Intervention de Pierre-Yves Collombat

Réunion du 29 janvier 2013 à 14h45
Exercice par les élus locaux de leur mandat — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre-Yves CollombatPierre-Yves Collombat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant la discussion générale, j’avais un doute quant à l’interprétation qu’il convenait de faire du dépôt de cette proposition de loi et de son inscription, à cette date, à l’ordre du jour de nos travaux.

Ce texte constituait-il une mise en bouche avant le projet de loi créant le statut de l’élu local, unanimement réclamé lors des états généraux de la démocratie territoriale et annoncé par le Président de la République – l’expression figure bien dans ses déclarations – pour le printemps 2013 ?

Mais alors, pourquoi ce texte a minima, dont les dispositions auraient pu sans peine trouver leur place dans le futur projet gouvernemental censé venir prochainement, du moins l’espérais-je, en discussion ? Ce que j’ai entendu jusqu’à présent m’a permis de comprendre : la présente proposition de loi n’est en rien un préliminaire, c’est le texte tant attendu et si précisément annoncé… Il fallait oser ; c’est fait !

Les premiers concernés, les élus des petites collectivités – les autres vivent très bien sans –, n’auront pas besoin d’un tableau pour s’apercevoir que « ceci n’est pas un statut de l’élu », qu’il s’agit seulement de l’ixième retouche du dispositif pratique mis en place au fil du temps pour faciliter l’exercice par les élus locaux de leur mandat, comme l’indique clairement le titre de la proposition de loi. Certes, ces mesures sont utiles et le texte fera, à n’en pas douter, l’objet d’un vote consensuel, mais il ne met pas en place un statut de l’élu territorial.

Présente dans le rapport du sénateur Debarge, quelques semaines avant la publication de la loi fondatrice de la nouvelle décentralisation de mars 1982, l’idée de statut de l’élu territorial continue de faire peur et le mot demeure un gros mot, y compris dans cette enceinte.

C’est ainsi que, depuis trente ans, on tourne autour et on atermoie.

Permettez-moi de vous citer un morceau choisi que j’affectionne particulièrement. Il s’agit d’une déclaration d’un ancien président de l’Association des maires de France, par ailleurs alors président de la région Île-de-France, Michel Giraud : « Je ne suis pas convaincu que le terme de statut de l’élu local soit le bon. Qui dit statut, dit fonctionnarisation. Or je considère comme essentiel que l’on préserve la gratuité, ce qui contribue pour une large part à la grandeur du mandat électif local. C’est pour cela que je parle de règle du jeu. En dehors des grandes villes, je suis contre le statut de l’élu local à temps complet. Il faut qu’il y ait une part de disponibilité, de générosité, de gratuité. Et le terme de statut me gêne. »

Il est vrai que, lorsqu’il évoquait la « grandeur du mandat électif local», l’intéressé savait de quoi il parlait !

Pour le reste, si j’en crois ce que j’ai entendu, il semblerait qu’il ne soit pas le seul à être « contre le statut de l’élu local à temps complet ».

Vingt ans plus tard, le code général des collectivités territoriales ne contient toujours qu’un ensemble de « dispositions relatives aux conditions d’exercice » des divers mandats locaux, et la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise vise simplement à « faciliter » l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat.

Visiblement, couvrir les élus locaux de fleurs – on en a eu de multiples exemples – tiendra visiblement lieu de statut !

Pourquoi est-ce insuffisant ? Pourquoi faut-il enfin franchir le pas et oser créer un authentique statut de l’élu territorial, comme nous le proposons ?

D’abord, parce que ce serait prendre – enfin ! – notre Constitution au sérieux, puisque celle-ci donne un fondement politique aux institutions locales. Je rappelle que, selon ses termes, l’« organisation » de la France est « décentralisée », que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon », qu’elles « s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ».

Les collectivités territoriales sont donc loin d’être des institutions destinées à donner un vernis démocratique à une administration d’État centralisée et à offrir un passe-temps à des notables trouvant là des occasions de mériter leurs décorations.

Prendre au sérieux l’idée de décentralisation, c’est tout d’abord reconnaître symboliquement l’importance de la mission de ceux qui lui donnent vie.

Nous sommes loin, contrairement à ce que prévoit l’article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales, de fonctions gratuites. Le moment est donc venu d’en finir avec cet article et de sortir du dilemme qui fait des indemnités de fonction soit le salaire d’une fonction publique croupion – le rapport Mauroy de 2000 fait des élus des « agents civils territoriaux » pouvant être rémunérés –, soit une forme de dédommagement, facultatif, mais soumis à impôt et à cotisations sociales, ce qui n’est pas banal pour un dédommagement. Et ce dédommagement – on ne sait d’ailleurs de quoi : perte de revenu ou frais divers ? – cohabite avec la compensation de frais annexes, tels les frais de représentation !

La seule chose qui est certaine, c’est qu’on ne sait pas ce qu’est l’indemnité de fonction. Selon la circulaire du 15 avril 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux, par exemple, ce n’est ni un salaire, ni un traitement, ni une rémunération quelconque.

Voilà donc une première raison de créer un authentique statut de l’élu territorial.

La seconde raison est, pour moi, plus essentielle encore : il faut rompre avec la fiction selon laquelle, dans l’exercice de ses fonctions – fonctions exercées au nom de la collectivité et dans l’intérêt général –, l’élu est un simple citoyen ou un professionnel.

Si la longue liste des responsabilités des élus n’a rien à voir avec celle du citoyen lambda ou même d’un chef d’entreprise, d’un médecin ou d’un avocat, il en va différemment de sa responsabilité pénale. Au mieux, elle est la même ; souvent, elle est plus lourde, au motif que l’intéressé est « investi d’un mandat électif public », d’un pouvoir général de police ou « dépositaire de l’autorité publique ».

Le code pénal est muni d’un cliquet : le fait d’être élu donne seulement des devoirs et des charges, et non des droits. C’est vrai pour les délits non intentionnels comme la mise en danger d’autrui et, évidemment, pour les manquements au devoir de probité, les délits de prise illégale d’intérêt ou de favoritisme, dont nous reparlerons. C’est vrai pour les réponses généralement admises aux provocations et aux incivilités, même si le jugement de la cour d’appel de Douai dans la récente affaire du maire de Cousolre, qui avait giflé un adolescent, marque un véritable changement de perspective.

Camille et Jean de Maillard résument bien la situation présente : « On n’est plus citoyen que pour s’abstenir d’agir, à moins de vouloir assumer une responsabilité dont on devient l’infamant débiteur. »

Tant qu’on refusera d’articuler principe d’égalité devant la loi et réalité de l’inégalité devant les charges, responsabilités et obligations, ce qui devrait être au cœur d’un authentique statut de l’élu territorial, même en ayant la conscience tranquille, les élus auront du mal à dormir en paix !

Un statut de l’élu doit être autre chose qu’un catalogue d’avantages et d’obligations : il doit définir et articuler des droits et des devoirs. Les amendements visant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er que nous avons déposés vont dans ce sens. Je fais remarquer au passage que nos propositions sont directement puisées dans le rapport de MM. Peyronnet et Dallier, fait, il est vrai, à une époque où les intéressés ne fantasmaient pas sur le statut de l’élu.

En juin 2011, lors de l’examen d’une précédente proposition de loi de Bernard Saugey consacrée à ce sujet, j’avais rappelé les étapes franchies depuis 1982 en direction d’un statut de l’élu territorial : après 1982, 1992 et 2002, logiquement, il devrait se passer quelque chose en 2012. J’avais alors été applaudi par le groupe socialiste. Or rien ne s’est produit en 2012 ! Sera-ce pour 2013 ? Plus le temps passe, plus j’en doute : force m’est de constater qu’il ne se passera rien non plus en 2013, ni même probablement avant la fin du quinquennat.

Toutes les grandes avancées en matière de conditions d’exercice des mandats locaux, en 1982, en 1992 et en 2002, ont été le fait de la gauche. Comme Diogène cherchait un homme avec une lanterne en plein jour, je continue de chercher la gauche dans cette proposition de loi. §

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