir.

Évoquant Bruxelles, j’en viens au quatrième paquet ferroviaire. Le commissaire européen aux transports souffle le froid et le chaud, faisant d’abord campagne depuis plusieurs mois pour une séparation stricte, en 2019, entre gestionnaires des réseaux et exploitants. L’idée d’un assouplissement est sans doute due à la pression conjointe de la France – de vous-même, monsieur le ministre – et de l’Allemagne, car une réforme libérale pure et dure constituerait une attaque frontale contre les modèles d’organisation des transports ferroviaires de ces deux pays.

Une version dure, voire très dure, était attendue ; finalement, et je l’espère, c’est un texte adouci qui pourrait être présenté sur des sujets majeurs, à une date encore indéterminée. En effet, outre la gouvernance, le quatrième paquet ferroviaire devrait agir dans deux autres directions : l’ouverture du trafic passager domestique à la concurrence – je ne doute pas que ce projet sera soumis à de nombreuses controverses et confrontations – et la réforme de l’Agence ferroviaire européenne, qui devrait être moins discutée.

Ce quatrième paquet ferroviaire ne revient pas sur le fret ; ce fut l’affaire des paquets ferroviaires précédents. Mais vous savez, monsieur le ministre, que je suis particulièrement attentif, et je ne suis pas le seul parlementaire dans cet état d’esprit – vous l’avez encore entendu cet après-midi –, au transport de marchandises par rail, par canaux et par cabotage maritime.

Mais arrêtons-nous au ferroviaire, service public, service d’intérêt général le plus souvent. En la matière, le rail est malheureusement plutôt en mode descendant. C’est dramatique ! La route a pris l’ascendant sur tous les autres modes. Le rail transporte 4 millions de voyageurs par an ; le fret, lui, est presque totalement affaire de transports routiers. En quinze ans, celui-ci est passé d’environ 80 % de marchandises transportées à plus de 90 % aujourd’hui.

Cet échec considérable va bien sûr à l’encontre de la demande sociale. Celle-ci, nous le constatons le plus souvent, est de plus en plus sensible au transport ferroviaire de marchandises. Nous avons connu dans le passé beaucoup de prospectives très optimistes sur lesquelles je ne reviendrai pas ; elles ont échoué. Les conditions du rééquilibrage modal vers le rail ont également échoué. C’est un lourd héritage, mais il tient aussi pour beaucoup à l’absence d’harmonisation des législations européennes sur les salaires et le temps de travail.

La réflexion sur l’évolution du fret se situe au carrefour des ambitions du Grenelle 1. Les perspectives énergétiques et la nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre peuvent et doivent imposer un retour au ferroviaire. Il y va de la responsabilité des pouvoirs publics de ne pas hypothéquer l’avenir.

Si je me félicite de la démarche du Gouvernement d’engager un vaste programme de régénération de 1000 kilomètres de rail par an, il n’en reste pas moins qu’il est urgent de mener une politique globale de rééquilibrage des trafics de la route vers les modes durables.

La tâche est rude, monsieur le ministre, ambitieuse certes, mais tellement urgente. Par exemple, en matière d’efficacité économique et socio-économique, je crois à la nécessité d’engager toutes les formes de transport combiné, comme je crois à celle du ferroutage. L’alliance du camion et du train, voilà une belle ambition abandonnée par les gouvernements successifs ! Non, en fait totalement ignorée. Pourtant, là encore, la demande sociétale est forte. Nos amis suisses et italiens, eux, ne l’ignorent pas.

Je crois au service public ferroviaire : il existe, il fonctionne – ne soyons pas catastrophistes comme certains discours que j’ai pu entendre cet après-midi –, il participe de nos pratiques quotidiennes et au développement des territoires.

Nous sommes à vos côtés, monsieur le ministre, et aux côtés du Gouvernement pour accompagner le renouveau dans lequel vous vous êtes engagé, car le rail, mode de transport avant tout, est aussi un enjeu industriel. En lançant les recherches sur le TGV du futur, en mobilisant des moyens pour donner une impulsion à la construction de nouvelles rames de trains Intercités et de TER, vous créez une dynamique bénéfique pour la croissance, l’emploi, sans oublier l’innovation, avec l’espoir que la grande aventure du rail retrouve un nouvel élan. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion